Cyrano de Bergerac, meilleur film de Jean-Paul Rappeneau, est une production à prestige des années 90. Gérard Depardieu y est grandiose.
Synopsis : Paris, 1640. Dans un théâtre, un curieux personnage, dont l’esprit est aussi acéré que la rapière, provoque un duel au milieu d’une foule admirative. Cet homme, c’est le grand Cyrano (Gérard Depardieu) ; poète, fin bretteur, beau parleur, il ne craint ni le sang, ni les sots. Hélas, il est laid ; affublé d’un nez aux proportions peu communes, il désespère de pouvoir un jour séduire son amour de toujours, la belle Roxane (Anne Brochet), sa cousine. Mais celle-ci, pour son plus grand malheur, n’a d’yeux que pour le beau Christian de Neuvillette (Vincent Perez), qui l’aime en cachette. Son seul défaut : il n’a pas d’esprit, et n’est pas doué pour s’adresser aux femmes. C’est pourquoi il demande à Cyrano de l’aider à conquérir la belle tant convoitée, ignorant les sentiments de ce dernier pour elle…
« Qu’en termes galants ces choses-là sont dites »
Critique : La pièce d’Edmond Rostand a fait l’objet de plusieurs versions cinématographiques dont une adaptation hollywoodienne de Michael Gordon (1950), aujourd’hui oubliée, qui avait permis à José Ferrer d’obtenir l’Oscar du meilleur acteur. C’est peu dire que l’adaptation par Jean-Paul Rappeneau et son scénariste Jean-Claude Carrière la surpasse. On pouvait compter sur l’élégance et le panache du réalisateur, peu prolifique, mais auteur de quelques-unes des comédies les plus subtiles du cinéma français, comme La Vie de château (1965) ou Le Sauvage (1975). Bien sûr, la réussite du film tient beaucoup à celle de l’œuvre littéraire, mais il n’était pas facile de transposer à l’écran des dialogues qui comportaient autant d’éléments de vieux français que d’expressions argotiques, et que l’on aurait pu considérer (à tort) comme tombées en désuétude. À vrai dire, pour ne pas dépasser les 2h15 de projection, Rappeneau et Carrière ont taillé dans le texte, supprimant notamment les tirades les plus obsolètes, et n’ont pas hésité à ajouter quelques séquences muettes jouant les codes de la commedia dell’arte (procédé que n’aurait pas exclu un metteur en scène de théâtre).
Loin de constituer un simple toilettage commercial lié aux contraintes de l’exploitation en salle, la démarche donne au métrage une fluidité qui n’a pas été pour rien dans son accueil consensuel. Si le film multiplie les mouvements de caméra et alterne tournages en studio ou dans des monuments historiques (abbaye de Fontenay) et prises de vue en extérieur, la théâtralité du matériau est assumée, et l’on est surpris de voir ici les alexandrins s’immiscer dans une production culturelle qui ciblait à l’époque le public de Camille Claudel davantage que celui de Manoel de Oliveira…
Cyrano de Bergerac, le film aux dix César
Car si le Cyrano de Rappeneau exclut toute radicalité, il est ce que le cinéma français a produit de meilleur dans le genre. Les collaborateurs artistiques et techniques (Pierre Lhomme à la photo, Jean-Claude Petit pour la musique…) ne sont pas pour rien dans ce que l’on peut considérer comme une réussite collective, au-delà des mérites réels de son réalisateur. Et quelle autre production française mêle l’efficacité du film historique et de cape et d’épée avec la référence à la tradition du théâtre populaire et classique ? Même si les adaptations de Shakespeare par Welles (Othello), Kurosawa (Le Château de l’araignée) ou Laurence Olivier (Hamlet) ont eu une ambition cinématographique plus grande et resteront davantage dans les annales du septième art, le film de Jean-Paul Rappeneau reste un modèle d’adaptation littéraire à l’écran, que les professionnels récompensèrent par dix César.
Cyrano de Bergerac devait marquer l’apogée de la carrière de Gérard Depardieu après quinze années fructueuses au cours desquelles il fut dirigé par Blier, Truffaut ou Pialat. Il est ici prodigieux et bien entouré d’un casting utilisant des jeunes acteurs alors prometteurs (Anne Brochet et Vincent Perez) et des pointures de la scène, tels Jacques Weber, Roland Bertin, Josiane Stoléru ou Catherine Ferran.
