L’adaptation d’une pièce d’Edmond Rostand, d’après le personnage du Roman de Renart, par Don Bluth accouchait d’une œuvre charismatique et attrayante qui ne fut pas récompensée par le succès qu’elle méritait en 1992. Au bonheur de le redécouvrir à l’ère du tout numérique.
Synopsis : Tous les matins, le coq Chantecler commande au soleil de se lever par un terrible “Rock-o-Rico”. Jaloux de son succès, le Grand Duc le provoque en duel. Epuisée, la star du poulailler en oublie alors de chanter : et là, stupeur, le soleil se lève quand même…
Chantecler, le coq qui croyait faire la pluie et le beau temps
Critique : Véritable échec cinématographique aux USA et en France, Rock-O-Rico fut à sa sortie probablement l’une des œuvres les moins attrayantes de Don Bluth. Le projet était difficile à vendre, puisqu’il s’agissait d’une authentique comédie musicale du poulailler, avec un coq comme protagoniste central, que l’on assimile à un King du rock, bref, à une sorte d’Elvis Presley de la basse-cour quand les enfants n’avaient pas forcément envie de se laver les oreilles à la bande-son pêchue des années 50 ou 60. Les tendances jeunes étaient bien différentes et commençaient à s’orienter vers des rythmes plus urbains ou dance, et ce dès le plus jeune âge, époque de la radio FM oblige.
Pour Don Bluth, transfuge de chez Disney au coup de crayon magnifique, l’occasion est à la fois de se distinguer du folklore du studio mythique de l’animation, tout en restant dans un bestiaire du conte proche des intentions animées de Walt Disney en personne, puisque l’adaptation de la pièce de théâtre Chantecler de Rostand ou plutôt du Roman de Renart, avait été envisagée par le père fondateur très tôt, dès les années 30, et fut développée sous différents angles pendant plus de 20 ans, avant d’être in fine abandonnée au début des années 60 pour la mise en chantier de Merlin l’enchanteur.
Quand s’industrialisait l’animation, Don Bluth entre chant du coq ou chant du cygne
Au début des années 90, Disney avait connu une renaissance magnifique qui allait donner à tous les studios hollywoodiens des intentions d’animation au vu des recettes stellaires désormais amassées. La petite sirène (1990), La Belle et la Bête (1991), et Aladdin (1992), c’est-à-dire des blockbusters à part entière, se sont succédé à un rythme industriel d’un film par an, avec une qualité qui leur permettait de glaner des nominations aux Oscars et de dépasser les 100M$, puis les 200M$ de recettes au box-office. L’apothéose sera Le roi Lion en 1994, avec 300M$.
Ces résultats étaient inimaginables quelques années plus tôt, à l’époque de Taram et le chaudron magique ou de Basil détective privé, puisque le long métrage animé Disney était frappé par l’infamie de l’échec commercial dans les années 80, quand Don Bluth, de son côté, aidé par Steven Spielberg, faisait une irrésistible percée. Fievel et le nouveau monde (1986) et Le petit dinosaure et la vallée des merveilles (1988), donc les 2e et 3e longs de Don Bluth, accompliront des chiffres finaux deux fois plus élevés que ceux de Taram et le chaudron magique, et évidemment, supérieurs à Basil détective privé.
Fort de son ascension à la notoriété – il est le seul à rivaliser avec Disney dans les années 80 -, Don Bluth va toutefois connaître un échec avec le mélancolique Charlie (All Dogs Go To Heaven), en 1989, qui va toutefois mettre à mal son ascension. Rock-O-Rico en 1991 sapera un peu plus ses efforts d’originalité et d’excentricité quand l’animation s’industrialise en ouvrant les bras aux techniques du numérique qui couleront à jamais l’auteur avec Titan AE, accident industriel entièrement réalisé en images de synthèse, qui mettra un terme à la carrière du légendaire animateur.
Une sortie par le distributeur légendaire Forum Distribution
Rock-O-Rico émerge chez un distributeur indépendant en France, le formidable Forum Distribution. Né au tout début des années 80, cette société mythique avait révélé Hector Babenco (Pixote, la loi du plus faible), Jim Jarmusch (Stranger than Paradise), Lars Von Trier (Element of Crime), Leos Carax (Boy Meet Girls), Virginie Thevenet (La nuit porte-Jaretelles), Olivier Assayas (Désordre), Krzysztof Kieslowski (Brève histoire d’amour), Claire Devers (Noir et blanc), Gus Van Sant (Drugstore Cowboy), Whit Stillman (Metropolitan), Arnaud Desplechin (La vie des morts), et même Xavier Beauvois (Nord).
Distributeur d’une génération, Forum avait eu également le nez en sortant en 1991 un premier film d’animation dans leur répertoire, le mythique Akira d’Otomo. Malheureusement, en 1992, la société vit ses derniers mois et Rock-O-Rico sonne comme le chant du cygne, métaphore aviaire volontaire. Néanmoins, le choix confirme une fois de plus le flair de son équipe, puisqu’il s’agissait ici de récompenser un auteur méritant sur un projet exaltant, car in fine, malgré quelques défauts patents, Rock-O-Rico est bel et bien une somptueuse réussite artistique.
Un cinéma d’une beauté intemporelle
Le film animé est un récit de l’illusion : un coq orgueilleux et machiste qui règne en vedette sur la ferme, admiré pour la qualité de son chant que l’on associe à la levée du soleil, devient l’objet de moqueries collectives quand on découvre que l’apparition de l’astre de feu n’est nullement liée à ses qualités vocales. La mort de dieu vient de tomber et l’animal plumé part en ville vivre la gloire, mais aussi connaître la solitude, loin de ses vrais amis. Evidemment, son départ sera l’occasion pour de terrifiants hiboux grands-ducs de prendre le pouvoir et d’imposer les ténèbres dans le territoire anciennement protégé par le coq Chantecler. Toute ressemblance avec des personnages de Brisby et le secret de Nimh est forcément volontaire.
Avec la même beauté visuelle, de trait et de design que dans les films Disney des années 70 et 80, Don Bluth dispose certes d’un budget peu élevé pour faire des miracles, mais parvient souvent à en réaliser. Rock-O-Rico est ambitieux visuellement, riche, foisonnant d’idées et de personnages tantôt attachants ou effrayants, et parvient sans grand mal à faire d’une figure peu évidente à humaniser comme le coq, un véritable personnage, même si Chantecler, qui disparaît un temps de l’écran, n’est pas toujours le protagoniste central lors de nombreuses séquences.
Le succès de l’anthropomorphisme a toutefois des limites, celles d’un scénario aux choix parfois contestables. En se dégageant du tout animé, lors de quelques (heureusement rares) scènes live, autour d’un petit enfant, le charme est rompu. Celui-ci est invité à plonger dans le décor animé sous les traits d’un chat mignon. Le procédé de mise en abîme évoque évidemment celui de L’histoire sans fin, monument du conte, mis en image par Wolfgang Petersen en 1984, où l’on retrouvait aussi un enfant lecteur impliqué de façon surnaturelle dans l’ouvrage qu’il dévorait.
C’est avec enthousiasme que l’on réagit à ce festin de sons et d’images, où la musique vintage, avec, entre autres, la voix du grand Eddy Mitchell pour les séquences chantées. En haute définition, des décennies après, la splendeur visuelle resplendit d’autant plus que l’aspect kitsch qui pouvait servir de repoussoir en 1992, est aspiré par la beauté du conte qui s’en nourrit pour le rendre exaltant et intemporel. Indubitablement du grand Bluth.