Avec le joli conte atavique Brisby et le secret de Nimh, Don Bluth rompait avec la maison Disney et s’érigeait en grand (et unique) concurrent de son ancien patron, dans les années 80. Le film s’érigeait en précurseur et en véritable révolution dans un marché de l’animation historiquement hégémonique, même si le succès ne fut pas forcément au rendez-vous aux USA, lors de sa sortie.
Synopsis : L’histoire de Madame Brisby, une gentille maman souris qui décide de remuer ciel et terre pour sauver sa famille de la charrue du fermier Fitzgibbon. En chemin, elle reçoit l’aide d’un corbeau en mal d’amour, d’une souris voisine et d’un grand hibou peureux. Malheureusement, Mme Brisby aurait besoin d’un miracle mécanique pour déplacer sa maison. Pour cela, elle doit affronter un mystérieux rat, se débarrasser d’un chat féroce et récupérer une amulette magique…
Critique : Le cinéma d’animation américain, pendant longtemps, se résumait à Disney. A partir des années 80 toutefois, c’est la crise au département animation du studio de l’oncle Walt avec les bides consécutifs de Taram et le chaudron magique et de Basil, détective privé.
Divorce à Hollywood : Don Bluth quitte le studio Disney
Parallèlement, Walt Disney Pictures connaît pour la première fois de la concurrence dans son domaine de prédilection. Un ancien historique de la maison qui avait travaillé notamment sur La Belle au bois dormant, Merlin l’enchanteur ou encore Rox et rouky, réalise son premier long métrage qui sort dans le monde entier en 1982. Le cinéaste, c’est Don Bluth et le film Brisby et le secret de NIMH. Certes, on n’arrive pas à des scores faramineux comme pour une production Disney, c’est même plutôt maigre aux Etats-Unis, mais dans son domaine, c’est un petit hit à l’international et l’espoir d’une nouvelle ère pour la concurrence.
C’est ainsi que, bien avant l’avènement de Dreamworks dans ce secteur aujourd’hui ultra concurrentiel car partagé par tous les studios, Don Bluth faisait figure de précurseur doué. Il aligna quelques succès au cinéma, notamment Fievel et le nouveau monde (1986) (produit par Spielberg, et oui, déjà) et Anastasia (1997) avant de prendre sa retraite en 2000 à la suite de l’échec monumental du blockbuster en images de synthèse Titan AE. Un tel flop que la Fox qui produisait décida d’arrêter l’animation pendant quelques années ! Il faut dire que son épopée de science-fiction en animation 3D n’avait vraiment pas le charme de Brisby qu’il trahissait à tous les niveaux.
Brisby et le secret de NIMH, un conte pastoral ancré dans son époque d’heroic fantasy
Quarante ans après sa création, Brisby et le secret de NIMH épate toujours autant par ses atouts visuels. Le film évoque la beauté sombre des productions animées de Disney de cette époque. D’abord, mentionnons des personnages obscurs dans des décors opaques (le grand sage est un hibou aux yeux incandescents ; on y trouve des rats à l’intelligence mutante, dans une forêt de conte de fées où le bourbier ravive le souvenir du bayou de The Rescuers de Disney. Le récit relate la quête prodigieuse d’une veuve aux confins du danger, celle de Madame Brisby, pour sauver l’un de ses enfants qui est gravement malade, dans un environnement champêtre qui devient un lieu de mort et de magie. Là encore, on pense à Bernard et Bianca et à la jeune orpheline qu’il faut sauver. La proximité avec les aventures des deux souris détectives revient à bien des égards comme dans la proximité comique entre son albatros et le corbeau gauche du Secret of NIMH. Bluth avait lui-même travaillé sur Les aventures de Bernard et Bianca et on retrouve avec plaisir ses traits d’animateur. Certains personnages, comme le grand hibou, semblent issus de Taram et le chaudron magique, qui allait sortir trois ans plus tard et auquel, curieusement, Don Bluth ne voulait rien avoir affaire. Mais les années 80 étaient celles de la fantasy, de l’heroic fantasy même. Rappelez-vous l’incroyable Dark Crystal et ses marionnettes désespérées, c’était un contemporain de Brisby qui s’inscrit dans cette logique commerciale.
© Mrs Brisby, LTD 1982. Tous droits réservés / All rights reserved
La veuve, l’orphelin et le mal-logement
Pourtant, plus qu’aux grands classiques du genre fantaisiste, la thématique centrale de Brisby et le secret de NIMH se rattache davantage à l’iconographie américaine de l’exil, du déracinement. Il y a du Steinbeck dans cette adaptation littéraire, et au-delà des classiques de littérature, c’est aussi la prophétie d’une crise du logement à laquelle les Américains seront indéniablement confrontés au XXIe siècle)… Madame Brisby qui doit quitter son parpaing pour en éviter la destruction par le tracteur du fermier, à l’approche de la saison des moissons, n’a plus son mari pour l’aider à déménager. La réalité de la santé de son fils atteint d’une pneumonie, la confronte au plus cruel des dilemmes : rester et voir sa famille annihilée, ou partir et assister à la mort de son engeance qui ne survivra pas à l’exil. Qui n’y voit pas non plus un sous-texte cruel du traitement des malades dans une Amérique sans assurance sociale, un lot cruel pour tous (l’homme, M. Brisby, est mort trop tôt ; la femme est laissée sans ressources ; les enfants subissent le déterminisme). Brisby et le secret de NIMH est donc, nonobstant le cadre de la féérie et de la magie, le récit de l’urgence sociale dans une société plombée par le poids de la naissance.
