Un beau matin est l’une des œuvres les plus abouties de Mia Hansen-Løve. La réalisatrice y démontre une fois de plus son talent de narratrice et de peintre du quotidien qu’elle complexifie dans la subtilité. Une cinéaste en état de grâce.
Synopsis : Sandra rend souvent visite à son père, Georg, atteint d’une maladie neurodégénérative. Alors qu’elle s’engage avec sa famille dans un parcours du combattant dans les hôpitaux et les Ehpads pour installer Georg en lieu sûr, Sandra fait la rencontre inattendue de Clément, un ami perdu de vue avec qui s’ouvre une relation passionnée, mais incertaine.
Critique : Comme son mentor Éric Rohmer, Mia Hansen-Løve ne reçoit pas toujours la reconnaissance qu’elle mérite. Son huitième long métrage, Un beau matin, a été rétrogradé de la compétition cannoise à la Quinzaine, en 2022, et, malgré de nombreuses sélections dans des festivals du monde entier, il n’a pas décroché de prix importants. Jusqu’au mépris des César qui ne l’ont pas nommé. La touche Rohmer, probablement, puisque ce dernier avait également beaucoup de mal à être reconnu par la toute puissante instance.
Un beau matin marque le retour au père de Mia Hansen-Løve
Aussi, en France Un beau matin a été un échec commercial effroyable. Le public se remémorant les déceptions qu’ont pu être Maya et Bergman Island. Peut-être. C’est dommage pour les producteurs qui y ont investi plus de 5 millions d’euros, mais la réalité du cinéma de la réalisatrice, intrinsèquement personnelle, complexe et intime, depuis son premier long métrage, Tout est pardonné, sur ses relations difficiles au père, jusqu’au charnel et juvénile Un amour de jeunesse, est invariablement le même, des instants de vie, des moments de grâce parfaitement composés qui méritent mieux que cette indifférence, un peu fausse – on parle énormément de son cinéma -, mais snob, puisqu’on ne lui accorde pas la place d’enchanteresse de l’émotion et de la réflexion qu’elle mérite.
Pourtant, de Cannes aux USA, en passant par toute la presse française, le monde entier a convenu de la réussite d’Un beau matin qui, à l’instar de L’avenir avec Isabelle Huppert en 2016, s’impose comme une merveille cinématographique.
Conte des quatre saisons
Conte arpentant les saisons, empreint de lumière et de tristesse hivernal, et de renaissance printanière, Un beau matin est resplendissant dans sa réalité filmique. Une succession de tableaux cinématographiques en 35mm dans un Paris loin du sensationnel, mais radieux dans ses clichés intello-bourgeois que l’on trouvait encore récemment dans Chronique d’une liaison passagère d’Emmanuel Mouret. Tout aussi charmant dans la romance, celle qui se profile entre le personnage simple et beau de Léa Seydoux et le rohmérien Melvil Poupaud, qui joue comme Conte d’été, film que Mia Hansen-Løve apprécie beaucoup, de ses années 90, mais aussi Le journal du séducteur de Danièle Dubroux. Mais en mieux.
En mieux, car la cinéaste esquisse surtout, au croisement des contraires, le deuil d’un père qui se profile. Pascal Greggory, homme de lettres et de philosophie à l’écran, doit se résoudre à oublier la vie, frappé d’une maladie dégénérative. Et c’est toute la famille de son personnage d’intellect pur, notamment à travers les efforts douloureux de sa fille, que joue Léa Seydoux, dans une abnégation saisissante, qui convie le spectateur à une réflexion universelle sur l’impuissance de chacun face à l’inexorabilité de l’abandon et la nécessité de survivre aux épreuves qui en découle.
Une œuvre magnifique qui trouve le ton, les mots et l’équilibre dans sa complétude
Dans un jeu d’oppositions et de circonstances, Mia Hansen-Løve trouve toujours les mots pour contrebalancer le mélodrame par des moments plus légers, de romance fugace, ou d’érotisme conjugal. Surtout elle sonde les instants de tristesse abyssaux et de félicité retrouvée du personnage élégant de simplicité et de beauté intérieure de Léa Seydoux. Cette dernière a rarement été aussi radieuse à l’écran. Dans Un beau matin, la star française produit l’une de ses plus grandes compositions.
In fine, Un beau matin est l’accomplissement des émotions les plus belles qui traversent autant les personnages que les spectateurs dans un jeu de réfléchissement dont on savoure la sobriété, la complexité et la puissance. Mia Hansen-Løve, au firmament de son travail de scénariste et de réalisatrice, a indéniablement accompli une œuvre d’une infinie beauté qui saura marquer subtilement ceux qui veulent en finir avec l’esbrouffe du moment.
Sorties de la semaine du 5 octobre 2022
Design : Metanoïa d’après une photo de © Carole Bethuel
Les mots clés :
Les relations fille-père, La mémoire, Le deuil, La maladie au cinéma, Alzheimer, Cannes 2022, La Quinzaine des réalisateurs 2022