Drôle, grinçant et caustique, L’argent de la vieille est une brillante allégorie de la lutte des classes menée par des acteurs au sommet de leur talent. Un pur bijou de la comédie à l’italienne.
Synopsis : Chaque année, une Comtesse convie Peppino et Antonia, italiens pauvres nantis de 5 enfants, à une partie de cartes où l’on joue avec son argent. Chaque fois, la Comtesse gagne. Mais un jour, ils ont en main une fortune…
Retour à la comédie pour Luigi Comencini
Critique : Après plusieurs films sérieux qui ont établi sa réputation à l’international, notamment les très beaux L’incompris (1967) et Casanova, un adolescent à Venise (1969), le réalisateur Luigi Comencini revient à la comédie grinçante, genre dont il a porté haut l’étendard dans les années 50. Il s’associe donc à Alberto Sordi pour tourner L’argent de la vieille (1972), dont le scénario original est signé Rodolfo Sonego, auteur attitré du comédien. Effectivement, Sonego est déjà connu à l’époque pour ses scripts cinglants d’Une vie difficile (Dino Risi, 1961), Amore mio aiutami (Alberto Sordi, 1969) et Détenu en attente de jugement (Nanni Loy, 1971). Il confirme ici l’importance de sa plume acérée dans un registre très social.
Ainsi, L’argent de la vieille se présente comme une allégorie de la lutte des classes. A travers le jeu de cartes qui oppose une vieille milliardaire et deux pauvres se joue l’opposition entre ceux qui possèdent tout et ceux qui n’ont rien. La vieille dame, elle, cherche avant tout à se divertir, mais son talent aux cartes lui permet de ne jamais perdre un centime. Au fil des bobines, le spectateur comprendra que la vieille harpie est en réalité très proche de ses sous et qu’elle n’entend pas perdre. Cette obsession de la gagne à tout prix est d’ailleurs ce qui la maintient en vie.
Un vrai jeu de société
Face à elle, Luigi Comencini s’attarde davantage sur le couple formé par Peppino et Antonia. Il décrit notamment avec beaucoup de tendresse ces quartiers pauvres de la périphérie de Rome qui seront également au cœur de la géniale comédie d’Ettore Scola Affreux, sales et méchants (1976). Loin de la méchanceté de la comédie de Scola, L’argent de la vieille se moque tout de même de ces populations des bidonvilles qui attendent tous de tomber sur un bon coup pour parvenir à s’extirper de la misère. L’auteur insiste donc sur l’obsession de l’argent développée par ce petit peuple qui ne cherche aucunement à se révolter contre le système, mais qui, par son avidité, en valide le fonctionnement.
Ainsi, dès le moment où le couple accepte de jouer à ce jeu d’argent – la scopa, très populaire en Italie – il se conforme aux attentes des classes aisées. Si la table de jeu semble établir un rapport d’égalité entre les joueurs, les dés sont en réalité pipés. Effectivement, la milliardaire peut faire durer le jeu autant qu’elle le désire puisque ses ressources sont illimitées, tandis que le couple y joue ses quelques économies. S’ensuit une succession de parties qui peuvent rebattre les cartes de la destinée ou confirmer la supériorité de l’aristocratie. Bien évidemment, le choix de faire de la vieille femme une Américaine n’est pas fortuit et L’argent de la vieille peut même se lire comme une métaphore de la domination des Etats-Unis sur les pays les plus pauvres.
L’argent de la vieille ou comment renverser la table une bonne fois pour toutes
Pour Sonego et Comencini, la solution ne peut aucunement découler du respect des règles pipées imposées par les dirigeants, mais par des méthodes révolutionnaires visant à renverser la table (de jeu ?). Sans dévoiler la fin particulièrement cruelle et cinglante, la solution radicale viendra de la petite fille du couple qui, tout au long du film, apparaît comme bien plus mature que ses idiots de parents. On retrouve d’ailleurs ici une thématique chère à Luigi Comencini, cinéaste qui a toujours valorisé l’enfance au détriment des adultes. Le cinéaste prouve qu’il est toujours très à l’aise dès qu’il met en scène des nuées de gosses.
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Echappant à la caricature facile et aux gags téléphonés, L’argent de la vieille représente donc un modèle absolu de la comédie à l’italienne, à la fois très drôle, cruelle et méchante, mais non dépourvue de tendresse dans les relations entre les personnages. L’ensemble est parfaitement mené par un casting de haute volée. Alberto Sordi est toujours aussi drôle lorsqu’il incarne les prolétaires un peu minables et fainéants. Ici, il est magnifiquement secondé par une Silvana Mangano qui a limité au maximum le maquillage pour apparaître crédible en femme du peuple.
