Comédie hilarante et dynamique, Serial Mother dézingue la bonne conscience américaine et puritaine avec une jubilation intense. Kathleen Turner y est tout bonnement géniale.
Synopsis : On lui donnerait le bon Dieu sans confession à Beverly Sutphin, parfaite fée du logis, épouse modèle et mère attentionnée. Mais dès que l’on s’en prend à sa chère famille, elle sort de ses gonds, et sa poussée d’adrénaline provoque des étincelles…
Retour à la satire grinçante pour John Waters
Critique : Considéré à juste titre comme le pape du cinéma trash des années 70, le réalisateur John Waters a légèrement mis de l’eau dans son vin avec ses deux productions de la fin des années 80, les sympathiques Hairpsray (1988) et Cry-Baby (1990) qui ont reçu un bon accueil de la part des critiques. Marqués par une esthétique outrageusement kitsch, ces œuvres contenaient toutefois quelques éléments plus audacieux que la moyenne, mais bien loin des provocations d’autrefois. Avec Serial Mother (1994), John Waters entend donc retrouver un certain mordant qui faisait défaut à ses précédentes productions.
Il écrit donc cette histoire d’une femme de la classe moyenne apparemment bien sous tous rapports, mais qui dissimule en réalité une redoutable meurtrière. Loin d’être réaliste, son intrigue se veut avant tout la métaphore d’une certaine société américaine qui vante les mérites du bonheur permanent, de la joie imposée à tous et d’une gentillesse de façade. Cette société bourgeoise qui se veut plus vertueuse que la moyenne existe bel et bien aux Etats-Unis, ce qui ne l’empêche pas de voter républicain, de souscrire à la peine de mort et de faire preuve d’un racisme très ordinaire. C’est donc cette frange de la population que John Waters vise avec cette satire mordante qu’est Serial Mother.
John Waters s’attaque à tous les conservatismes
Pays de tous les extrêmes – des religieux puritains et moralisateurs jusqu’aux fusillades de masse – les Etats-Unis offrent un terrain propice à la critique de la part d’un marginal comme John Waters. Avec Serial Mother, le cinéaste réaffirme son goût pour les marginaux et son horreur d’une société excessivement normée. Entre Blood Feast (Lewis, 1963), monument du cinéma gore foutraque et la comédie musicale Annie (Huston, 1982) – tous deux cités dans le film – son choix est vite fait. Il offre d’ailleurs une fin atroce à la spectatrice qui goûte particulièrement les comédies musicales d’antan.
Se moquant ouvertement des travers de ses concitoyens (l’obsession du tri sélectif des ordures, le respect des règles les plus absurdes, les traditions vestimentaires), John Waters dézingue la bonne conscience avec une rare méticulosité. Dès lors, sa Serial Mother, toute meurtrière qu’elle est, devient l’exutoire cathartique d’un public qui rêve également d’envoyer balader cette bonne conscience débilitante.
Kathleen Turner au sommet de son talent comique
Pour cela, il bénéficie d’une actrice comique au sommet de son talent, à savoir l’excellente Kathleen Turner qui était pourtant dans une mauvaise passe et commençait à prendre du poids. Entravée par des problèmes de santé et des addictions, la star n’a pas connu de rôle vraiment marquant depuis La guerre des Rose (DeVito, 1989) et commence à être oubliée du grand public lorsqu’elle accepte ce rôle parodique ô combien jubilatoire. Consciente de l’enjeu, la star donne tout : elle est tout bonnement géniale dans ce rôle. Il faut la voir massacrer ses victimes avec un regard de jubilation intense, d’autant que le cinéaste s’autorise quelques dérapages gore.
Face à elle, l’intégralité du casting cabotine à mort pour notre plus grand plaisir. On adore bien entendu Ricki Lake en jeune fille obsédée et Matthew Lillard en fan de films d’horreur (une préfiguration de son futur rôle dans Scream). Mais ce sont les habituées de John Waters qui marquent vraiment le spectateur dont l’hilarante Mink Stole en voisine harcelée par les coups de téléphone obscènes de Kathleen Turner. Les amateurs de potins pourront aussi retrouver au casting l’actrice porno Tracy Lords et aussi Patty Hearst.
Un échec aux Etats-Unis, mieux accueilli en France
Doté d’un rythme endiablé, Serial Mother est donc un festival du rire qui se termine en fanfare par une cultissime séquence de procès. On peut donc légitimement estimer qu’il s’agit de l’un des meilleurs films de son auteur, devenu culte avec le temps. Effectivement, lors de sa sortie américaine, le métrage n’a guère performé sur son territoire avec des recettes situées autour de 7,8 M$ (soit 15,9 M$ au cours de 2023) pour un budget conséquent de 13 M$ (soit 27,2 M$ au cours de 2023).
En France, l’auteur a connu une vraie consécration du grand public avec son précédent long Cry Baby (1990) qui est à ce jour son plus gros succès personnel sur notre territoire. UGC Distribution croit donc en Serial Mother, d’autant que le film vient de s’offrir une vitrine de choix en étant sélectionné au Festival de Cannes. Présent dans 15 salles sur Paris-périphérie – une combinaison assez légère – la comédie entre à la quatrième position du box-office parisien du 25 mai 1994 avec 32 032 assassins.
Serial Mother a marqué ceux qui l’ont vu en salles
Sur la même combinaison, le métrage accueille 24 795 retardataires la semaine suivante. Puis, les entrées se tassent à 15 050 clients en septaine 3 et repart à la hausse (26 222 amateurs de sang) lors de la Fête du cinéma. Preuve d’un écho plutôt favorable, le métrage se maintient encore à 10 476 meurtriers, mais sa côte de popularité baisse à l’arrivée de l’été. Au bout de deux mois d’exploitation, la comédie enragée a attiré 156 850 Franciliens.
Sur la France entière, le métrage entre à la neuvième place du box-office national avec 53 843 personnes à son bord. Il faut dire que la concurrence est rude en matière de comédies, avec des œuvres plus consensuelles à l’affiche comme Grosse fatigue (Blanc), Quatre mariages et un enterrement (Newell), Rasta Rockett (Turteltaub) ou encore Y a-t-il un flic pour sauver Hollywood ? (Segal). La semaine suivante, le film se maintient bien avec 53 322 clients supplémentaires.
Serial Mother, un film culte à redécouvrir
Mieux, le film progresse en troisième septaine avec 59 278 entrées en sus. Fin juin, Serial Mother franchit la barre des 200 000 spectateurs et profite d’un rebond salvateur lors de la Fête du cinéma qui lui offre 75 962 victimes de plus. Début juillet, le film dépasse les 300 000 entrées, mais sa carrière fléchit et le mois de juillet le voit disparaître progressivement des écrans pour arrêter sa course à 368 011 spectateurs hilares. Pour la France, il s’agit donc du deuxième meilleur résultat de la carrière de John Waters.
Ce succès a été ensuite célébré en vidéo par de multiples éditions en VHS, DVD et même plus récemment en blu-ray. Les retardataires doivent absolument se procurer ce bijou de comédie.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 25 mai 1994
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John Waters, Kathleen Turner, Sam Waterston, Matthew Lillard, Ricki Lake, Mink Stole
Mots clés
Comédie policière, Les tueurs fous au cinéma, Comédies trash