Véritable Red Bull cinématographique, La bataille de Solférino déploie une énergie folle faite de tension permanente et de frénésie collective pour brosser un portrait sociétal inquiétant. Ebouriffant.
Synopsis : Le 6 mai 2012, le jour du deuxième tour de l’élection présidentielle française, Lætitia, journaliste pour la chaîne d’information en continu I-Télé, couvre l’évènement rue de Solférino, devant le siège du Parti socialiste, qui vient de gagner l’élection, après une première partie de journée qui s’annonçait à l’origine plus calme. Mais ce jour-là, Vincent, son ex-compagnon et père de ses deux filles, vient leur rendre visite, sans l’avoir appelée pour la prévenir et alors qu’elle est avec son nouveau compagnon.
La guerre (des couples) est déclarée
Critique : Si la plupart des spectateurs ont été marqués en 2011 par l’énergie qui se dégageait du film de Valérie Donzelli , La guerre est déclarée, rien ne les prépare à entrer dans le tourbillon de La bataille de Solférino, premier long-métrage de Justine Triet qui dégage un sentiment d’urgence absolument ébouriffant.
Choisissant de mêler expérience collective – les séquences de foules, vraiment impressionnantes, ont été tournées rue Solférino au soir des résultats de l’élection présidentielle de 2012 – et expérience personnelle, la réalisatrice insuffle à son premier film de fiction une tension permanente qui ne relâche jamais son emprise sur le spectateur, au risque d’ailleurs de le semer en cours de route.
Une entrée en matière qui saisit ou éconduit
Dès la première séquence, le ton est donné : une mère de famille court dans son appartement proche du capharnaüm car elle est très en retard, tandis que ses deux petits gamins hurlent et qu’elle doit donner des instructions à un jeune baby-sitter peu dégourdi. Caméra furieuse qui saisit des instantanés magnifiques (les regards perdus des gamins, par exemple), bande sonore saturée plutôt agressive et jeu halluciné des acteurs sont autant de marques de fabrique qui emportent le spectateur dans un cauchemar moderne qui interroge à la fois notre rapport à l’intime et au collectif dans une société malade d’elle-même.
Si la réalisatrice établit un parallèle évident entre la ligne de fracture qui sépare actuellement la société française en deux et celle qui finit par se creuser entre d’anciens amants, elle privilégie toutefois dans son récit l’expérience personnelle. Incapables de communiquer sans se fâcher, s’insulter ou se frapper, les différents personnages montrent les limites actuelles d’un individualisme poussé à son paroxysme. Au milieu de cette folie furieuse, les enfants sont trimbalés comme du linge sale, devenant l’enjeu d’une lutte sans merci entre les parents séparés.
Comme un air de Maurice Pialat…
Porté par des acteurs formidables (mention spéciale pour Laetitia Dosch, Vincent Macaigne et Marc-Antoine Vaugeois), La bataille de Solférino ne cesse d’étonner par sa capacité à saisir sur le vif des instants de vérité, alors même que tout était écrit. Les amateurs du cinéma de Maurice Pialat retrouveront d’ailleurs ici comme un air de famille qui ne devrait pas leur déplaire. En l’état, ce premier long-métrage a révélé le talent d’une jeune réalisatrice qui allait confirmer les espoirs placés en elle en décrochant la Palme d’or dix ans plus tard avec l’excellent Anatomie d’une chute. Saluons aussi la troupe de comédiens qui comprenait quelques comédiens majeurs de la décennie suivante, dont les formidables Laetitia Dosch et surtout Vincent Macaigne qui a encore gagné en étoffe depuis ce rôle.
Box-office de La bataille de Solférino
Ayant connu une jolie carrière dans les festivals du monde entier, La bataille de Solférino a suscité la curiosité de 30 951 spectateurs sur toute la France. Un score a priori modeste, mais en fait très encourageant pour une première œuvre aussi clivante.
Le film, plébiscité par la presse, n’a même pas coûté un million d’euros (environ 840 000 euros, selon CBO). En 2023, en se plongeant dans le catalogue d’environ 200 longs métrages du distributeur art et essai Shellac Films, il s’agit tout simplement du 13e meilleur score de toutes leurs sorties ! En 2013, il s’agissait de leur 7e film le plus vu.
Certes, le film n’a pas eu un bouche-à-oreille formidable, passant de 17 350 spectateurs (48 salles) à 8 796 entrées (53 salles) en 2e semaine, soit une chute de 49% de sa fréquentation, mais le succès est néanmoins indéniable pour pareille micro production. D’ailleurs, présenté à Cannes dans la sélection ACID, cet effort enthousiasmant a été récompensé du César du meilleur premier film en 2014.
Une décennie plus tard, la cinéaste remporte une Palme d’or, après un crochet par un cinéma plus commercial au budget légèrement plus conséquent pour Victoria (4M euros) et Sibyl (6 270 000 euros). Anatomie d’une chute sort en salle 9 ans et 11 mois après son premier long. D’une intensité incroyable, la Palme 2023 avec la grande Sandra Hüller agrège 254 086 spectateurs en 5 jours. On est époustouflé.
Plus que jamais La bataille de Solférino mérite d’être redécouvert, avec le recul d’une œuvre plus conséquente de la part d’une réalisatrice majeure.
Critique de Virgile Dumez
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Justine Triet, Vincent Macaigne, Laetitia Dosch, Arthur Harari, Marc-Antoine Vaugeois
Mots clés
Films sur le couple, La politique au cinéma, Premiers films, Festival de Cannes 2013, César 2014