Critique de Gérard Crespo
César du Meilleur film
Le saviez-vous?
- Sorti en mars 1990, en pleine crise du cinéma français, Cyrano de Bergerac sera le 3e plus gros succès annuel, avec 4 734 000 spectateurs. Il se classe ainsi derrière Le cercle des poètes disparus (6 599 000) et La Gloire de mon père (6 291 000)
- Créée en 1982, la société Hachette Première, qui venait de produire Monsieur Hire de Patrice Leconte et La vie et rien d’autre de Bertrand Tavernier, produisit cette adaptation exceptionnelle. Un projet qui tenait à cœur à René Cleitman, alors à la tête du groupe.
- Le tournage démarra le 8 mai 1989 et durera 19 semaines.
- Le film fut tourné en France au Mans, Dijon, et à Uzès.
- Le tournage de la scène du balcon eut lieu dans les studios de Budapest et la bataille d’Arras fut également filmée dans les environs de Budapest par soucis d’économie. D’autres scènes ont été tournées en Hongrie.
- Le budget fut colossal, avoisinant les 10 millions de francs (1,7 million de dollars) pour les décors, 4,5 millions de francs juste pour les costumes, 600 000 francs pour les chaussures. Au total, ce budget s’éleva à 100 millions de francs. La dimension internationale du projet fut mise en avant, notamment le succès mondial de la pièce.
- Michel Seydoux fut le principal partenaire financier du film.
- Pour son premier jour en salle sur Paris-Périphérie, Cyrano prend la tête du box-office avec 15 333 spectateurs dans 35 cinémas, malgré 4 séances quotidiennes. Il met ainsi la raclée au buddy movie avec Stallone et Kurt Russell, Tango et Cash (Warner) qui démarre à 12 836 spectateurs dans 40 cinémas.
- En première semaine, Cyrano attire pas moins de 126 040 entrées sur P.P. L’avantage est aux cinémas le Forum Horizon (9 829 spectateurs) et le mythique Kinopanorama (8 867). Le chef-d’œuvre français réalise 20% de la fréquentation hebdomadaire.
- Dans les 15 plus grandes villes de France, le film de Rappeneau caracole en tête pour cette première semaine, à l’exception de Metz et Nice qui donnèrent l’avantage à l’idole Sylvester Stallone.
- Véritable fierté française, Cyrano est sélectionné à Cannes en 1990, près d’un mois et demi après sa sortie, ce qui permet à Gérard Depardieu d’obtenir un Prix d’interprétation ! Fait rare et exceptionnel.
- Resté une semaine en tête du B.O. en raison de la sortie d’Allo maman, ici bébé, Cyrano est de retour en première place du box-office plus de 7 semaines après sa sortie. Il perdra cette première place en 11e semaine.
- L’adaptation d’Edmond Rostand demeure 22 semaines dans le top 10 parisien, jusqu’à la fin du mois d’août 1990.
- Il dépasse le million Paris-Périphérie, le 7 septembre 1990 lors de sa 24e semaine d’exploitation. Les alexandrins et ses 4 séances par jour n’auront jamais éconduit le public.
- Cyrano engrangera en son temps 5 820 020$ en Amérique du Nord, un score exceptionnel pour une œuvre en langue étrangère. Depardieu devient une star mondiale et jouera dans un certain nombre de productions anglophones (Bogus, My father ce héros, Green Card, L’homme au masque de fer, Hamlet, The Secret Agent…). Il sera nominé aux Oscars comme Meilleur acteur pour Cyrano de Bergerac.
- Malgré quatre nominations, Cyrano sera victime d’une malédiction française : l’Académie des Oscars snobe le film dans la catégorie du Meilleur film en langue étrangère, comme elle snobera le phénomène Amélie Poulain une décennie plus tard. Heureusement, les César rattraperont le coup, avec 10 récompenses sur 13 nominations…
- Anthony Burgess, auteur d’une traduction de la pièce, et surtout connu pour être l’auteur d’Orange Mécanique, s’est occupé lui-même des sous-titres en anglais.