Réalisateur et scénariste français, Marcel Carné est né à Paris en 1906 d’un père ébéniste. Il est marqué par le décès de sa mère alors qu’il avait cinq ans. Son père s’est révélé incapable de l’élever et le petit garçon a donc été choyé par sa grand-mère et sa tante. Une fois jeune homme, son père le pousse en apprentissage pour devenir ébéniste comme lui, mais cela ne fonctionne pas et le jeune homme de 17 ans se retrouve alors dans les assurances.
Marcel Carné, l’assistant et critique de cinéma
Parallèlement, il développe sa passion pour le théâtre et le cinéma en suivant des cours de photographie. Grâce à sa rencontre avec l’actrice Françoise Rosay chez des amis communs, Marcel Carné met un pied dans le monde du cinéma tant désiré et devient assistant. On est alors encore à l’époque du muet et Marcel Carné travaille notamment avec Jacques Feyder sur le classique Les nouveaux messieurs (1929). Après avoir effectué son service militaire en Allemagne, Marcel Carné revient en France et devient critique de cinéma.
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C’est en 1929 qu’il réunit une petite somme d’argent pour réaliser son premier court-métrage intitulé Nogent, Eldorado du dimanche (1929). Toutefois, ce coup d’essai ne débouche pas encore sur une carrière dans le long-métrage. En fait, Marcel Carné continue à assister des grands noms comme René Clair, tout en tournant pas mal de publicités. Il retrouve Jacques Feyder qu’il assiste sur Le grand jeu (1934) et surtout La kermesse héroïque (1936).
La rencontre d’une vie : Marcel Carné et Jacques Prévert
Encore grâce à Jacques Feyder et son amie Françoise Rosay, Marcel Carné parvient enfin à passer au long-métrage en tant que réalisateur. Ils signent ensemble Jenny (1936), mais c’est aussi l’occasion pour Carné de rencontrer et de collaborer pour la première fois avec le poète Jacques Prévert. Avec ce premier film commun, les deux artistes mettent en place les bases du réalisme poétique où l’amour fou est central.
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Le film suivant, Drôle de drame (1937) mené par la verve de Louis Jouvet et de Michel Simon est une comédie grinçante qui reçoit un accueil glacial à sa sortie. Pourtant, le métrage a gagné progressivement son statut de film culte et de grand classique du cinéma français d’avant-guerre. Très en verve, Marcel Carné enchaîne avec Hôtel du Nord (1938) qui est cette fois dialogué par Henri Jeanson. Pour autant, le film est un nouveau classique, marqué par des répliques inoubliables déclamées par des acteurs impeccables au rang desquels Arletty, Louis Jouvet et Jean-Pierre Aumont.
Le temps des chefs d’œuvre du réalisme poétique
Pourtant, Marcel Carné retrouve très vite Prévert pour signer quelques-uns des chefs d’œuvre impérissables du cinéma français. Ils tournent le magnifique Le quai des brumes (1938) avec l’inoubliable duo formé par Jean Gabin et Michèle Morgan, puis osent bousculer les conventions cinématographiques en créant Le jour se lève (1939). Deux ans avant Citizen Kane (Orson Welles, 1941), le drame implacable invente le flashback en tant que moteur du récit. Jean Gabin y est encore phénoménal. Ces deux dernières œuvres effraient à l’époque les spectateurs par leur grande noirceur.
Avec l’arrivée de la guerre et la capitulation française, Marcel Carné commence à travailler sous contrat avec la Continental d’Alfred Greven, mais plusieurs désaccords ont fini par envenimer leurs relations et Carné ne tourne donc aucun film pour la compagnie issue de la collaboration avec l’Allemagne. En 1942, André Paulvé se lance dans la production du prochain projet du duo Carné – Prévert, à savoir le rêverie médiévale Les visiteurs du soir (1942). Le tournage est homérique et coûteux et le film sort finalement sur les écrans en 1942 avec un très beau succès financier à la clé. Le métrage reste à l’affiche de nombreux cinémas durant toute l’année 1943 partout en France.
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Toutefois, c’est à la Libération que les duettistes proposent aux spectateurs ébahis leur chef d’œuvre absolu en deux parties : Les enfants du paradis (1945). Le long-métrage explose tous les pronostics et se place à la troisième place annuelle du box-office de cette année exceptionnelle avec plus de 4,7 millions d’entrées. Le métrage est proposé en compétition au Festival de Venise en 1946 où il obtient le Prix de la critique internationale, puis aux Oscars en 1947 où il glane la statuette du meilleur scénario original pour Jacques Prévert. Autant de récompenses largement méritées pour ce sommet du cinéma national.
