Pur film de série, Les bagnards de Botany-Bay ambitionnait d’égaler le Bounty sans en posséder les qualités sur le plan narratif et sans les moyens nécessaires pour en faire une grande épopée maritime. Vieillot.
Synopsis : Au XVIIIème siècle, en Angleterre. Le médecin Hugh Tallan est condamné injustement pour vol et se voit déporté au bagne australien de Botany Bay. Reconnu innocent et gracié par le roi, Tallan n’échappera pas au supplice du long voyage, car le capitaine du navire, James Gilbert, refuse de retarder le départ. Au cours de la traversée vers l’Australie, Tallan tente de s’évader …
A la recherche d’un succès comme le Bounty
Critique : Avec le succès important remporté par Les révoltés du Bounty (Frank Lloyd, 1935), Charles Nordhoff et James Norman Hall, les auteurs du roman d’origine, ont été très courtisés par les studios hollywoodiens, et notamment par la Paramount qui double la MGM pour l’obtention des droits du prochain livre du duo. C’est ainsi que le roman Botany Bay a été acheté avant même d’avoir été écrit. Finalisé en 1941, le livre doit être adapté dans un premier temps pour l’acteur Joel McCrea, mais le projet est interrompu par la guerre.
Réactivé en 1946 avec Ray Milland dans le rôle principal, Botany Bay n’entre toujours pas en production car le tournage initialement prévu en Australie entrainerait des coûts jugés trop élevés. Il faut donc attendre le début des années 50 pour que la Paramount relance le projet, cette fois-ci avec un budget plus limité porté par le cinéaste John Farrow et l’acteur Alan Ladd. Les deux hommes se connaissent bien puisqu’ils ont déjà tourné ensemble plusieurs films, dont un équivalent maritime intitulé Révolte à bord (1946).
L’Australie reconstituée en studio pour éviter des coûts trop élevés
Désormais, Les bagnards de Botany-Bay (1952) tombe entre les mains expertes d’un cinéaste qui est justement d’origine australienne et qui fut marin durant sa jeunesse à tel point qu’il fut longtemps un conseiller sur les films d’aventures maritimes des années 30. Pourtant, avec un tel curriculum vitae, on pouvait s’attendre à un spectacle bien plus trépidant que ce Botany Bay mollasson qui a visiblement beaucoup souffert des réductions drastiques de son budget.
Intégralement tourné dans les studios américains, Les bagnards de Botany-Bay échoue grandement à nous faire voyager puisque les seuls plans de bateau sont réalisés à base de maquettes et que la terre australe n’est qu’un plateau où l’on a placé deux pauvres koalas et deux aborigènes perdus au milieu d’une végétation pseudo exotique. Dire que l’illusion fonctionne serait mentir.
Un tournage tendu sous la houlette d’un cinéaste tyrannique
Vaguement inspiré de la colonisation britannique sur l’espace australien par l’arrivée massive de bagnards condamnés à l’exil, le long métrage n’est pas directement historique, mais semble plutôt reprendre des formules établies par Les révoltés du Bounty. Ainsi, l’essentiel de l’action se déroule à bord d’un navire tenu par un capitaine aux méthodes particulièrement cruelles et injustes. Rigide dans son application du règlement, le capitaine Paul Gilbert (magnifiquement incarné par James Mason, seul acteur à vraiment tirer son épingle du jeu) n’a rien à envier à son homologue du Bounty, le lieutenant Bligh. Signalons au passage que James Mason, dans ses mémoires, a déclaré qu’il s’était inspiré du comportement dictatorial du réalisateur John Farrow pour composer son personnage. Une petite vacherie qui confirme la sale réputation du cinéaste, déjà bien installée à l’époque du tournage.
Assez rapidement coincé sur le navire qui va mener les bagnards en Australie, le spectateur va trouver le temps long durant la projection tant les péripéties s’avèrent peu nombreuses et généralement peu enthousiasmantes. Seul éclair de sadisme dans un ensemble très policé, la mort d’un tout jeune garçon par la folie du capitaine, ou encore ce supplice de la cale qui était effectivement en vigueur dans la marine britannique et qui consistait à lester les condamnés avec une lourde charge et à les plonger dans l’eau jusqu’à la noyade. Dans le film, le supplice est agrémenté d’un passage forcé sous la coque du navire.
