Comédie sociale amusante, Reprise en main n’en dénonce pas moins les dérives du capitalisme financier sur l’industrie française. L’ensemble, sans être incontournable, est suffisamment bien interprété pour susciter l’intérêt.
Synopsis : Comme son père avant lui, Cédric travaille dans une entreprise de mécanique de précision en Haute-Savoie. L’usine doit être de nouveau cédée à un fonds d’investissement. Epuisés d’avoir à dépendre de spéculateurs cyniques, Cédric et ses amis d’enfance tentent l’impossible : racheter l’usine en se faisant passer pour des financiers !
Reprise en main, premier film de fiction du documentariste Gilles Perret
Critique : Le réalisateur Gilles Perret s’est avant tout fait connaître dans le domaine du documentaire social avec des titres évocateurs comme Ma mondialisation (2006), De mémoires d’ouvriers (2012), La sociale (2016), avant de se rapprocher de François Ruffin avec qui il a tourné successivement J’veux du soleil (2019) et Debout les femmes (2021). Tous ces documentaires ont rencontré un joli succès en salles au cours de carrières longues et de séances spéciales suivies de débats. Pourtant, plus récemment, Gilles Perret a ressenti le besoin de passer à la fiction, sans pour autant délaisser ses thématiques sociales.
Avec Reprise en main (2022), il revient dans sa vallée natale de l’Arve en Haute-Savoie et tourne dans l’usine de décolletage où ont travaillé ses parents et lui-même en tant que lycéen et étudiant. Son but était d’évoquer par le biais d’une comédie positive un phénomène dramatique, à savoir l’abandon de l’industrie et du savoir-faire français aux fonds d’investissements. Pour cela, il nous invite à suivre le destin de quelques anciens camarades de lycée qui sont tous liés à l’usine de décolletage locale et qui vont lutter contre le rachat de leur outil de travail par un fonds d’investissement avec les mêmes armes que leurs ennemis de la finance.
Gilles Perret suit les traces de la comédie sociale à l’anglaise
Alors que la première moitié de Reprise en main se veut franchement dramatique, avec une description quasiment documentaire de la situation de ces usines de décolletage, spécialité de la vallée en danger de mort en cas de disparition de cette activité, la suite relève davantage de la comédie sociale. Ainsi, on songe inévitablement aux œuvres britanniques d’un Ken Loach, mais aussi de comédies anglaises de type The Full Monty (Peter Cattaneo, 1997). Dans le même style, on peut également citer des comédies françaises récentes comme Rebelles (Allan Mauduit, 2019) ou encore Mine de rien (Mathias Mlekuz, 2020).
Effectivement, le cinéaste suit le périple de quatre pieds nickelés qui vont tout faire pour faire capoter une vente, tout en devenant propriétaires de leur usine. Gilles Perret s’inscrit donc ici dans le vieux rêve marxiste qui consiste à ce que les ouvriers deviennent les propriétaires de leur outil de production. Une utopie bien entendu, mais qui est traitée avec intelligence par le cinéaste. La forme même de la comédie démontre que l’auteur entend proposer une alternative au système actuel, tout en ayant conscience de son aspect improbable en l’état actuel du monde. Ainsi, le dernier plan peut être interprété de diverses manières en fonction de la sensibilité politique du spectateur. Soit les nouveaux maîtres de l’entreprise vont pouvoir inventer une nouvelle façon de produire, soit ils devront s’adapter au monde économique environnant et finalement se comporter comme leurs prédécesseurs.
Tabliers bleus contre cols blancs
Pour déployer son intrigue, Gilles Perret peut compter sur de très bons acteurs, avec en tête un Pierre Deladonchamps sobre et une Laetitia Dosch parfaite en lanceuse d’alerte malgré elle. De même, on signalera le jeu très alerte de Grégory Montel et Vincent Deniard, tandis que Finnegan Oldfield incarne à merveille la perfidie du monde financier.
Bien entendu, la limite principale d’un tel film vient de son manque certain de nuances. Ainsi, tous les ouvriers et prolétaires sont ici des gens bien, tandis que tous les cols blancs sont décrits comme des rapaces avec pour but unique de faire de l’argent. Mais dans le cadre d’une comédie, cela fonctionne plutôt bien et Reprise en main s’avère donc recommandable, pour peu que l’on ait une sensibilité pour les thématiques sociales.
Reprise en main, emporté par la chute des entrées de l’automne 2022
Sorti au mois d’octobre 2022 dans un contexte de chute impressionnante des entrées en salles, Reprise en main a séduit 39 242 spectateurs dans toute la France lors de sa semaine d’investiture dans 134 cinémas. La semaine suivante a été marquée par une perte proche des 50% avec 20 396 retardataires. Le film social s’approche donc des 60 000 entrées en deux semaines. La suite de sa carrière l’a mené jusqu’à la fin du mois de décembre et 94 752 ouvriers syndiqués, ce qui est assez décevant par rapport aux documentaires précédents, d’autant que le budget de production n’est pas le même (2,3 millions d’euros ici).
Depuis, Reprise en main a été édité uniquement en DVD, ce qui n’est pas forcément un drame au vu de l’esthétique peu prononcée d’une œuvre où seuls les paysages de la vallée de l’Arve bénéficient d’un soin particulier de la part de l’auteur.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 19 octobre 2022
Acheter le film en DVD
Voir le film en VOD
Biographies +
Gilles Perret, Pierre Deladonchamps, Rufus, Jacques Bonnaffé, Sophie Cattani, Laetitia Dosch, Marie Denarnaud, Finnegan Oldfield, Yannick Choirat, Grégory Montel, Vincent Deniard
Mots clés
Comédies sociales françaises, L’entreprise au cinéma, La finance au cinéma