Incontestablement le meilleur film de Stelvio Massi, Magnum 44 spécial propose une vision nuancée des années de plomb en Italie du sud. La réflexion et le drame priment ici sur l’action, le tout sur fond de musique mélancolique. Une bonne pioche !
Synopsis : À Bari, le commissaire Jacovella cherche par tous les moyens à mettre sous les verrous Ragusa, un industriel en apparence respectable, mais qui se livre à des activités frauduleuses. Lors d’un braquage, un policier est tué. Mais le tueur, un adolescent plein de remords, détient des preuves pour faire tomber Ragusa…
Un poliziottesco plus ambitieux pour Stelvio Massi
Critique : Il est tout d’abord important de signaler que 44 spécial (titre cinéma déposé au CNC) ou Magnum 44 spécial (titre VHS des années 80) ne doit surtout pas être confondu avec Agent très spécial 44 du même Stelvio Massi et tourné durant la même année 1976. En réalité, le film qui nous occupe ici s’intitule La legge violenta della squadra anticrimine, tandis que le deuxième est titré Mark colpisce ancora et constitue le troisième volet des aventures de Marc la gâchette (en France, Un flic voit rouge, puis Marc la gâchette et Agent très spécial 44, donc). De quoi y perdre son latin !
Lorsqu’il réalise Magnum 44 spécial, Stelvio Massi est donc déjà un spécialiste du poliziottesco puisqu’il a déjà tourné la trilogie à succès menée par l’acteur Franco Gasparri. Pourtant, avec ce nouvel opus, celui qui n’a réalisé que des divertissements inoffensifs, notamment pour le compte de Maurizio Merli ou encore Tomas Milian, semble gagné par une volonté soudaine d’approfondir des thématiques habituellement traitées par-dessus la jambe. Peut-être doit-on y trouver ici l’influence du scénariste Lucio De Caro à qui l’on doit déjà l’extraordinaire script de Société anonyme anti-crime (1972), tout bonnement l’un des meilleurs films de Steno, dans un style similaire à celui de Magnum 44 spécial (1976).
Quand un flic s’oppose à la presse!
Alors que les autres longs métrages de Stelvio Massi proposent généralement une orientation politique droitière et populiste, 44 spécial se distingue par sa volonté de creuser les raisons qui poussent les différents personnages à agir. Certes, le personnage de flic incarné par John Saxon est un pur produit du néofascisme puisqu’il n’hésite jamais à jouer du flingue et qu’il tabasse à tour de bras les criminels et autres suspects. Toutefois, contrairement aux vigilantes qui peuplent d’ordinaire les films du cinéaste, il ne contrevient pas à la loi et cherche par tous les moyens à rétablir l’ordre et la justice.
Face à lui, le journaliste de gauche interprété avec justesse par Renzo Palmer entend dénoncer les comportements violents des policiers afin d’éveiller les consciences. Pourtant, lui non plus n’hésite pas à calomnier autrui dans les colonnes de son journal. Certes, ses intentions politiques sont respectables, mais les méthodes employées ne sont guère plus honorables que celles de son adversaire politique.
Une génération perdue au cœur d’un affrontement politique destructeur
Au milieu de cet affrontement typique de l’époque des années de plomb, les auteurs placent un jeune homme qui se laisse embarquer dans un casse foireux et qui devient la proie à la fois de la mafia, des flics et des journalistes. Interprété avec beaucoup de nuances par l’acteur de théâtre Lino Capolicchio, le jeune garçon se retrouve au centre d’événements qui le dépassent et dont il sera inévitablement la victime. Ballotté entre les truands – dont le terrible parrain aveugle incarné avec puissance par Lee J. Cobb dans l’un de ses derniers rôles – les policiers et les paparazzi, l’apprenti criminel constitue l’élément tragique au cœur d’un film qui étale au grand jour le malaise de la société italienne des années 70.
Cette dimension tragique est soulignée par la musique mélancolique de Piero Pintucci qui détonne dans un genre habituellement plus punchy. Dès le générique d’ouverture, le ton dramatique de l’ensemble est donné et Stelvio Massi ne s’en détourne jamais. Certes, il signe bien une ou deux séquences d’action, mais l’essentiel est ailleurs. Sa réalisation très dynamique est mise au service d’une œuvre parfois quasiment documentaire.
Une dimension documentaire intéressante
Outre l’exploration attentive de la ville de Bari (dans les Pouilles, sur la côte adriatique) qui propose des vues inédites car cette ville a rarement été filmée, Magnum 44 spécial s’invite au cœur du journal local La Gazzetta del Mezzogiorno pour en décrire le fonctionnement. Le cinéaste s’intéresse aux différentes étapes de fabrication du canard et livre ainsi une œuvre documentée s’insérant dans un contenu sociétal pertinent. Cela octroie d’autant plus de poids à sa dénonciation politique qui accuse globalement les gouvernants de collusion avec la mafia, afin de conserver la mainmise sur le pays.
Sans jamais se faire explicite, le long métrage préfère donc confronter des personnages venus d’horizons différents pour peindre le portrait d’une petite ville de province dont on imagine qu’elle représente à elle seule les vicissitudes nationales en ces temps troublés. La tristesse générale qui se dégage du film se fait l’écho parfait du désarroi de la population italienne de cette époque. Il serait donc vraiment dommage de négliger ce poliziottesco qui s’élève quasiment au niveau des meilleures œuvres de cinéastes plus politisés comme Elio Petri par exemple.
44 spécial ou Magnum 44 spécial ?
Alors que le site Encyclociné indique une sortie française du film dans le sud de la France sous le titre 44 spécial (titre également déposé au CNC), il est difficile d’en retrouver trace. Il semble donc que la véritable sortie intervient avec la VHS éditée par Delta Vidéo en 1984 et titrée Magnum 44 spécial. C’est sous ce titre qui tente de surfer sur les films d’un certain Clint Eastwood que le long métrage est davantage connu chez nous. Il a également été repris pour l’édition DVD et blu-ray proposée par Elephant Films dans le cadre de son excellente collection consacrée au polar italien. Le métrage y est présenté dans une copie inégale, mais globalement propre, agrémenté de suppléments plutôt intéressants.
Critique de Virgile Dumez
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Stelvio Massi, John Saxon, Lee J. Cobb, Thomas Hunter, Lino Capolicchio, Teodoro Corrà, Antonella Lualdi, Renzo Palmer
Mots clés
Cinéma italien, Poliziottesco, Film de mafia, Les braquages et hold-up au cinéma, Les années de plomb