Cheryl Smith est une actrice des années 70 à la vie tragique qu’il ne faut pas oublier. Article hommage à cette étincelle de vie qui a flambé jusqu’aux souvenirs des cinéphiles. Il est temps de se souvenir.
Egérie du cinéma d’épouvante, de comédies de pom pom girls et musicienne qui accompagnera Joan Jett, Cheryl Smith est une actrice omniprésente aux USA, dans des petits rôles qui lui permettront de côtoyer les sommets du box-office (parfois) et surtout de trouver sa place au panthéon de celles qui ont fait le cinéma culte d’une décennie.
Une Lolita à Cannes
Sa mère, dans le showbiz en tant que danseuse accepte une proposition qui déterminera la carrière de son adolescente de fille. Laisser celle-ci interpréter le rôle principal d’un film d’épouvante : Lemora: A Child’s Tale of the Supernatural. Ce lady Dracula méconnu en France où il ne fut pas exploité en salle, est culte outre-Atlantique et marque les débuts cinématographiques remarqués d’une jeune nubile dans un cinéma gothique de qualité. Le métrage, très soigné, s’ouvre et se referme comme une grand-messe sur fond d’immortalité. Un parfum de tristesse et de mélancolie émane de l’ensemble, comme de la carrière tragique de Cheryl.
Au cinéma, Cheryl Smith avait été aperçue comme figurante non créditée dans Evel Knievel de Martin Chomsky en 1971, une série B d’action avec George Hamilton et la sulfureuse Sue Lyon, la Lolita de Kubrick.
La même année, Cheryl était Aphrodite, dans un court métrage, The Birth of Aphrodite, qui sera sélectionné à Cannes en 1972, dans la compétition destinée à ce format. Les prémices d’une carrière à suivre. Elle n’a alors que 16 ans et le rôle de “chérubine” vampire l’attend dans Lemora. L’époque est sulfureuse tout court.
Et Cheryl Smith devînt Rainbeaux Smith
Cheryl Smith gagne en visibilité dans le prémonitoire 5 femmes à abattre de Jonathan Demme, une production Roger Corman qui arrivera sur les écrans français avec 10 ans de retard. Ce Women in Prison movie la conduit à prendre un pseudonyme et non des moindres : Rainbeaux Smith. C’est sous ce doux patronyme qu’elle apparaîtra quasi systématiquement au cinéma. Et surtout que les Américains la connaîtront.
Jonathan Demme la dirigera d’ailleurs à nouveau dans Melvin et Howard en 1980, production méconnue, avec Paul Le Mat et Mary Steenburger, pourtant distribuée en France en 1982, avant nos 5 Femmes à abattre. Malheureusement, avant qu’elle n’arrête sa carrière cinématographique, Demme n’est pas encore le cinéaste majeur qu’il deviendra notamment avec Stop Making Sense, Dangereuse sous tous rapports et Le silence des Agneaux.
La même année que 5 femmes à abattre, Cheryl Smith fait une apparition, sans le savoir, chez un monument du cinéma, Brian De Palma. Elle est une groupie dans le “musical” Phantom of the Paradise. Un titre ironique pour une jeune artiste férue de musique, peut-être plus que de cinéma, qui ira du paradis directement en enfer. Phantom of the Paradise lui permet en tout cas d’obtenir sa carte au syndicat des acteurs, la sacrosainte carte de la Screen Actors Guild, qui marque une véritable reconnaissance pour les comédiens, tel un rite de passage. Et parmi les films importants où elle pose sa bouille, on cite Adieu ma jolie de Dick Richards, une adaptation de Chandler produite Jerry Bruckheimer, avec Robert Mitchum en Marlowe, et avec Charlotte Rampling. Parmi les noms inconnus à l’époque, un certain Sylvester Stallone qui est à moins de deux ans du premier Rocky.
Cheers, vous êtes célèbre : Cheryl et les Cheerleaders movies
La jeune femme arbore le pseudonyme de Rainbeaux Smith notamment pour les comédies de cheerleaders si populaires alors aux USA. Jack Hill, connu pour Coffy, la panthère noire de Harlem et Foxy Brown l’engage dans The Swinging Cheerleaders (1974). Cette production d’exploitation, potache et sexy est inédite en France, contrairement à Lâche-moi les baskets de Joseph Ruben, autre comédie potache, mais avec Robert Carradine. On notera que la jeune femme figure en France dans un certain Les baskets se déchaînent de Renee Daalder, en salle en 1978. Il s’agit nullement d’une suite au film de Joseph Ruben, malgré la présence commune de Robert Carradine, mais d’un film de violence au schéma horrifique, qui se tient dans un lycée américain. Il a été vendu en France comme un divertissement pour puceaux de 16 ans, cachant sa barbarie de trame. D’ailleurs, pour vendre cette escroquerie, on remarquera le T-shirt arboré par l’un des jeunes sur l’affiche, sur lequel on peut lire Lâche-moi les baskets. Il fallait oser. Il n’empêche que ces Baskets se déchaînent, sous son vrai titre, Massacre at Central High, est un vrai film culte à découvrir.
