A la fois hommage au film noir des années 40 et petit précis sur la corruption de l’être humain, Chinatown est un pur bijou. Une œuvre magistrale qui compte parmi les grands films de l’année 1974.
Synopsis : Gittes, détective privé, reçoit la visite d’une fausse Mme Mulwray, qui lui demande de filer son mari, ingénieur des eaux à Los Angeles. Celui-ci est retrouvé mort, noyé. Gittes s’obstine dans son enquête, malgré les menaces de tueurs professionnels.
Chinatown sonde le cinéma noir américain
Critique : Alors qu’il a connu un succès international avec Rosemary’s Baby (1968), le réalisateur Roman Polanski subit de plein fouet le drame du meurtre de son épouse Sharon Tate par le serial-killer Charles Manson. Sa filmographie s’en ressent aussitôt avec la réalisation d’un Macbeth (1971) d’une incroyable noirceur, aussitôt suivi par What ? (1972), totalement surréaliste, qui peine à convaincre même ses plus fervents admirateurs.
Le script de Robert Towne qui allait donner naissance à Chinatown permet au cinéaste de retrouver à la fois l’inspiration et le succès. Le scénario est effectivement un hommage direct au film noir des années 30-40, s’inspirant des intrigues tortueuses de Dashiell Hammett pour tenter de décrypter les dessous peu reluisants du système américain. Toutefois, Roman Polanski sublime le script d’origine en faisant du long-métrage une implacable analyse de la corruption sous toutes ses formes.
Visuel : Sator Publicité © 1974 Long Road Productions – © 2000, 2012 Paramount Pictures. Tous droits réservés
Une tragédie grecque qui contredit les canons hollywoodiens
Le plus réussi vient d’une critique particulièrement hargneuse d’un système capitaliste entièrement fondé sur l’appropriation de biens communs par un petit nombre afin d’en tirer de substantiels bénéfices. Il s’agit bien entendu ici de dénoncer les magouilles politiques en tous genres qui permettent à des citoyens bien sous tous rapports de s’imposer comme maîtres d’une région entière, par le biais de crimes crapuleux. Ainsi, le cinéaste se plaît à débusquer la vérité qui se cache derrière les apparences à travers une intrigue finalement limpide, malgré ses détours tortueux. A cela, il ajoute une dimension personnelle (l’inceste notamment) qui tend à faire du long-métrage une véritable tragédie grecque. Enfin, par son final foncièrement pessimiste, il plonge dans une noirceur qui va à l’encontre des règles hollywoodiennes en vigueur.
Si cette œuvre traite de corruption, Polanski se plaît également à détourner les règles d’un genre auquel il rend pourtant hommage. Ce n’est pas un hasard s’il a donné le rôle du potentat local totalement corrompu à John Huston, par ailleurs réalisateur du Faucon maltais qui a établi les règles du film noir. Il boucle ainsi un cycle, tout en s’affranchissant des figures imposées du genre. Sa volonté de rompre avec certaines habitudes hollywoodiennes sont confirmées par une seule séquence : Polanski interprète lui-même un rôle de petit malfrat qui défigure Nicholson en lui coupant une narine. Le cinéaste oblige ainsi son acteur principal à porter un horrible pansement sur le visage durant une bonne moitié de film, ce qui est un pied de nez flagrant aux règles du cinéma commercial entièrement basé sur la mise en valeur des stars.
Sublimé par une magnifique photographie, des décors séduisants et des mouvements de caméra incroyablement fluides, Chinatown est donc un pur chef-d’œuvre qui s’inscrit pleinement dans une filmographie entièrement vouée à la remise en cause du jeu social. Si l’on ajoute à cela des prestations d’acteurs remarquables (bouleversante Faye Dunaway et très sobre Jack Nicholson), on n’est pas loin de considérer cet opus comme l’un des meilleurs du cinéaste.
Critique de Virgile Dumez