Le difficile rebond de l’après-guerre
A partir de telles cimes, il était difficile de rebondir. En 1946, Carné et Prévert offrent un rôle majeur à Yves Montand dans le superbe Les portes de la nuit (1946), mais le long-métrage semble comme anachronique, reprenant les ambiances développées par les auteurs dans les années 30. Cela n’empêche pas le film d’attirer 2,5 millions de spectateurs dans les salles et de conforter la position du duo Carné – Prévert.
Pourtant, la période dorée du réalisateur semble derrière lui. Marcel Carné commence ainsi le tournage de La fleur de l’âge (1947) avec sa fidèle Arletty, mais le drame demeure inachevé et il ne reste que des photographies de plateau d’un ensemble qui a totalement disparu de la circulation. En tout cas, ce projet avorté précipite le divorce entre Marcel Carné et Jacques Prévert.
Malheureusement, l’alchimie qui fonctionnait tant entre les deux créateurs va être absente des futures œuvres de Marcel Carné, même s’il a encore tourné des films corrects, mais où il manque toujours quelque chose. Ainsi, La Marie du port (1950) avec le fidèle Jean Gabin évacue la plupart des thèmes habituels de l’ancien duo, mais le métrage – quoique correct – ne possède pas le charme des œuvres précédentes. Le métrage réunit tout de même 2,6 millions de spectateurs dans les salles. En 1951, Marcel Carné engage Gérard Philipe qui est alors en pleine ascension pour Juliette ou la clé des songes. Cette fois, l’échec commercial est cinglant avec seulement 513 083 rêveurs sur toute la France. Un véritable désaveu du grand public.
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Grâce à Emile Zola, Marcel Carné retrouve un peu de sa superbe avec Thérèse Raquin (1953) porté par Simone Signoret. Toutefois, le drame social apparaît comme un peu trop froid et désincarné. Il obtient le Lion d’argent de la meilleure réalisation au Festival de Venise 1953 et attire dans les cinémas 2,3 millions de spectateurs. Avec L’air de Paris (1954), le cinéaste retrouve Jean Gabin et franchit la barre des 2 millions de clients pour cette œuvre ambitieuse.
Un dernier sursaut avec Les tricheurs
Si l’on peut oublier facilement la comédie musicale Le pays d’où je viens (1956) avec Gilbert Bécaud, au demeurant sympathique, le réalisateur retrouve une certaine verdeur en faisant tourner des acteurs de la jeune génération dans Les tricheurs (1958). Cette peinture de la jeunesse remporte un triomphe inattendu avec 4,9 millions de spectateurs. Il s’agit du plus beau succès du réalisateur sans son complice Prévert.
Pourtant, ce dernier coup d’éclat reste sans lendemain et la suite de sa carrière ira en s’affaissant progressivement. Cela commence avec l’oubliable Terrain vague (1960), mais le cinéaste n’est guère plus à l’aise dans la comédie avec Du mouron pour les petits oiseaux (1963) qui n’arrive pas au million d’entrées. Pire, le thriller Trois chambres à Manhattan (1965), avec des pointures comme Maurice Ronet et Annie Girardot échoue à réunir 500 000 amateurs de film noir.
En 1968, le réalisateur tente de se remettre dans le coup comme du temps des Tricheurs (1958) et dégoupille Les jeunes loups (1968) qui est un nouvel échec artistique et commercial (735 182 entrées). On notera d’ailleurs que le cinéaste y aborde de manière très discrète l’homosexualité, puisque lui-même était gay dans le plus grand des secrets, époque oblige.
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Désormais franchement dépassé, Marcel Carné tourne avec le chanteur Jacques Brel Les assassins de l’ordre (1971), un film très décevant. Grâce à la popularité de son acteur principal, il parvient à franchir la barre symbolique de 1,1 million d’entrées, mais les critiques demeurent acerbes. Que dire de La merveilleuse visite (1974) qui reçoit un joli accueil de la part du public – plutôt rare – mais qui se fait railler par la critique.
Il s’agira finalement du dernier long-métrage de fiction de l’auteur, dégoûté de l’accueil de sa dernière œuvre. Marcel Carné tourne encore le documentaire La Bible (1977) qui sortira dans quelques salles parisiennes en… 1984 seulement.
Même s’il a tenté de monter Mouche jusqu’à la fin de sa vie, Carné était désormais trop âgé pour que des producteurs s’engagent dans le financement d’un tel projet. Marcel Carné décède en 1996 à l’âge de 90 ans et il laissera à la postérité ses magnifiques œuvres conçues avec le grand poète Jacques Prévert. Aucun des deux hommes n’aurait atteint un tel niveau de perfection sans l’autre. Le procès de savoir qui a fait quoi est donc parfaitement stérile.