Enceinte, nue et sur tous les écrans
De tous les divertissements de majorettes, s’il y a bien un film qui tient à cœur à la jeune comédienne, c’est bien Revenge of the Cheerleaders, de Richard Lerner (1976). Cette suite au film de Paul Glicker (The Cheerleaders, 1973) que Lerner avait coécrit et produit, elle l’accepte alors qu’elle est enceinte de plusieurs mois. Le cinéaste apprend sa condition et convainc les producteurs d’appuyer l’idée d’une pom-pom girl enceinte. Elle accouchera de son fils, Justin Sterling, dont le père est le guitariste John Sterling, en septembre 1974. Celui-ci est devenu depuis mannequin et musicien.
Les films s’enchaînent, Rainbeaux Smith se déchaîne
Entre 1976 et 1978, Rainbeaux Smith est énormément sollicitée, avec 15 films, beaucoup de figuration non créditée (L’âge de Cristal de Michael Anderson, par exemple) et joue même chez Robert Aldrich dans Bande de flics (The Choir Boys, 1977). La plupart des films restent toutefois des oeuvres légères, du cinéma de genre, de l’exploitation, de la comédie adolescente…
Ainsi, elle figure dans le film d’exploitation L’enfer des Mandingos (Drum) de Steve Carver, suite de Mandingo de Richard Fleischer avec Warren Oates et Pam Grier (1976). Dans ce flop commercial monumental, elle y incarne une fille d’esclavagiste détestable. Le public hait tout particulièrement son personnage. Tout comme elle. Elle est aussi dans la comédie Slumber Party 57 de William Levey (1977), avec Debra Winger et Janet Wood. Attention, OVNI pour les Français, puisqu’il est sorti sur notre territoire attifé comme un film pornographique sous le titre de Plaisirs sexuels au pensionnat et de Ça frime chez les minettes en 1979, dans des salles spécialisées comme l’Amsterdam, à Paris. On imaginerait que des inserts pornographiques ont été ajoutés, mais selon les Saisons cinématographiques de l’époque :
“(…) la distribution française est capable est capable de franchir toutes les limites de la laideur et de l’escroquerie en “caviardant”” le film de W. Levy de scènes aux couleurs cadavériques… mais pas pornographiques ! Un comble, un mystère !” (J.L. C., Les Saisons Cinématographiques, 1979, page 49).
Cheryl Smith figure aussi dans le culte Le monstre qui vient de l’espace de William Sachs (1977), qui est vendu dans le monde entier, puis trois projets des Band (Albert et Charles), fondateurs de Empire (future firme de Re-animator, ndlr). Il s’agit de Rayon Laser de Michael Rae, et Cinderella de Michael Pataki (1977), donc deux productions de Charles Band, puis ce dernier la dirigera lui-même en tant que cinéaste dans Parasite en relief (1981) où débute une certaine Demi Moore. Cheryl Smith appréciait beaucoup la famille Band et peut les remercier pour Cinderella puisqu’il s’agit de son vrai premier rôle principal en tant qu’adulte. Le film de Pataki, disponible en VOD sur la plateforme Full moon (société qui succéda à Empire), est une étrangeté musicale, coquine et surréaliste, avec ses moments de comédie, de grotesque, et d’expérimental.
Les autres films de Cheryl Smith sont Faut trouver le joint (Up in Smoke) de Lou Adler (1978), avec Cheech & Chong qu’elle retrouvera en 1981 dans Cheech & Chong’s Nice Dreams, un beau succès américain.
Joan Jett, Cheryl Smith et les Runaways : une vie rock’n’roll
Entre les deux comédies avec Cheech & Chong, Rainbeaux Smith prend une pause dans sa carrière d’actrice pour la musique, sa passion première. Elle devient batteuse pour Joan Jett, après le départ de deux membres de la formation des Runaways (voire le biopic avec Kristen Stewart). Chanteuse, musicienne et batteuse dans un groupe entièrement composée de femmes, les L.A. Girls, elle est repérée et devient Sandy au sein du nouveau groupe de la future star d’I Love Rock’n’roll. Outre sa participation au sein des Runaways, Cheryl Smith est embauchée comme choriste sur le premier album solo de Jett, Bad Reputation (1980), sous le nom de Rainbow Smith.
Retour au cinéma : une descente aux enfers
En 1980, Cheryl Smith réalise son grand retour au cinéma sans délaisser la musique. Elle figure ainsi sur la bande-originale de Cruising – la chasse, le film subversif de William Friedkin avec Al Pacino qui se déroule dans le milieu cuir hard de la communauté homosexuelle de New York. Elle figure effectivement à la batterie sur le morceau aussi rock que sa vie, When I Close My Eyes I See Blood de Madelynn Von Ritz. Outre le film de Jonathan Demme Melvin and Howard, elle incarne une prostituée dans un thriller urbain d’une grande violence : Descente aux enfers, aka Vice Squad. Le réalisateur Gary Sherman livre l’un de ses films les plus importants, notamment grâce à son sujet à la mode et au marché de la VHS où il triomphera.
