Gothique, baroque ou simplement angoissant, Les trois visages de la peur est un petit bijou du cinéma horrifique des années 60 grâce à une réalisation somptueuse et à des éclairages démentiels.
Synopsis : Le film est composé de trois sketches qui, chacun, mettent en scène une situation horrifique.
Le téléphone : Rosy passe une nuit particulièrement éprouvante, harcelée au téléphone par un inconnu lui annonçant sa propre mort…
Les Wurdalaks : un vampire terrorise la campagne slave. Un étranger débarque dans une famille dont le père a disparu depuis plusieurs jours. La nuit venue, ce dernier réapparait…
La goutte d’eau : Miss Chester n’aurait peut-être pas dû voler la bague de l’une de ses patientes récemment décédée…
Des histoires tirées de grands auteurs… ou pas
Critique : Au début des années 60, Le masque du démon (1960) rencontre un énorme succès partout dans le monde et surtout aux États-Unis. Le nom de Mario Bava devenant vendeur, la compagnie AIP (American International Pictures) lui propose de mettre en chantier un film à sketches inspirés d’auteurs prestigieux. Effectivement, ils venaient de rencontrer un vif succès avec les adaptations de Poe par Roger Corman.
Les producteurs italiens se lancent donc à corps perdu dans ce projet, mais le scénariste Alberto Bevilacqua n’adapte réellement que l’intrigue d’Alexei Tolstoï traitant des Wurdalaks. Pour les deux autres sketches envisagés, on convoque les noms de Tchekhov et Maupassant, mais on ne trouve guère la trace de ces récits dans leur œuvre. Les trois visages de la peur est donc symptomatique d’une pratique commerciale de l’époque fondée sur un argument mensonger afin d’attirer le chaland peu au fait de la littérature fantastique.
Un premier sketch contemporain en mode giallo
De son côté, Mario Bava se trouve alors au sommet de sa créativité artistique. Ce dernier réalise en cette même année 1963 La fille qui en savait trop puis Le corps et le fouet, deux autres contributions majeures au cinéma populaire italien. Débutant par un sketch très influencé par Alfred Hitchcock, Bava réussit par intermittence à égaler le maître anglais. Malgré une histoire aux rebondissements peu enthousiasmants, il crée une ambiance troublante grâce à des mouvements d’appareil très fluides et à la conviction de Michèle Mercier. D’une beauté plastique impeccable, l’actrice se donne à fond pour susciter la peur, souvent avec succès. On notera également la présence d’un sous-texte lesbien qui n’était pas si fréquent à l’époque.
Le second segment place quant à lui la barre plus haut avec un récit vampirique du plus bel effet. Donnant libre cours à son inspiration gothique sortie tout droit des œuvres de la Hammer, Bava met en place des éclairages bariolés qui seront par la suite sa marque de fabrique. Les décors fabuleux, la bande sonore angoissante et la prestation hallucinée de Boris Karloff font de ce sketch un pur moment de poésie macabre, à ranger à côté du superbe Le corps et le fouet.
Des éclairages démentiels qui dénoncent l’artificialité du cinéma fantastique
Enfin, La goutte d’eau termine en beauté ce long-métrage : uniquement fondé sur la magie des éclairages (les fans d’Argento et de Suspiria seront aux anges), cette simple histoire de malédiction provoque dès ses premières images l’angoisse, puis l’effroi. Chaque plan est travaillé à l’extrême, avec un souci maniaque du détail. Baroque, cet épisode est finalement le plus abouti des trois. Mais là où Mario Bava se distingue une fois de plus de ses concurrents, c’est lors du brillant final dévoilant que tout ce qui nous a été raconté n’est qu’illusion. Par une mise en abyme audacieuse, le cinéaste révèle la nature artificielle du cinéma. Cette pirouette finale achève de faire des Trois visages de la peur un must du cinéma horrifique italien des années 60.
Mario Bava lui-même, pourtant très dur avec son œuvre, dans un entretien publié dans Positif n°138 en mai 1972, répondait ainsi à la question de savoir quel était son film préféré :
Peut-être Les trois visages de la peur. Avec Boris Karloff : un véritable gentleman, celui-là. Jamais un retard, pas le moindre caprice. A l’époque, il souffrait d’une arthrite et il souffrait même beaucoup : il ne nous en a absolument rien dit.
Un échec commercial à redécouvrir de nos jours en UHD 4K
Sorti aux États-Unis sous le titre Black Sabbath, avec un montage et une musique différents, Les trois visages de la peur n’a pas rencontré le succès. Pas davantage en Italie, ni même en France où les spectateurs français ne furent que 230 461 curieux à faire le déplacement dans les quelques salles qui l’ont projeté. Depuis cette époque, le réalisateur a été heureusement réhabilité et le métrage est non seulement ressorti en salles en juillet 2019 dans une copie restaurée, mais est trouvable chez Le Chat qui Fume en Blu-ray UHD 4K.
Signalons d’ailleurs que la copie y est de toute beauté et que les nombreux suppléments contribuent à remettre le film dans son contexte. Un bel objet à posséder absolument pour tous les amateurs de cinéma gothique italien.
Critique de Virgile Dumez