Bergman Island de par son sujet n’intéressera pas les seuls admirateurs d’Ingmar Bergman. Le film de Mia Hansen est une réflexion habile autour de la création artistique.
Synopsis : Un couple de cinéastes s’installe pour écrire, le temps d’un été, sur l’île suédoise de Fårö, où vécut Bergman. À mesure que leurs scénarios respectifs avancent, et au contact des paysages sauvages de l’île, la frontière entre fiction et réalité se brouille…
Scènes de la vie conjugale
Critique : Fårö est une petite île de la mer Baltique célèbre pour avoir été le lieu de résidence d’Ingmar Bergman, qui y a tourné plusieurs de ses films. Elle abrite aujourd’hui une fondation Bergman qui fait office de musée et propose aux touristes un tour de l’île pour retrouver les lieux d’inspiration du réalisateur du Septième Sceau. Mia Hansen-Løve a toujours été passionnée par la vie et l’œuvre de Bergman et il n’est pas étonnant qu’elle ait choisi le cadre de Fårö pour son nouveau long métrage. Celui-ci peut être vu également dans le prolongement de documentaires consacrés au réalisateur, dont Ingmar Bergman, une année dans une vie (2018) de Jane Magnusson. Pour autant, Bergman Island n’est ni un film sur le maître du septième art suédois (et un maître du cinéma tout court), ni une œuvre cherchant à imiter son style.
Il est d’abord en cohérence avec le cinéma intimiste de Hansen-Løve depuis Tout est pardonné, son premier long qui date de 2007. « Pour la première fois, je me suis sentie libre de circuler de façon ludique entre différentes dimensions, passé, présent, réalité dans la fiction ou fiction dans la réalité… Cette construction découle du sujet, que je pourrais résumer à deux questions qui se rejoignent, celle du couple et celle de l’inspiration ». Ces propos de la réalisatrice au cours d’un entretien avec Laure Adler (retranscrit dans le dossier de presse) révèlent sa démarche. Deux paliers narratifs sont en effet imbriqués dans la narration. D’une part, on suit Chris et Tony (Vicky Krieps et Tim Roth), un couple de cinéastes qui séjourne à Fårö pour écrire les scénarios respectifs de leur prochain long métrage.
Bergman Island, une mise en abîme inégale mais attachante
D’autre part, Chris raconte à son époux le contenu du scénario qu’elle envisage : à l’occasion du mariage d’une amie commune qui se tient à Fårö, Amy (Mia Wasikowska) retrouve Joseph (Anders Danielsen Lie). Ils se sont aimés jadis mais ont toujours eu du mal à rompre. La fête de mariage sera l’occasion de réactiver un amour ancien mais aussi d’éveiller des blessures inconscientes. Le spectateur découvrira par lui-même s’il existe un lien entre ces deux segments de Bergman Island. Toujours est-il que le premier est de loin le plus intéressant. Hansen-Løve y montre la fascination d’un couple d’artistes (surtout lui) sur une île dont le passé est omniprésent. Ils éprouvent pourtant (surtout elle) de l’embarras et un sentiment de vide face à l’austérité de l’île, isolée face à l’immensité du ciel et de la mer, et marquée par la quasi-absence de population voire de végétation. Quant à l’ombre omniprésente du maître, n’est-elle pas à la fois source de motivation et d’atténuation du processus créatif ?
On appréciera en particulier la délicieuse séquence du Bergman Safari (authentique), ou la rencontre entre Chris et un étudiant de cinéma avec lequel elle mène un étrange jeu de séduction. Le film dans le film, quant à lui, entraîne certes une rupture de ton insolite, mais aussi une chute de rythme à cause de l’inconsistance d’un matériau de roman-photo. Quant à la jonction entre les deux paliers, elle pourra paraître vaine et relever de l’exercice de style. Il est par ailleurs permis d’être agacé par les multiples rappels sur la vie privée et la personnalité de Bergman, mauvais père de famille et mari irrespectueux. En cette période de cancel culture et de chasse aux sorcières, ces précisions redondantes étaient-elles vraiment nécessaires au dispositif de Bergman Island ? Malgré ces réserves, le long métrage de Mia Hansen-Løve offre un dépaysement agréable et constitue une tentative originale de mise en abîme cinématographique.
Critique de Gérard Crespo