Avec Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait, Emmanuel Mouret revient à la quintessence de son art et livre une œuvre bouleversante sur les errements du cœur. Il s’appuie sur des comédiens exceptionnels. Du travail d’orfèvre.
Synopsis : Daphné, enceinte de trois mois, est en vacances à la campagne avec son compagnon François. Il doit s’absenter pour son travail et elle se retrouve seule pour accueillir Maxime, son cousin qu’elle n’avait jamais rencontré. Pendant quatre jours, tandis qu’ils attendent le retour de François, Daphné et Maxime font petit à petit connaissance et se confient des récits de plus en plus intimes sur leurs histoires d’amour présentes et passées…
Retour d’Emmanuel Mouret au drame sentimental
Critique : En 2018, Emmanuel Mouret a rencontré un joli succès avec son adaptation libre de l’œuvre de Diderot Jacques le fataliste intitulée pour l’occasion Mademoiselle de Joncquières. Apparemment loin de son univers, le long-métrage lui a pourtant permis d’approfondir ses thématiques habituelles, toujours liées à l’amour et ses petits tracas. En 2020, il nous revient avec Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait qui semble opérer un retour aux fondamentaux du réalisateur puisque nous sommes conviés à suivre les aventures sentimentales de plusieurs personnages.
© 2020 Moby Dick Films / Photographie : Pascal Chantier. Tous droits réservés.
Toutefois, la dimension littéraire des films précédents de l’auteur inspiré de Changement d’adresse (2006) est encore plus prégnante avec ce nouvel opus. S’amusant avec la narration, Emmanuel Mouret multiplie les récits à l’intérieur d’autres récits, emboitant plusieurs histoires les unes dans les autres à la manière du Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki. Ainsi, le récit principal s’articule autour des histoires d’amour vécues par les deux personnages principaux incarnés par Camélia Jordana et Niels Schneider. Toutefois, à l’intérieur de ces récits, certains personnages secondaires se livrent aussi à des confidences qui donnent ainsi lieu à des flashback à l’intérieur des flashback. Il fallait un talent certain pour agencer ces différentes strates narratives sans perdre le spectateur, d’autant que tout ceci fait intervenir un nombre assez conséquent de protagonistes.
Emmanuel Mouret cisèle un script totalement abouti
Passé maître en matière d’écriture, Emmanuel Mouret parvient à immerger le spectateur dans des intrigues amoureuses qui tiennent initialement du pur marivaudage. Retrouvant la saveur du cinéma d’un certain Éric Rohmer, Mouret ne se limite pourtant pas à l’évocation des errements du cœur de quelques personnages triés sur le volet. Peu à peu, sa peinture des sentiments contrariés finit par bouleverser car l’auteur propose une vision de l’humanité juste et profonde. Même si les protagonistes peuvent être amenés à tromper leurs conjoints respectifs, Emmanuel Mouret cherche toujours à expliquer les raisons de ces comportements.
© 2020 Moby Dick Films / Photographie : Pascal Chantier. Tous droits réservés.
Jamais juge, mais constamment en empathie avec ses personnages, l’auteur réussit même à leur octroyer une forme de grandeur d’âme qui bouleverse durablement. On pense notamment au magnifique personnage de femme trompée incarnée avec beaucoup de sensibilité par Émilie Dequenne (dans un contre-emploi total). Mais c’est aussi le cas de celui de Camélia Jordana, particulièrement juste dans un rôle qui lui va comme un gant. Enfin, il faut insister sur la justesse de jeu de Vincent Macaigne et Niels Schneider qui viennent compléter une distribution remarquable.
Le film de la maturité artistique
En prenant le temps de raconter les histoires de chacun, et donc en faisant confiance au pouvoir du récit, Emmanuel Mouret se livre à une superbe autopsie des troubles du cœur. En ajoutant sur ses images des morceaux de musique classique particulièrement bien choisis, il finit par créer une petite musique qui va droit au cœur pour peu que l’on aime la douceur, la tendresse, mais aussi une forme de mélancolie qui ne débouche jamais sur le désespoir, mais au contraire sur une philosophie apaisée de l’existence. En cela, Emmanuel Mouret semble bien avoir atteint une maturité artistique avec ce long-métrage en tout point remarquable.
Privé de Festival de Cannes (alors qu’il était initialement sélectionné) pour cause d’annulation de la manifestation, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait est sorti au mois de septembre 2020 dans un contexte de crise sanitaire troublé. Le long-métrage a réuni 278 268 spectateurs sur toute la France avant que les salles ne ferment leurs portes pour six longs mois. Le drame sentimental a éveillé l’intérêt de l’Académie des César qui lui a octroyé 13 nominations, ce qui en fait un record à mettre à égalité avec Cyrano de Bergerac (Rappeneau, 1990). Mais contrairement à son ainé, Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait n’a finalement obtenu qu’une statuette pour saluer la prestation d’Emilie Dequenne dans un second rôle. Ce résultat est d’autant plus décevant que le long-métrage confirme encore une fois l’excellente forme artistique d’un auteur décidément très talentueux.
Critique de Virgile Dumez
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