Peu de secondes pour dire amen : la critique du film (1973)

Western | 1h31min
Note de la rédaction :
9/10
9
Cut-Throats Nine affiche américaine

  • Réalisateur : Joaquín Luis Romero Marchent
  • Acteurs : Robert Hundar, Xan das Bolas, Antonio Iranzo, José Manuel Martín, Emma Cohen
  • Date de sortie: 18 Jan 1973
  • Titre original & alternatifs : Condenados a vivir, Cut-Throats Nine (USA), Bronson's Revenge (Titre vidéo USA), la Revanche de Bronson, Todesmarsch der Bestien (Allemagne), Condenados a Viver (Brésil), Katadikoi me hryses alysides (Grèce)
  • Année de production : 1972
  • Scénariste : Joaquín Luis Romero Marchent, Santiago Moncada
  • Directeur de la photographie : Luis Cuadrado
  • Compositeur : Carmelo Bernaola
  • Société de production : Films Triunfo S.A.
  • Distributeur : Univers Galaxie
  • Box-office France : Le film est sorti uniquement en province (souces : Encyclociné)
  • Formats : 1.85 :1 / Couleurs / Son : Mono
  • Crédits affiche : © 1972, Films Triunfo S.A. Tous droits réservés
Note des spectateurs :

Véritable chef-d’œuvre de nihilisme, Peu de secondes pour dire amen consacre définitivement Joaquín Romero Marchent comme le maître du western ibérique.

Synopsis : Le sergent confédéré Brown, accompagné de sa fille, doit assurer le transfert de sept terribles prisonniers enchaînés les uns aux autres. Mais la traversée de la montagne ne se déroulera pas comme prévu.

Critique : Sorti en 1971, Peu de secondes pour dire Amen est la dernière contribution au genre de Joaquín Romero Marchent, et indubitablement la plus marquante. Délaissant la tragédie classique qui caractérisait ses œuvres précédentes, le réalisateur signe là un des westerns les plus sombres, violents et désespérés qui aient jamais vu le jour. De fait, l’ouverture du film donne d’emblée le ton, avec un monologue du protagoniste qui nous dresse un portrait effroyable des prisonniers qu’il doit escorter.

La montagne, ça vous gagne

Suite à une attaque de bandits, la charrette transportant tout ce beau monde se renverse, les forçant à traverser la montagne à pied. Ce décor imposant et glaçant joue un rôle très important dans le film, certains commentateurs allant jusqu’à le considérer comme un personnage à part entière. Si de nombreuses sources indiquent que le film a été tourné dans les Pyrénées, le blogueur Adrián Esbilla souligne dans un article que ces informations sont probablement incorrectes. En effet, des magazines d’époque suggèrent plutôt un tournage dans les Pics d’Europe.

Quoi qu’il en soit, les paysages sont magnifiques, et fort bien mis en valeur par la photographie de Luis Cuadrado. En résulte donc une ambiance incroyable, renforcée par des choix de mise en scène audacieux. De fait, alors que l’on se trouve dans de grands espaces, Marchent va parvenir à suggérer un sentiment de claustrophobie, en mettant l’accent sur des gros plans.

Peu de secondes pour dire amen, ou la vraie fusion du western spaghetti avec le film d’horreur

Lorsqu’ils portent sur des visages patibulaires, ces gros plans répétés vont créer une atmosphère dérangeante. Mais contrairement aux westerns spaghetti s’acoquinant à l’horreur gothique par le truchement des éclairages, le métrage qui nous intéresse va beaucoup plus loin que la suggestion. En effet, Peu de secondes pour dire Amen se caractérise par une violence particulièrement crue. Les égorgements sont nombreux (d’où son titre anglophone), les tripes jaillissent et les corps sont brûlés. C’est cet aspect délibérément gore qui lui a valu une certaine postérité outre-Atlantique, où il s’est établi une solide réputation de “western le plus violent de tous les temps”.