Pas de secret, NIMH (National Institute of Mental Health), c’est aussi pour les adultes
Brisby est incontestablement, avec le premier Fievel, l’une des plus belles réussites de son auteur. On est encore surpris par les blessures sanglantes de son héroïne, les morts qui jonchent le récit tourbeux, et la relative absence de gags (seul le corbeau loufoque est véritablement chargé d’apporter de la légèreté en accompagnant la dame souris dans sa quête). On n’est jamais envahi par l’ennui, puisque les thématiques parentales, sociales et écologiques s’adressent réellement aux adultes que nous sommes devenus. Le graphisme et la colorimétrie flattent la rétine parant l’ensemble du métrage d’une poésie pastorale que l’on ne retrouve plus dans nos films d’animation depuis bien longtemps, en dehors du cinéma nippon, il est vrai très enclin à magnifier la campagne et les forêts, au sein de leurs mangas.
Bref, des décennies après sa sortie originelle, en authentique classique qu’il est devenu, Brisby a encore beaucoup de secrets à nous révéler, notamment sur nous-mêmes et comment nous avons basculé du statut de spectateur môme à celui de spectateur accompagnateur, au regard plus responsable. On reste toute ouïe.
© Mrs Brisby, LTD 1982. Tous droits réservés / All rights reserved
Box-office de Brisby et le secret de NIMH
Avant de devenir un hit en VHS, Brisby et le secret de NIMH a d’abord été un triste échec à sa sortie en salle aux USA.
Avec 14M$ de recettes, le premier film de Don Bluth a fini en 68e position annuelle, derrière des séries B comme Amityville II, Vice Squad, Dar l’invincible, Terreur à l’hôpital central, Creepshow, Zapped… Même le bide monumental de Grease 2 lui est passé devant. Pourtant Disney ne sortait aucun nouveau film d’animation cette année-là, puisque leur blockbuster estival était un certain Tron qui paraîtrait une semaine après Brisby pour un résultat très laborieux, en 26e position annuelle et seulement 33M$ engrangés.
En fait, la seule grosse sortie d’animation, en 1982, était la reprise d’un certain Bambi, une semaine avant Brisby qui finirait sa course annuelle à 23M$ et en 34e position.
En France, Brisby et le secret de NIMH connaîtra une sortie intéressante pour les fêtes de fin d’année, mais, face à une concurrence très difficile, il se contentera d’une 32e place annuelle. Disney a repris Les Aristochats quinze jours auparavant, et les félins le domineront d’un bout à l’autre, achevant leur retour à 3 millions de spectateurs quand Brisby touchera in fine 1 200 000 spectateurs. Un score plutôt convenable pour Les Artistes Associés quand on sait que le vrai succès de cette fin d’année est un certain E.T. l’Extra-terrestre. Aux USA, le classique de Steven Spielberg était sorti un mois avant NIMH et finirait l’année 1982 à plus de 320 millions de dollars, soit 300M$ de plus que cette pauvre Madame Brisby. Mais Spielberg aura l’œil et repèrera le talent de Don Bluth ; il produira donc son long suivant, Fievel et le nouveau monde, l’incarnation du rêve américain à hauteur de mulot et accueilli pleinement par le public, cette fois-ci.
En France, E.T. l’Extra-Terrestre est l’un des films les plus marketés de l’histoire et son succès sera monumental, avec une première place annuelle, à 7 880 000 spectateurs, soit le 5e plus gros succès de la décennie (l’alien est toutefois revenu dans nos salles terrestres en 1986 pour près de deux millions d’entrées en plus, soit 9 400 000 entrées en fin de décennie 80 et une magnifique seconde place sur la décennie). Forcément, face à ce mastodonte, Brisby et le secret de NIMH était minuscule à côté.
A Paris, en première semaine, le film d’animation ouvre en 6e position, avec 43 156 spectateurs, derrière La Boum N°2 qui entamait sa carrière à 200 820 spectateurs, S.A.S à San Salvador, spectacle pour les adultes qui s’installait dans 7 salles de plus et était digéré par 89 424 entrées. Ensuite, Les Aristochats en 3e semaine, rameutait 86 412 chatons, et La Balance traînait encore 63 916 amateurs de polar en 5e position.