Cheryl Smith vit une vie désormais borderline en raison de ses addictions à la drogue. A un an de son dernier film, elle trouve un rôle non parlant dans le célèbre Les cadavres ne portent pas de costard de Carl Reiner, en 1982. Elle est Veronica Lake, rôle encore prophétique. La femme fatale américaine, décédée d’une hépatite en 1973, avait elle aussi connu une vraie descente aux enfer, à cause de l’alcool, et était retombée dans l’anonymat.
Comédie culte des années 80, Les cadavres ne portent pas de costard est l’un des meilleurs de la courte carrière de Cheryl Smith. Le pastiche du cinéma noir met en scène Steve Martin entre parmi ses plus grands succès, du moins l’un des plus dignes, face aux comédies légères des années 70.
Finalement, Cheryl Smith doit arrêter sa carrière, devenue incompatible avec ses addictions. Emportée par l’auto-destruction, elle s’écarte de toute vie sociale rationnelle. Elle apparaît une ultime fois au casting d’Independence Day, pas celui d’Emmerich, mais plutôt celui de Robert Mandel (1983). Kathleen Quinan et David Keith sont les têtes d’affiche. S’il s’agit de son derneir rôle au cinéma, il s’agit au moins d’un film de studio puisque produit par Warner Bros.
Déchéance d’une icone : héroïne, prison, rue… mort
En 1983, la vedette de Lemora (alors enfin disponible en vidéocassette en France, chez Scherzo Vidéo) et de la comédie musicale Cinderella n’est plus que l’ombre d’elle-même. Usée après plus de 10 ans dans le métier, elle n’a pourtant pas encore trente ans, puisqu’officiellement née en 1955, mais sa date de naissance est contestée par l’un de ses derniers amis, Chris Harbour. Ce dernier signe un magnifique papier à sa mémoire après sa mort, l’un des seuls évoquant en profondeur cette actrice dont il décrit entre autres les vingt dernières années. Il relate une addiction qui la coupe du monde et l’envoie à plusieurs reprises derrière les barreaux. Quand elle parvient à sortir de prison et à mener une vie sobre, la rechute n’en est que plus dramatique. Selon Chris Harbour, la jeune femme finit à la rue et fait de nombreux aller-retours en prison. Une déchéance nourrie par son incapacité à reprendre le dessus sur l’héroïne.
Après deux décennies d’addiction, l’ancienne gloire des années 70 disparaît à jamais. Isolée d’Hollywood, sa mort intervient dans l’anonymat. La raison ? Une hépatite résultant de ses excès. Oui, jusqu’à la maladie, il y avait effectivement beaucoup de Veronica Lake chez Cheryl Smith ou Rainbeaux Smith, pour reprendre ce magnifique pseudonyme éthéré qui demeure à l’esprit des Américains. Elle restera pour eux cette belle jeune femme pleine d’entrain dans une société folle où la soif de liberté détruisit tant de destins. Un arc en ciel de jouvence qui procurait tant de bonheur à l’écran. A nous désormais de ne pas l’oublier.
Ils nous ont quittés en 2002
Les destins tragiques
Filmographie de Cheryl Smith
- 1971 : Evel Knievel, de Martin Chomsky
- 1973 : Lemora : un conte du surnaturel (Lemora: A Child’s Tale of the Supernatural), de Richard Blackburn
- 1974 : 5 femmes à abattre (Caged Heat) de Jonathan Demme
- 1974 : The Swinging Cheerleaders de Jack Hill
- 1974 : Phantom of the Paradise, de Brian De Palma
- 1975 : Adieu, Ma Jolie (Farewell, My Lovely), de Dick Richards
- 1976 : Revenge of the Cheerleaders de Richard Lerner
- 1976 : L’enfer des Mandingos (Drum), de Steve Carver
- 1976 : Lâche-moi les baskets (The Pom Pom Girls), de Joseph Ruben
- 1976 : Les baskets se déchaînent (Massacre at Central High), de Renee Daalder
- 1977 : Plaisirs sexuels au pensionnat (Slumber Party 57), de William Levey
- 1977 : Cinderella, de Michael Pataki
- 1977 : Bande de flics (The Choir Boys), de Robert Aldrich
- 1977 : Le monstre qui vient de l’espace (The Incredible Melting Man), de William Sachs
- 1978 : Faut trouver le joint (Up in Smoke), de Lou Adler
- 1979 : Rayon Laser (Laserblast), de Michael Rae
- 1980 : Melvin et Howard (Melvin (and Howard)), de Jonathan Demme
- 1981 : Nice Dreams, de Tommy Chong
- 1982 : Parasite en relief (Paraside), de Charles Band
- 1982 : Descente aux enfers (Vice Squad), de Gary Sherman
- 1982 : Les cadavres ne portent pas de costard (Dead Men Don’t Wear Plaid), de Carl Reiner
- 1983 : Independence Day, de Robert Mandel