Moins connu que ses classiques des années 70-80, Un, deux, trois, soleil est pourtant l’un des meilleurs films de Bertrand Blier par ses audaces narratives, ses dialogues épicés et sa thématique sociale abordée frontalement. Un must à redécouvrir.
Synopsis : La vie ordinaire et sombre de Victorine, gosse de banlieue dont le premier amour est assassiné par un beauf, la mère folle et le père alcoolique. Elle calme sa violence et rencontre Maurice, qui lui fait deux enfants.
Blier innove toujours
Critique : Depuis le succès obtenu par l’étrange Trop belle pour toi ! (1989), le réalisateur-scénariste Bertrand Blier n’a eu de cesse de dynamiter la narration classique dans des œuvres de plus en plus hermétiques pour le grand public. Ainsi, le délire de Merci la vie (1991) en a laissé plus d’un sur le carreau. Toutefois, l’auteur n’a pas l’intention de revenir en arrière et offre donc une proposition de cinéma toujours aussi radicale avec Un, deux, trois, soleil (1993) où sa nouvelle muse Anouk Grinberg interprète le personnage de Victorine de sa plus petite enfance jusqu’à la maturité.
Il fallait oser défier les lois de la logique en faisant jouer à une actrice trentenaire le rôle d’une gamine de dix ans. Si cela demande bien évidemment un effort d’adaptation au spectateur, la comédienne s’en sort avec les honneurs et parvient assez rapidement à faire oublier son âge pour nous convaincre de l’évolution de son personnage. Cela a permis notamment au réalisateur de filmer des séquences douteuses comme celle du viol collectif de la gamine qui auraient été impossibles à tourner avec une véritable préadolescente.
Une vision originale de la banlieue
Le réalisateur suit donc le parcours de cette jeune fille de banlieue affublée d’une mère folle et d’un père alcoolique, tous deux magnifiquement joués par l’excellente et drôle Myriam Boyer et le facétieux Marcello Mastroianni. Nous suivons son difficile apprentissage de la vie, de la sexualité, ainsi que son destin tout tracé de jeune mère au foyer. Si le contexte est bien celui de la banlieue (le film a été intégralement tourné à Marseille, d’où le soleil du titre), Bertrand Blier a surtout voulu évoquer l’immigration et ses conséquences sur les populations. Ainsi, le personnage incarné par Marcello Mastroianni représente surtout la première génération de migrants qui vivent mal leur exil et n’ont finalement qu’un seul but : retrouver leur terre d’origine.
Leur progéniture, elle, est souvent désœuvrée et doit trouver sa propre identité au cœur d’un pays qui n’est pas toujours accueillant ou respectueux de ceux qui sont pourtant des enfants de la République. Au passage, mais sans s’appesantir ou en faire un film à thèse, Blier évoque déjà les bavures policières, mais aussi la montée du fascisme et du racisme au cœur d’une population française apeurée (on adore l’enfoiré incarné par Claude Brasseur). Pour contrebalancer ces attaques, Blier propose également des figures plus sympathiques comme celle de Jean-Pierre Marielle qui accueille chez lui à bras ouvert ses cambrioleurs.
Des thèmes graves abordés de manière légère
Toujours avec un formidable sens de la dérision et du décalage, Bertrand Blier chante donc ici les vertus d’une France de toutes les couleurs et de toutes les origines. Il a d’ailleurs confié l’habillage sonore du film à Cheb Khaled qui livre plusieurs morceaux raï très entraînants et réussis. Dans Un, deux, trois, soleil, le réalisateur livre donc une œuvre black, blanc, beur forte et qui sait évoquer des problèmes graves comme l’abandon des enfants, le manque d’éducation, la défaillance des services publics dans certains quartiers devenus des ghettos, mais toujours avec une forme de légèreté qui est la politesse des grands.
Souvent très drôle grâce à des séquences délirantes et surtout des dialogues épicés, Un, deux, trois, soleil n’oublie pas non plus d’être poétique lorsqu’il évoque la tendresse féminine ou encore quand il offre aux morts une sorte de vie éternelle. On adore notamment la dernière séquence où le vieux père retrouve de manière métaphorique sa terre natale gorgée de soleil, alors même qu’il est décédé. L’émotion est alors à son comble dans cette œuvre totale qui n’évite pas toujours les sorties de piste, mais a le mérite de rester cohérente de bout en bout, ce qui ne sera pas toujours le cas des films suivants du réalisateur.
Un bel accueil critique, mais une déception commerciale
Sorti en plein mois d’août 1993, Un, deux, trois, soleil a globalement convaincu les critiques de l’époque, mais le public commence à se faire rare. Le long-métrage va convaincre moitié moins de spectateurs que Merci la vie en 1991. Certes, il proposait un casting moins vendeur pour le grand public, mais rétrospectivement, il s’agit bien du début du déclin commercial pour Bertrand Blier.
L’auteur a toutefois pu se consoler de ce revers commercial par l’obtention de prix prestigieux comme le Grand Prix de l’Académie européenne pour lui-même, ainsi que ceux de la meilleure musique et du meilleur second rôle masculin pour Marcello Mastroianni, lors de la Mostra de Venise 1993. Par la suite, le film a également reçu cinq nominations aux César 1994 et a obtenu deux statuettes (une pour Khaled et sa musique, et l’autre pour Olivier Martinez comme meilleur espoir masculin).
En l’état, Un, deux, trois, soleil peut être désormais considéré comme le dernier très grand film de Bertrand Blier. Une œuvre importante à (re)découvrir pour tous les cinéphiles.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 18 août 1993
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