Thriller froid et sophistiqué, Visions s’affranchit d’un certain cartésianisme pour explorer des territoires plus mouvants, au risque de perdre la majorité des spectateurs venus chercher un film plus commercial. Les autres pourraient être séduits par son esthétique travaillée et son ambiance poétique et incertaine.
Synopsis : Estelle est une pilote de ligne expérimentée. Elle alterne les vols long-courriers et sa vie de couple avec son mari Guillaume. Malgré le jet lag et quelques troubles du sommeil, Estelle a une vie parfaite et bien organisée. Tout cela va être chamboulé du jour au lendemain quand, à l’aéroport de Nice-Côte d’Azur, Estelle retrouve par hasard Ana, une photographe avec laquelle elle était en couple il y a plus de 20 ans.
Yann Gozlan risque le crash
Critique : Révélé par le polar Un homme idéal (2015) qui surfait sur la récente popularité de l’acteur Pierre Niney, le cinéaste Yann Gozlan a su nous séduire à plusieurs reprises depuis ce coup d’éclat qui effaçait la mauvaise impression laissée par le raté Captifs (2010). Ainsi, son Burn Out (2017) était une réussite patente qui n’a guère trouvé l’écho qu’il méritait en salles, tandis que Boite noire a su convaincre les plus réticents de la qualité de son travail de réalisation. Très commercial dans son déroulement, Boite noire a marqué les spectateurs pour sa gestion parfaite de la tension dramatique.
Autant dire tout de suite que Visions ne risque pas de générer la même ferveur tant le nouveau long-métrage du cinéaste se veut avant tout un exercice de style détaché de toute volonté purement commerciale. Pourtant, sur le papier, le film semble se situer dans la continuité de son précédent succès puisqu’il s’agit encore d’un thriller et que l’héroïne est une pilote de ligne. Pour autant, les deux films n’entretiennent quasiment pas de rapports si ce n’est la volonté de perdre le spectateur dans un univers flottant où tous les possibles sont convoqués.
Une pilote de ligne qui perd pied
Mais avec Visions, le cinéaste fait le pari risqué de ne plus se conformer au cartésianisme si cher au public français et arpente des territoires plus escarpés et dangereux, notamment en termes de box-office (ce que semble d’ailleurs confirmer la première semaine décevante et des échos globalement mitigés). Il faut dire que le réalisateur a pris le bâton pour se faire battre en proposant une réalisation très sophistiquée, à la limite du maniérisme afin de peindre le portrait d’une femme en pleine crise identitaire.
Ainsi, le thriller semble démarrer sous les auspices du maître du suspense Alfred Hitchcock, avec notamment une musique très référentielle signée Philippe Rombi et des doutes quant à l’implication du mari médecin incarné par Mathieu Kassovitz dans un complot qui viserait à déstabiliser sa femme. Pourtant, lors des premières scènes de sexe lesbien entre Diane Kruger (très juste) et son ancienne amante ressurgie du passé (fascinante et sensuelle Marta Nieto), c’est plutôt le nom de Paul Verhoeven qui nous vient à l’esprit – époque Basic Instinct, cela va sans dire. Ces références s’accordent parfaitement au style froid voulu par le cinéaste à l’aide de son directeur de la photographie et de son décorateur. Ainsi, tous les intérieurs modernes semblent désincarnés, comme dans la vie morne et entièrement minutée de l’héroïne.
Création : Silenzio © SND
Visions nous mène en bateau
Une fois que l’intrigue se met en place, le cinéaste multiplie les séquences de rêves, dont certains débouchent encore sur un autre rêve, le tout dans un enchevêtrement qui ne perd pas complètement le spectateur, mais l’abandonne tout de même dans un état de trouble permanent et déstabilisant. Pour apprécier Visions, il faut donc aimer se laisser porter par une ambiance étrange durant près de deux heures, en n’ayant pas la certitude de tout comprendre à l’arrivée.
Partant d’un classique triangle amoureux bourgeois qui aurait pu séduire Claude Chabrol, Yann Gozlan a opté pour une stylisation maximale et semble donc davantage sous l’influence du thriller italo-espagnol (on songe parfois aux gialli de Mario Bava, de Lucio Fulci ou encore de Jesús Franco dans ses bons jours). Sa réalisation est aérienne, parfois à la lisière du conceptuel, et finalement empreinte d’une certaine poésie de l’étrange. Même si le spectateur a droit à des explications plus rationnelles vers la fin, la dernière scène – par ailleurs superbe – vient conclure l’œuvre sur une boucle temporelle qui interpelle et vient jeter à nouveau le trouble. Cette scène poétique conclut de belle manière une œuvre assurément très ambitieuse.
Un script qui bat un peu de l’aile
Pourtant, tout n’est pas réussi dans Visions et les nombreux scénaristes n’ont pas toujours su développer la psychologie des personnages qui demeurent trop souvent au niveau d’archétypes. De même, certains dialogues font pitié par leur banalité et leur répétitivité. Même si cette absence de style dans l’écriture est sans doute voulue, afin de souligner la vacuité de cette existence comme sous anesthésiant, le spectateur se sent parfois oublié.
Joué avec conviction par l’ensemble du casting, Visions est donc avant tout un bel exercice de style qui devrait séduire les amateurs de films aventureux et nébuleux. Cependant, les amateurs de scripts solidement charpentés et d’une logique à toute épreuve doivent clairement passer leur chemin car ils se retrouveront pris dans les sables mouvants de la psyché humaine, au risque de s’y perdre.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 6 septembre 2023
Création : Silenzio © SND
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Yann Gozlan, Mathieu Kassovitz, Nathalie Richard, Diane Kruger, Amira Casar, Marta Nieto, Grégory Fitoussi