Brisby était à l’affiche du Marignan Pathé, du Clichy Pathé, du Français Pathé, du Quintette Pathé, du Gaumont les Halles, du Gaumont Convention, du Gaumont Richelieu, du Gaumont Gambetta, de la Maxéville, de l’Athéna, du Montparnos, du Mistral, et de 11 cinémas en banlieue. Au Marignan, la production pour souriceaux réjouit alors 4 334 spectateurs, une entame satisfaisante, aidée par la localisation sur les Champs Elysées.
Brisby et le secret de NIHM, affiche américaine © Mrs Brisby, LTD 1982. Tous droits réservés / All rights reserved
En 2e semaine, Brisby est stable grâce à l’approche des vacances (40 573). Tron arrivait en fanfare en 3e place, avec 86 917 spectateurs, et la même combinaison (24 écrans).
La 3e semaine qui englobe une pleine période de vacances, dont Noël, voit Brisby remonter en 6e place, et à 59 361 entrées quand Les Aristochats doublait (déjà) Tron avec 114 000 entrées contre 68 000 pour le film électronique qui n’a pas su retenir l’intérêt du public malgré le marketing high tech qui déferlait.
Brisby et le secret de NIMH saura trouver sa place dans l’imaginaire des jeunes des années 80 grâce à la vidéocassette Warner et de belles rééditions. Don Bluth y trouvera curieusement son 2e plus gros succès après le blockbuster Anastasia, sorti dans l’euphorie des années 90, car curieusement, en 1987, Fievel et le nouveau monde rassemblera moins que prévu sur notre territoire qu’aux USA.
Affiche Jouneau Bourduge © Mrs Brisby, Ltd.1982 Tous droits réservés.
Le test blu-ray (2024)
Rimini Editions poursuit son exploitation de la filmographie de Don Bluth. Après Charlie mon héros, Rock-O-Rico et Fievel et le nouveau monde, l’éditeur ajoute à son catalogue, quatorze ans après une première édition blu-ray assez quelconque, Brisby et le secret de NIMH, le tout premier film de Don Bluth. Pour ce collector de toute beauté, cette fois-ci, vous pouvez vous lâcher…
Compléments & Packaging : 4 /5
On apprécie de retrouver une édition au packaging identique dans la taille, le type de fourreau et d’habillage aux autres titres de la collection Don Bluth, même si les photos pour le digipack n’étaient pas forcément les plus belles. L’édition collector combo DVD + blu-ray contient également 5 cartes postales, comme pour chacune des éditions Don Bluth qui ont précédé cette dernière sortie. Le choix de l’affiche cinéma pour la jaquette est pertinent, le visuel de Jouineau Bourduge a conservé toute sa littérarité.
Au niveau des suppléments, exit le making-of de 15 minutes du premier blu-ray, cette fois-ci, les différentes étapes de production, de tournage et de doublage, sont présentées dans un document audiovisuel de 52 minutes. C’est très pédagogique et l’on est épaté par la somme de travail fourni pour pouvoir réaliser pareil projet (photographier 20 secondes de film équivaut tout simplement à une journée de travail…). Le document s’achève par un Don Bluth loin d’être rancunier vis-à-vis de Walt Disney et qui espère que son travail inspirera à son tour les jeunes enfants. Il a sans nulle doute réussi son pari.
Packaging de Brisby et le secret de NIHM (2024) © Mrs Brisby, LTD 1982. Tous droits réservés / All rights reserved
Le spécialiste en animation, Xavier Kawa-Topor fait une excellente présentation de Brisby, évoquant les origines du film, sa place au sein de l’animation des années 80, la musique prestigieuse de Jerry Goldsmith (qui est un bijou), les problèmes autour du nom de personnage passé de Frisby à Brisby, avec tous les problèmes cocasses de doublage que cela a causé… C’est à la fois synthétique mais très savant, dans tous les cas, toujours passionnant.
Une bande-annonce complète la rubrique supplément.
L’image : 4.5 / 5
L’apport de cette nouvelle copie haute définition est une évidence. La précision du piqué est exemplaire ; la réévaluation des couleurs, accentuées de façon généreuse, mais jamais excessive, apporte une fraicheur indéniable à ce festin graphique. Une restauration réellement magique.
Le son : 4 /5
A l’instar de l’édition blu-ray du début des années 2010, les deux pistes audio de cette réédition se contentent d’un 2.0 en anglais et d’un Mono en français. Mais l’apport de DTS HD est conséquent, notamment pour le score en version originale. La piste française accuse le poids d’un doublage plus en avant ce qui peut écraser la musique, mais vraiment rien de rédhibitoire.
On notera que la version originale propose des voix de vedettes chevronnées comme Derek Jacobi (le leadeur des rats), Dom Deluise (le corbeau) et John Carradine (le grand hibou), mais aussi celle de la jeune Shannen Doherty, dans le rôle de Teresa Brisby, l’une des enfants souris. La jeune comédienne n’avait que 11 ans lors de l’enregistrement du doublage. Elle nous a quittés quinze jours avant l’écriture de ces quelques lignes. Une tragédie.
Jaquette de Brisby et le secret de NIHM, édition Blu-ray 2024 © Mrs Brisby, LTD 1982. Tous droits réservés / All rights reserved