Les bagnards de Botany-Bay ne se démarque pas du tout-venant hollywoodien
Ces quelques passages viennent enfin secouer la torpeur d’un voyage sans doute trop linéaire dans sa narration. D’un côté, le capitaine ne cesse de s’enfoncer dans une folie homicide, de l’autre, le héros incarné mollement par Alan Ladd tente vainement de s’enfuir avec quelques complices. Malheureusement, le suspense est rarement efficace et l’ennui gagne à nouveau du terrain face à un script trop balisé.
Il faut dire que la réalisation de John Farrow demeure bien trop sage, y compris dans les moments évoqués ci-dessus et que le casting ne paraît pas franchement impliqué. Seules des pointures comme James Mason et Cedric Hardwicke s’en sortent plutôt bien. Face au fade Alan Ladd – déjà sous l’emprise de l’alcool ? – l’actrice Patricia Medina fait ce qu’elle peut pour donner de l’épaisseur à un personnage finalement assez mal écrit. Elle n’y parvient pas totalement. Tous les autres se contentent de jouer des figures archétypales qui ne présentent guère d’intérêt.
Dès lors, Les bagnards de Botany-Bay ne présente pas franchement d’intérêt, surtout en comparaison des différentes versions des Révoltés du Bounty, nettement meilleures jusque dans leurs imperfections.
Le film a profité du triomphe de L’homme des vallées perdues
Sorti aux Etats-Unis au mois d’octobre 1953 dans la foulée du triomphal L’homme des vallées perdues (George Stevens), Les bagnards de Botany-Bay a pu profiter de l’énorme popularité d’Alan Ladd pour collecter 1 900 000 $ (soit 22 550 000 $ au cours de 2024) de recettes nettes. Certes, le métrage est loin d’égaler le génial western, mais sa qualité toute relative explique sans doute sa carrière plus limitée. En France, le distributeur Paramount a également positionné le long métrage maritime au mois de juin 1954, soit six mois après le très gros succès remporté par le western mentionné ci-dessus (qui avait carburé à 3 551 086 spectateurs pour une belle 18ème place annuelle dans l’Hexagone).
Là encore, Les bagnards de Botany-Bay ne peut rivaliser et retrouve des hauteurs habituelles pour Alan Ladd qui réunissait autour de son nom environ 1,5 million de Français à chaque film. Pour son démarrage dans la semaine du 11 juin 1954, l’œuvre maritime se place à la 5ème place du box-office français hebdomadaire avec 67 553 entrées en première exclusivité. Par la suite, le long métrage a le droit à une exploitation à plus grande échelle durant le mois de juillet qui le voit atteindre la première place du box-office la semaine du 6 juillet avec 119 556 marins supplémentaires.
Un succès français durant l’été 1954
La semaine suivante, il perd trois places et continue à attirer 63 048 matelots à son bord. Il doit céder la place à plus fort que lui, et notamment le bijou Tant qu’il y aura des hommes (Fred Zinnemann) ou le polar à la française Touchez pas au grisbi (Jacques Becker, 1954) qui va relancer la carrière de Jean Gabin et mettre sur orbite un certain Lino Ventura. Durant les semaines estivales suivantes, Les bagnards de Botany-Bay continue à divertir le public français friand d’exotisme et finit sa carrière avec 1 537 502 entrées réunies durant un été favorable à l’évasion.
Depuis ce petit succès, Les bagnards de Botany-Bay n’a pas connu de rédemption dans notre pays puisqu’il n’a jamais fait l’objet d’une édition vidéo, ni en VHS, ni en DVD et encore moins en blu-ray. Il faut rappeler que le produit est quelque peu frelaté et passe difficilement le cap des années. Désormais, il hante les plateformes tenues par Paramount de manière quasiment anonyme en tant que fond de catalogue.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 9 juin 1954
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Biographies +
John Farrow, James Mason, Alan Ladd, Patricia Medina, Cedric Hardwicke
Mots clés
Cinéma américain, La mer au cinéma, Les bateaux au cinéma, Le voyage au cinéma, Films de prison