Présenté comme un film à thèse, Pour la France est en réalité une œuvre très personnelle et intimiste qui saisit par la justesse de son écriture, jamais dans la facilité ou la dénonciation. Dommage que la réalisation ne suive pas toujours…
Synopsis : Lors d’un rituel d’intégration dans la prestigieuse École Militaire de Saint-Cyr, Aïssa, 23 ans, perd la vie. Face à une Armée qui peine à reconnaître ses responsabilités, Ismaël, son grand frère, se lance dans une bataille pour la vérité. Son enquête sur le parcours de son cadet va faire ressurgir ses souvenirs, de leur enfance à Alger aux derniers moments ensemble à Taipei.
A l’origine, un terrible drame personnel
Critique : Il est tout d’abord important de signaler que Pour la France aborde un sujet difficile pour son auteur puisque le réalisateur Rachid Hami (déjà aux commandes du film La mélodie, avec Kad Merad en 2017) revient ici sur le drame qui a frappé sa famille en 2012. Pour mémoire, le jeune Jallal Hami est décédé lors d’un bizutage – qu’il convient désormais d’appeler bahutage, un sacré euphémisme – au moment de son intégration dans la prestigieuse école militaire de Saint-Cyr. Effectivement, le jeune homme de 23 ans a été victime d’une épreuve qui a mal tourné et qui lui a été fatale. Cette tragédie a bien évidemment bouleversé l’apprenti cinéaste qui venait de perdre son frère cadet, ainsi que l’ensemble de sa famille qui a entamé une longue procédure judiciaire, achevée seulement en 2021.
Rachid Hami, après son premier film, a ressenti le besoin de rendre hommage à ce frère trop tôt disparu à travers une œuvre qui serait très personnelle. Pour cela, il a mis trois ans à écrire le scénario de Pour la France, avec l’aide de son ami philosophe Ollivier Pourriol. Cette longue maturation a payé puisque le script a reçu le Grand Prix du Scénario de l’édition 2020. Cela a permis de réunir le budget nécessaire à la réalisation de cette œuvre ambitieuse qui est non seulement située en France, mais aussi en Algérie et à Taïwan.
Une réalisation maladroite compensée par une écriture ciselée
Au vu de son sujet de société – le scandale autour des infames bizutages au sein des grandes écoles – et de la proximité de l’auteur avec les faits, le spectateur pouvait légitimement craindre une certaine binarité du traitement. D’ailleurs, cela ne commence pas forcément sous de bons auspices avec la première séquence où le jeune frère se noie au cours de l’épreuve de bahutage. Particulièrement confuse et parfois mal cadrée, elle laisse craindre une réalisation maladroite. D’ailleurs, la suite pâtit souvent de choix de réalisation malheureux, avec une tendance à ne pas toujours servir les acteurs au mieux, notamment lorsqu’ils donnent tout.
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Mais Pour la France bénéficie surtout d’une écriture fine et travaillée qui évite la plupart des pièges tendus par ce type de sujet. Ainsi, le cinéaste ne se laisse jamais aller à la simplification ou à l’accusation idiote. Il évite ainsi consciencieusement le traditionnel discours victimaire qui ne fait qu’envenimer la situation au lieu de panser les plaies. D’ailleurs, contrairement à ce qui est montré dans la bande annonce, son sujet n’est pas tant le bizutage que l’exploration des blessures d’une famille victime de la guerre civile algérienne des années 90.
Un point de vue nuancé en accord avec une situation complexe
Ainsi, Rachid Hami a le mérite de rappeler que bon nombre d’Algériens ont fui leur pays dans les années 90 pour échapper à la terreur islamiste. La France représentait pour eux une issue de secours, avec la possibilité de connaître une ascension sociale. Là encore, le réalisateur ne donne de leçons à personne et démontre que la destinée de chacun dépend aussi de sa propre volonté. Ainsi, dans cette famille qui souffre de la cruelle absence du père, resté en Algérie, le frère ainé ne parvient pas à trouver sa place et vit de petites magouilles, tandis que le cadet, lui, fait tout pour intégrer les hautes instances françaises.
De même, afin de ne pas idéaliser les faits, l’auteur insiste sur les relations complexes entre les différents membres de cette famille dysfonctionnelle. Par moments, les affrontements verbaux rappellent le cinéma psychologique torturé d’André Téchiné. Tous les protagonistes sont tour à tour attachants, irritants, voire désagréables, mais leurs comportements sont toujours motivés d’un point de vue psychologique. Même lorsque Rachid Hami dénonce les manquements de l’armée française, il offre à Laurent Lafitte le rôle fort intéressant d’un homme d’honneur qui n’est guère en accord avec sa hiérarchie quant au traitement de cette affaire.
Pour la France, un drame plutôt réussi, mais passé inaperçu en salles
Au sein de la famille, il faut saluer la magnifique prestation de Lubna Azabal qui offre le portrait d’une femme musulmane libre et indépendante, avec une incroyable force de caractère. Ses deux fils sont incarnés avec justesse par Karim Leklou, tout en rage rentrée, et Shaïn Boumedine qui joue avec conviction le rôle du fils chéri. Fondé sur de nombreux flashbacks qui nous envoient également faire un tour à Taïwan, Pour la France n’est donc aucunement le réquisitoire vendu par la bande annonce, mais bien un drame intimiste sur le deuil impossible d’une famille déjà passablement dysfonctionnelle. Si la réalisation n’est pas toujours convaincante, l’évidente sincérité du cinéaste emporte le spectateur et permet de passer outre certaines maladresses. Pour la France méritait sans doute davantage d’écho que son rapide passage dans nos salles.
Sorti le 8 février 2023, Pour la France a bénéficié d’une exposition dans 104 salles pour un résultat plutôt faible de 30 866 entrées. Malheureusement, la semaine suivante n’est guère plus convaincante avec une perte de presque 50% et 18 379 retardataires. En manque de notoriété et de bouche à oreille, le drame dégringole encore en semaine 3 avec seulement 9 122 clients. Le métrage, soutenu par son distributeur, a tout de même continué sa vie en salles jusqu’au mois d’avril où il termine sa carrière avec 70 422 militaires à son bord. Il est donc parvenu à doubler ses chiffres de sa première semaine. Toutefois, cela semble bien maigre par rapport à son budget de 5,3 millions d’euros. Désormais, le long-métrage peut être découvert en simple DVD ou en VOD pour profiter de la HD.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 février 2023
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© 2023 Mizar Films – France 2 Cinéma – Ma Studios / Affiche design : Benjamin Seznec pour Troïka. Photos : Christophe Brachet. Tous droits réservés.
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Rachid Hami, Carole Franck, Laurent Lafitte, Shaïn Boumedine, Samir Guesmi, Lubna Azabal, Laurent Capelluto, Lyes Salem, Karim Leklou, Christophe Montenez, Lamine Cissokho, Hugo Becker
Mots clés
La famille au cinéma, Les relations entre frères au cinéma, Le deuil au cinéma, Les grandes écoles au cinéma