Une vie cachée est le grand retour de Terrence Malick après une décennie controversée. Ce récit d’un cas de conscience lui permet de mettre son génie artistique au service d’une histoire portée par un véritable souffle romanesque et une authentique réflexion politique.
Synopsis : Franz Jägerstätter, paysan autrichien, refuse de se battre aux côtés des nazis. Reconnu coupable de trahison par le régime hitlérien, il est passible de la peine capitale. Mais porté par sa foi inébranlable et son amour pour sa femme, Fani, et ses enfants, Franz reste un homme libre. Une vie cachée raconte l’histoire de ces héros méconnus.
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Le vrai grand retour de Terrence Malick
Critique : C’est le grand retour de Terrence Malick, qui réussit la synthèse du lyrisme romanesque des Moissons du ciel et de l’audace esthétique de The Tree of Life. Le cinéaste a connu une décennie de cinéma en demi-teinte après cette palme d’or controversée. À la merveille ou Song to Song n’avaient été défendus que par une poignée d’inconditionnels, et beaucoup de cinéphiles regrettaient le radicalisme narratif et formel d’un réalisateur dont le déclin a été manifeste en quelques années.
On pouvait dès lors s’inquiéter de voir Malick emprunter la voie du biopic (le genre le plus roublard de ces quinze dernières années), et de surcroît pour un thème en rapport avec l’Allemagne nazie : ses expérimentations visuelles ne risquaient-elles pas de se confronter à un univers qui n’était pas le sien et de déboucher sur un sommet de mauvais goût de trois heures ?
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Un chef-d’œuvre, faute d’être une œuvre consensuelle
Au vu du résultat final, ces craintes s’avéraient vaines et Une vie cachée est un véritable choc, même si les éternels récalcitrants au style du réalisateur parleront de pompiérisme alors que Malick ne fait que confirmer son aptitude à donner une ampleur lyrique à ses scènes (l’exécution des prisonniers). Car même si on peut le considérer comme un chef-d’œuvre et un tournant dans la filmographie du réalisateur, Une vie cachée ne saurait cocher la case du film consensuel.
Une réflexion sur l’héroïsme aux plans époustouflants, à la narration moins éclatée
À la première période de Malick (La Balade sauvage et Les Moissons du ciel), le film emprunte sa thématique du lien familial et des rapports entre l’homme et la nature, toujours aussi sublimement filmée, même si les plans de coupe sur les bestioles ont disparu. Le film adopte le cadre historique de la Seconde Guerre mondiale et se veut une réflexion sur l’héroïsme, ce qui était déjà le cas de La Ligne rouge, qui avait relancé la carrière du cinéaste à l’aube des années 2000.
Pourtant, Une vie cachée est moins classique dans sa forme : son montage époustouflant, ses mouvements de caméra audacieux (sans être ostensibles) comme ses gros plans récurrents (sublime photo de Jörg Widmer) évoqueront davantage la dernière période de Malick. Simplement, la narration n’y est pas aussi éclatée et à l’exception de rares flashback sur la nostalgie du paradis perdu, Malick assume un romanesque ancré dans la linéarité : le désespoir de Fani prête à tout pour faire revenir l’être aimé est réellement touchant, et jamais depuis Le Pianiste de Polanski les malheurs d’un homme victime de l’oppression nazie n’avaient autant touché.
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Une œuvre profonde sur l’intégrité morale et politique, sans didactisme
En effet, Malick s’est emparé avec subtilité d’un matériau longtemps occulté dans les manuels d’Histoire : Franz Jägerstätter (1907-1943), objecteur de conscience autrichien, avait refusé de se battre dans les rangs des soldats du IIIe Reich, un signe de rébellion qui lui vaudra l’emprisonnement et la peine de mort. Ce qui avec un cinéaste moins personnel n’aurait pu être qu’une honnête reconstitution historique (à l’instar de Sophie Scholl : Les Derniers Jours de Marc Rothemund) devient ici une œuvre profonde sur l’intégrité morale et politique, sans que le récit ne dévie vers le didactisme et le film à thèse. Que cet exploit ait été réalisé par un cinéaste que l’on pouvait croire déconnecté de ces problématiques et noyé dans l’ésotérisme n’en est que plus surprenant. Il faut enfin souligner le jeu impeccable de l’acteur August Diehl (le major Hellstrom de Inglorious Basterds) en totale osmose avec son personnage.
Critique de Gérard Crespo
Sorties du 11 décembre 2019
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