Œuvre choc qui a définitivement lancée la carrière de John Boorman et de Burt Reynolds, Délivrance est un film toujours impressionnant et marquant près de 50 ans après sa réalisation. Culte, assurément.
Synopsis : Quatre Américains de classe moyenne, Ed Gentry, Lewis Medlock, Bobby Trippe et Drew Ballinger décident de consacrer leur week-end à la descente en canoé d’une impétueuse rivière située au nord de la Géorgie. Ils envisagent cette expédition comme un dernier hommage à une nature sauvage et condamnée par la construction d’un futur barrage. Mais les dangers qu’ils affronteront ne proviendront pas uniquement des flots tumultueux de la rivière…
Critique : Auteur de plusieurs films qui ont surtout éveillé l’attention des critiques, mais beaucoup moins du grand public, le Britannique John Boorman s’entiche du roman de James Dickey intitulé Délivrance, publié avec succès en 1970. Le réalisateur est tellement emballé qu’il se porte aussitôt acquéreur des droits, soufflant la priorité à Sam Peckinpah et qu’il propose à la firme Warner Bros. de distribuer cette production budgétée à 2 millions de dollars. Si le projet est tout d’abord proposé à des stars établies d’Hollywood, Boorman finit par se tourner vers Jon Voight qui vient de connaître quelques déboires au box-office national, distribuant ensuite les autres rôles à Burt Reynolds (surtout vu sur le petit écran, et donc pas encore star) et à deux inconnus (Ned Beatty et Ronny Cox, découverts au théâtre).
Tourné en respectant la continuité de l’intrigue dans des conditions extrêmes – les acteurs réalisent eux-mêmes leurs cascades dans les rapides ou à flanc de montagne – le long-métrage propose une vision de la nature bien loin du cliché écolo qui commençait à fleurir sur les écrans du monde entier à l’occasion du Flower Power. Si les citadins viennent passer du temps dans ces montagnes éloignées de toute civilisation, on suppose qu’ils le font pour fuir le stress de leur quotidien routinier. Ce retour à la nature se transforme pourtant assez rapidement en un enfer qui viendra bouleverser leur existence. Loin de succomber au chromo d’une nature idéalisée, Boorman décrit au contraire des espaces majestueux, mais furieusement hostiles à toute présence humaine. Au cœur de cette nature impitoyable, les Hommes ne sont pas en reste puisque les quatre citadins sont rapidement confrontés à des rednecks monstrueux. Cette thématique quelque peu cliché ne donne pourtant jamais lieu à une confrontation binaire. Certes, ces terres abandonnées favorisent la consanguinité des habitants, mais tous ne sont pas décrits comme des abrutis congénitaux, si l’on excepte les deux violeurs.
Par ailleurs, les réactions des citadins agressés ne s’embarrassent guère de civilité et l’on se demande bien si leurs agissements ne sont pas tout aussi condamnables sur le plan moral que celui de leurs antagonistes. La grande force de Délivrance est donc de ne jamais stigmatiser ses personnages. On peut également apprécier le fait que le cinéaste prend le spectateur à rebrousse-poil en présentant un personnage incarnant immédiatement la force brute (Burt Reynolds dans un emploi qu’il retrouvera par la suite), pour finalement lui octroyer une place mineure dans la suite du récit. Toutefois, la réputation du film tient en deux séquences culte qui sont effectivement magnifiques. Il s’agit tout d’abord d’un duo musical entre le citadin à la guitare et l’autochtone au banjo qui laisse entrevoir une possible fusion entre les deux univers. Puis, la deuxième scène choc est celle du viol où l’un des protagonistes est rabaissé au rang d’animal. Ce glissement soudain vers l’horreur la plus réaliste opère un basculement total du long-métrage et choque toujours près de cinquante ans après sa réalisation.
Délivrance n’est assurément pas le premier survival de l’histoire du cinéma, mais il est certainement celui qui a le plus marqué les spectateurs au point de donner naissance à de multiples déclinaisons, plus ou moins inspirées. Il a en tout cas démontré aux studios américains que l’on pouvait rencontrer un immense succès avec des sujets chocs et des ambiances déplaisantes. Avec plus de 46 millions de billets verts cumulés sur le sol américain, Délivrance fut une sacrée bonne affaire qui a immédiatement propulsé John Boorman au firmament des cinéastes à suivre et qui a contribué à mettre sur orbite les carrières de ses quatre vedettes masculines. En France, ils furent près d’un million et demi à venir éprouver des sensations fortes et inédites, faisant immédiatement du film une œuvre culte.
Critique de Virgile Dumez