Le corps et le fouet, petit classique du gothique transalpin, s’avère l’un des fleurons de l’horreur à l’italienne, marqué par un érotisme et un sadisme toujours aussi efficaces plus de cinquante ans après sa création. Un incontournable.
Synopsis : Le baron Kurt Menliff revient dans sa demeure de la Baltique après un long exil. Une atmosphère d’épouvante envahit bientôt le sombre château familial lorsque le baron est retrouvé mystérieusement assassiné…
De l’exploitation pure qui aboutit à une œuvre d’art
Critique : Avec la volonté évidente de concurrencer les Britanniques dans le domaine de l’horreur gothique qui s’exporte dans le monde entier en ce début des années 60, les producteurs italiens se livrent à un pillage en règle des clichés du genre. En travestissant les noms des artistes impliqués (John M. Old à la place de Mario Bava) et en engageant une vedette anglaise comme Christopher Lee, la volonté de contrefaçon est plus qu’évidente. Il s’agissait alors de faire croire au public qu’il était face à une œuvre produite par la Hammer et non face à une coproduction franco-italienne.
Ces méthodes d’un autre temps ne doivent pourtant pas égarer notre jugement : Mario Bava, solide artisan ayant déjà signé un chef-d’œuvre (Le masque du démon en 1960), nous livre avec Le corps et le fouet (1963) l’un des plus beaux fleurons de l’horreur gothique, toutes nationalités confondues.
Plongée vertigineuse dans un gothique sublimé
Tout d’abord, lui et son scénariste Ernesto Gastaldi respectent à la lettre les règles imposées du genre. Il faut dire que le métrage est une commande du producteur Luciano Martino qui désirait retrouver une ambiance proche de celle de La chambre des tortures (Corman, 1961) qui venait de faire une belle carrière en Italie. Du coup, le film est intégralement situé dans un château dont les couloirs constituent un dédale où se perdent les personnages. Les auteurs n’ont négligé ni les passages secrets, ni les péripéties se déroulant dans des cryptes, à portée de mains de tombeaux à moitié ouverts.
L’atmosphère orageuse est entretenue par une bande-son apocalyptique où souffle sans discontinuer un vent tempétueux (alors que les arbres paraissent bien paisibles en arrière-plan), tandis que des éclairs retentissent au loin. Enfin, la magnifique musique lyrique et passionnée de Carlo Rustichelli donne à l’ensemble des accents romantiques qui contrastent fortement avec l’ambiance sulfureuse se dégageant du long-métrage.
Un grand film sur le sadomasochisme, traversé d’éclairs fétichistes
Effectivement, si l’emballage s’apparente à un classique démarquage du gothique britannique, Mario Bava y a inclus une tonalité purement latine avec cette histoire d’une famille décadente qui dissimule de nombreux secrets. Le tout est nimbé d’un épais vernis de perversité que le cinéma anglais n’aurait pas osé étaler de manière si explicite. Traversé par un sadisme insidieux et une tension érotique de chaque instant, Le corps et le fouet est une œuvre psychanalytique qui oppose sans cesse le sur-moi de la société (la bienséance, les us et coutumes, les convenances de façade) au ça de l’inconscient (la volonté de l’héroïne de coucher avec l’homme qui la fait souffrir / jouir).
D’une rare intensité érotique, les séquences où la brune Daliah Lavi se fait fouetter par Christopher Lee restent longtemps gravées dans nos mémoires. D’ailleurs, l’actrice parvient à transformer des regards de crainte en œillades complices et sexuellement explicites en seulement quelques secondes. Autant dire que ces scènes ont été largement coupées lors de la première exploitation du métrage en 1963, tant elles étaient osées pour l’époque. Avouons-le, elles font toujours leur petit effet de nos jours grâce au talent des acteurs et au fétichisme de la mise en scène de Bava.
Le corps et le fouet fut interdit, coupé, mutilé en fonction des territoires
Tout ceci est magnifié par une photographie splendide où toute notion de naturalisme est évacuée pour transformer l’écran en une toile peinte par un maître de la couleur. Quant aux acteurs, pour la plupart des habitués du genre comme Ida Galli (Hercule contre les vampires), Harriet Medin (les Dr. Hichcock de Riccardo Freda), Gustavo De Nardo (La fille qui en savait trop, Les trois visages de la peur) ou encore Luciano Pigozzi (Six femmes pour l’assassin, Le château des morts vivants), ils donnent le meilleur d’eux-mêmes et participent grandement à la splendide réussite de ce mètre-étalon du genre.
Sorti tardivement en France (soit trois ans après son tournage) sans doute à cause de son terrible échec italien, Le corps et le fouet a écopé d’une interdiction aux moins de 18 ans, ce qui ne l’a pas empêché d’attirer 246 670 spectateurs dans ses salles très obscures. Avec le temps, le métrage n’est désormais plus interdit qu’aux moins de 12 ans, et ceci malgré son ambiance érotico-sadique encore bien prégnante. Le charme envoûtant de ce petit classique n’est pas prêt de se dissiper.
Critique de Virgile Dumez