Twin Peaks: The Return clôt avec brio ce qui est sans doute la meilleure série de tous les temps, et un sommet de l’art de David Lynch.
Synopsis : Twin Peaks, au nord-ouest des Etats-Unis. Voilà déjà vingt-cinq ans que les habitants de cette petite ville pittoresque ont été stupéfaits de découvrir que la reine du lycée, Laura Palmer, avait été sauvagement assassinée…
« I am the FBI »
Critique : Les deux premières saisons de Twin Peaks (1990-1991) avaient révolutionné l’univers des séries télévisées, tout en élargissant considérablement le cercle des fans de David Lynch. Mêlant thriller, soap opera, sitcom, étude de mœurs, surréalisme et fantastique, elles ont très vite suscité un culte jamais démenti. Le prequel cinématographique Twin Peaks: Fire Walks with Me (1992), fraîchement accueilli à sa sortie, ayant été réévalué depuis, c’est avec surprise et jubilation que nous avions appris le tournage d’une troisième saison, plus d’un quart de siècle après le démarrage de la série, phénomène unique dans l’histoire de la télévision. Les deux premiers épisodes ont été présentés au Festival de Cannes 2017, avant une diffusion de l’ensemble sur le petit écran (Canal+ en France), puis une sortie DVD en mars 2018 et Blu-ray en décembre 2018. L’accueil triomphal des deux épisodes pilotes tient sans doute à la perfection esthétique et l’audace d’un scénario sans concessions, Lynch ayant « radicalisé » son art, et éliminé (en apparence) tous les agréments narratifs.
« Objet expérimental et poétique », selon la formule de Laurent Vachaud, le récit débute avec deux MacGuffin qui alimentent des allers-retours entre le monde réel et un univers parallèle (trois salles virtuelles dont une Black Lodge), dans lequel l’agent du FBI Dale Cooper (Kyle MacLachlan) était tenu prisonnier depuis vingt-cinq ans : à New York, le jeune gardien d’un énorme cube mystérieux est assassiné, pulvérisé par une force maléfique électrique ; en Dakota du Sud, un triple meurtre mène sur la trace d’événements en lien avec les faits ayant touché le village de Twin Peaks trente ans plus tôt. En raconter davantage sur la trame principale relèverait du spoiler, tant cette saison 3 est riche en histoires à tiroirs, rebondissements, et correspondances avec le scénario des saisons 1 et 2. Pourtant, Mark Frost, coscénariste, semble ici en retrait face à l’imagination visuelle foisonnante de Lynch, dont le goût pour l’ésotérisme n’a jamais été aussi manifeste. Le cinéaste se permet même une digression underground de quarante minutes, dans l’épisode 8, transposant l’action en 1945 puis en 1956 : un trip d’une beauté inouïe permet de retrouver l’univers de Eraserhead, et restera dans les annales du cinéma au même titre que les expérimentations de Welles dans Citizen Kane ou Kubrick dans 2001 : L’Odyssée de l’espace…
Twin Peaks: The Return est un sommet indiscutable de l’œuvre de Lynch
Mais les dix-huit épisodes sont tous fascinants, ne serait-ce que par la maîtrise avec laquelle est traité le thème du double, leitmotiv lynchien naguère apprécié dans Elephant Man, Lost Highway ou Mulholland Drive. Mais les nostalgiques de l’enquête sur le meurtre de Laura Palmer retrouveront aussi, dès l’épisode 3, des éléments familiers des épisodes historiques : l’ambiance chorale, ses lieux familiers (le night-club Bang Bang, le restaurant RR), son humour grotesque ou décalé, et maints personnages incarnés par les mêmes acteurs, touche émotionnelle de la saison. Shelly Briggs (Mädchen Amick) est désormais la mère d’une jeune femme à problèmes mais travaille toujours à la brasserie de Norma (Peggy Lipton) ; les ex-étudiants torturés Bobby Briggs (Dana Ashbrook) et James Hurley (James Marshall) sont désormais des quadras plus ou moins rangés, quand le docteur Jacoby (Russ Tamblyn) est devenu un gourou adepte de la théorie du complot.
Et pourtant, cette faune de protagonistes ordinaires ou excentriques reste plutôt en retrait, ou cède la place à de nouveaux arrivants, comme le médecin légiste Talbot (Jane Adams), ou le bad boy Richard Horne (Eamon Farren), aux faux airs de Terence Stamp. Mais c’est l’ensemble du casting qui est bluffant, des interprètes habituels de Lynch (Laura Dern, Naomi Watts, Balthazar Getty) croisant ici des guest-stars de la trempe de Tim Roth et Jennifer Jason Leigh en minable couple de truands. La saison est également habitée par le souvenir de comédiens disparus avant, pendant ou après le tournage, tels Catherine Coulson (la femme à la bûche), Miguel Ferrer, David Bowie, Peggy Lipton, Robert Forster ou Harry Dean Stanton, conférant une dimension particulière au thème de la mort cher au réalisateur. Sommet indiscutable de l’œuvre de Lynch, la série Twin Peaks est à voir impérativement et cette saison numéro 3 ne le dément pas.
Critique de Gérard Crespo