Néanmoins, comme le rapportent Marco Giusti et Kevin Grant dans leurs études respectives sur le western spaghetti, il semblerait que cette profusion de violence relève davantage d’une motivation mercantile du distributeur américain que d’une vraie démarche artistique de la part de Marchent. De fait, selon l’acteur principal, Robert Hundar, certaines scènes violentes en gros plan furent rajoutées après-coup. Tout était donc fait pour vendre le film comme un long-métrage horrifique, ce que corrobore la distribution de masques pour se cacher les yeux lors des projections américaines.

Néanmoins, il serait erroné de croire que cette dimension horrifique n’a pas été voulue par Marchent. Preuve en est, une séquence d’hallucination lorgne clairement du côté du film de zombies puisqu’un personnage mort revient à la vie, avec une attitude caractéristique des monstres popularisés par un autre Romero, George, quelques années auparavant.

Peu de secondes pour dire amen est-il bien un western ?

La grande force du métrage qui nous intéresse réside dans son script. En effet, il pousse le nihilisme à des sommets rarement atteints dans le genre. En résulte une ambiance oppressante jusqu’à la dernière minute, avec une tension constante maintenue par une issue imprévisible.  Des flashback viennent agrémenter l’histoire principale en amenant une trame secondaire puisqu’un des prisonniers aurait tué la femme de Brown. Ils sont eux aussi un prétexte pour faire preuve d’audace de la part de Marchent. Ainsi, ce dernier les introduit par des arrêts sur image brutaux et les tourne au ralenti, sans pour autant singer l’approche lyrique de Leone, afin d’accentuer leur aspect irréel.

Comme tous les chefs-d’œuvre du western spaghetti, le film va bien au-delà de son genre et se veut une métaphore désespérée de la condition humaine. Sa dimension symbolique apparaît manifeste dès lors que nous découvrons la vraie nature des chaînes qui lie les prisonniers. On pourra se demander à raison si le film ne relève pas plus du survival movie que du western, tant il présente peu de caractéristiques typiques du genre, se révélant in fine plus proche de Délivrance que de la trilogie du dollar.

Un aspect artistique placé sous le sceau de la noirceur

Les acteurs du film se révèlent tous convaincants avec leurs mines patibulaires. Robert Hundar, acteur fétiche de Marchent se révèle très convaincant dans le rôle principal. Les amateurs de western ibérique reconnaîtront des acteurs récurrents et inspirés tels que Carlos Romero Marchent, le frère du réalisateur, José Manuel Martín ou Xan das Bolas. Le métrage se distingue aussi d’autres westerns en mettant en avant son personnage féminin, parfaitement interprétée par Emma Cohen. Cette jeune fille va beaucoup souffrir, jusqu’à se retrouver au bord du gouffre à chaque instant, au sens propre du terme.

Enfin, on retrouve l’obscurité inhérente au métrage dans son aspect sonore. La partition confine ainsi bien souvent à la dissonance, et les chœurs de voix graves sont particulièrement sinistres. Si le tout sied particulièrement bien au film, il est difficile d’écouter cette bande originale séparément, à la différence d’autres partitions du genre. A noter également que les effets sonores se révèlent eux aussi particulièrement soignés et porteurs de sens. A titre d’exemple, le sifflement du train est distordu pour résonner comme un véritable cri de mort.

En définitive, ce Peu de secondes pour dire amen est un film qui mérite amplement sa réputation de western violent et sans concessions à l’étranger. Malheureusement, peu de personnes sont au fait de son existence dans nos contrées. Il s’agit en effet d’un classique méconnu du genre qui ne dépareille pas aux côté des excellents Le grand Silence ou Les colts brillent au soleil. Ce film séminal, qui semble avoir grandement inspiré Les huit salopards de Quentin Tarantino mérite donc de toute urgence une réédition.

Critique : Kevin Martinez

Les westerns spaghettis sur CinéDweller

Sorties de la semaine du 18 janvier 1973

Cut-Throats Nine affiche américaine

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