Un beau jackpot en Italie
Du côté des aristocrates américains, Joseph Cotten fait un souffre-douleur formidable face à une Bette Davis toujours aussi déchaînée dès qu’il s’agit de jouer la fausseté. La comédienne qui est sortie de sa retraite pour venir tourner le film en Italie livre une prestation parfaite, même si elle a gardé un mauvais souvenir du tournage car elle ne s’est pas du tout entendue avec Alberto Sordi qui refusait de lui adresser la parole. Mais finalement, ces tensions et incompréhensions sur le plateau entre le staff anglo-saxon et italien a sans doute contribué à l’antagonisme bien visible à l’écran. Réalisée de manière classique et carrée, la comédie grinçante bénéficie également d’un thème musical chatoyant signé Piero Piccioni (plus de 200 bandes originales à son actif dans tous les genres populaires).
Sorti fin 1972 en Italie, le long métrage s’est hissé à la 17ème place annuelle d’un box-office qui était largement dominé par la production locale, alors en pleine forme. La comédie a attiré plus de 4 101 468 Italiens dans les salles pour une recette de plus de 1,8 milliard de lires. Sélectionné aux David di Donatello, L’argent de la vieille est parvenu à décrocher deux récompenses en 1973 pour ses acteurs. Ainsi, Alberto Sordi a été déclaré meilleur acteur durant cette cérémonie, tandis que Silvana Mangano a décroché le prix de la meilleure actrice, ex aequo avec Florinda Bolkan pour Chers parents (Enrico Maria Salerno, 1973).
Retour sur l’exploitation parisienne
Pourtant, les distributeurs étrangers ne semblent pas s’être précipités pour acheter cette excellente comédie. Ainsi, le film a écumé pendant plusieurs années les festivals du monde entier. En France, il fait un petit détour par le Festival du film de Paris en novembre 1976, mais doit encore patienter un an avant d’être enfin distribué par Planfilm à partir du 30 novembre 1977, soit cinq ans après sa réalisation.
Pour sa semaine d’inauguration, le film italien doit affronter la sortie du nouveau Disney Bernard et Bianca qui s’impose sans peine tout en haut du top hebdo parisien. L’argent de la vieille est la deuxième sortie de la semaine en termes d’entrées, mais le film ne se situe qu’à la 7ème place avec 27 619 entrées. Un score pas forcément très prometteur, mais la comédie va s’imposer sur la durée grâce à un excellent bouche à oreille.
Ainsi, le film se maintient de manière impeccable en deuxième semaine avec encore 27 523 retardataires. Les sorties du dernier Delon (Mort d’un pourri) et de la comédie La 7ème compagnie au clair de lune (Robert Lamoureux) n’ont pas fait d’ombre au phénomène italien. En troisième septaine, le métrage attire encore 19 374 joueurs de cartes et va s’imposer encore durant toute la première moitié de l’année 1978, cumulant jusqu’à 194 568 entrées dans la capitale.
Une comédie à l’italienne devenue un classique
En ce qui concerne la France, le métrage débarque en 15ème place car il n’est quasiment pas diffusé en dehors de Paris. Le constat est équivalent pour sa deuxième semaine aux chiffres très proches des entrées parisiennes. L’argent de la vieille parvient toutefois à franchir la barre des 100 000 spectateurs pour les fêtes de fin d’année. Au mois de janvier, la harpie s’impose enfin davantage en province grâce à des copies qui circulent plus. Sans jamais s’imposer pleinement dans les classements, le long métrage connaît une carrière plutôt satisfaisante et se hisse à 365 292 entrées cumulées.
Depuis cette époque, le film a été peu édité en France, mais a eu le droit à une reprise en salles au mois de juillet 2006. Pourtant, en Italie, il a intégré plusieurs listes d’œuvres majeures de l’histoire du cinéma local et est considéré comme un jalon important de la comédie à l’italienne. A raison !
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 novembre 1977
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Luigi Comencini, Alberto Sordi, Joseph Cotten, Bette Davis, Dalila Di Lazzaro, Silvana Mangano, Attilio Dottesio
Mots clés
Les comédies italiennes des années 70, Les classiques de la comédie à l’italienne, L’argent au cinéma, Les familles prolétaires au cinéma, Les bidonvilles au cinéma