Comédie à sketches sympathique, Hier, aujourd’hui et demain vaut le détour pour son duo d’acteurs et pour le miroir tendu à la société italienne alors marquée par le miracle économique, mais aussi par un fossé grandissant entre élites et petit peuple.
Synopsis : Trois villes, trois récits sur le couple, la sexualité et le pouvoir. À Naples, Adelina vend des cigarettes au marché noir car son mari est au chômage. Mais elle se fait arrêter par la police… À Milan, Anna, une riche femme, s’ennuie et parle de s’enfuir avec son amant, un écrivain. Jusqu’au jour où il a un accident avec la voiture de celle-ci… À Rome, Mara, une call-girl, fait tourner la tête d’un jeune séminariste…
Trois villes, trois visages de l’Italie
Critique : Au cours des années 50-60, l’Italie plonge de plain-pied dans ce que l’on a appelé le miracle économique, puisque le pays connaît une croissance aussi soudaine que spectaculaire. Les transformations du tissu économique entrainent également des bouleversements sociétaux intensifs pour une population encore largement imprégnée de christianisme et même de superstition. C’est dans ce cadre bien spécifique que la comédie à l’italienne a prospéré. Sorte de mélange entre le néoréalisme d’après-guerre et la Commedia dell’arte, ce nouveau genre typiquement transalpin a vu le jour avec Le pigeon (Mario Monicelli, 1958) et a fleuri durant toute la décennie 60.
Parmi les plus beaux succès du genre, on compte le film à sketches Hier, aujourd’hui et demain (Vittorio De Sica, 1963) qui offre la possibilité aux acteurs Marcello Mastroianni et Sophia Loren de se retrouver après Dommage que tu sois une canaille (Alessandro Blasetti, 1954), le tout sous la houlette du producteur Carlo Ponti, mentor de la belle italienne. Pour De Sica, il s’agissait de tourner trois segments différents marqués par trois lieux qui formeraient autant de visages de l’Italie des années 60.
Un segment napolitain savoureux
Il démarre son film par un segment intitulé Adelina qui se déroule à Naples, ville où De Sica a passé l’essentiel de sa jeunesse. A l’aide de son scénariste Eduardo De Filippo, il y raconte un fait divers réel intervenu dans les années 50 (donc hier) et concernant la contrebandière Concetta Muccardi qui, pour échapper à la prison, a subi dix-neuf grossesses car la loi italienne interdisait d’enfermer une femme enceinte. Si le sketch réduit fortement le nombre de gosses, il n’en demeure pas moins très savoureux par sa mise en boite des lois italiennes encore largement influencées par celles de l’Eglise, créant des absurdités juridiques dont le cinéaste s’amuse.
Ce premier segment d’une heure est de loin le plus réussi par la description très attentive du quartier populaire de Forcella où la solidarité entre pauvres n’est pas un vain mot. Le cinéaste y retrouve sa verve néoréaliste, mais dans un but plus commercial et joyeux. Le tout est porté par une Sophia Loren qui porte la culotte au sein de son couple, marqué toutefois par un amour sincère et même touchant.
Une comédie qui n’évite pas toujours la caricature
Malheureusement, après ce coup de projecteur sur une Italie du Mezzogiorno délaissée par la croissance, Vittorio De Sica se rend à Milan pour un deuxième segment (Anna) d’une quinzaine de minutes où le scénariste Cesare Zavattini s’empare d’une nouvelle d’Alberto Moravia pour décrire cette fois-ci des gens de la haute bourgeoisie qui prospèrent grâce au fameux miracle économique. Le trait se fait plus grossier et la caricature n’est jamais loin dans ce sketch plus faible car le réalisateur n’aime visiblement pas du tout ses personnages. Le ton sarcastique ne lui convient pas vraiment et on imagine ce qu’un tel script aurait donné dans les mains d’un Dino Risi. Ici, le sketch tombe grandement à plat.
On retrouve une qualité supérieure avec le dernier segment intitulé Mara et tourné à Rome. Toutefois, la référence principale de ce sketch écrit par Cesare Zavattini est bien la Commedia dell’arte. La référence théâtrale n’est même pas gommée puisque l’essentiel du sketch se déroule dans deux appartements séparés par une terrasse dont le cinéaste ne masque pas le caractère artificiel. Réalisé entièrement en studio, ce segment n’en demeure pas moins drôle et touchant, même si le jeu des acteurs est outré pour donner plus de poids aux situations. L’ensemble conclue le long métrage d’une manière plus satisfaisante, surtout pour les fans de la star féminine qui se livre à un effeuillage d’anthologie.
Trois visions de la femme, toujours à son avantage
On notera qu’à chaque sketch, Sophia Loren incarne une vision différente de la femme italienne, qu’elle soit mère, épouse ou putain. Dans tous les cas, c’est toujours elle qui mène la danse et les hommes apparaissent comme des pantins aux mains de ces dames. D’ailleurs, Marcello Mastroianni s’avère toujours à l’aise pour jouer l’anti-macho, l’impuissant ou la caricature du mâle italien. A chaque fois, le duo fait mouche à l’écran et permet de rendre le spectacle plus intéressant. Effectivement, à voir de nos jours, Hier, aujourd’hui et demain est surtout un moyen agréable de mieux comprendre la société italienne de son temps, tendant un miroir pas si déformant aux failles d’un modèle économique qui a creusé le fossé entre classes sociales et aires géographiques.
Malgré des critiques qui furent globalement négatives à l’époque à cause de l’aura toujours importante de Vittorio De Sica – comment le cinéaste du Voleur de bicyclette pouvait-il s’abaisser à tourner une comédie légère ? – Hier, aujourd’hui et demain a connu un énorme succès dans les salles italiennes, avant de triompher aux Oscars en 1965 en obtenant la statuette du meilleur film étranger, honneur que l’on peut trouver excessif.
Hier, aujourd’hui et demain, un joli succès international et français
En ce qui concerne la France, le film à sketches débarque dans les cinémas parisiens le vendredi 15 mai 1964 et s’empare péniblement de la 6ème place du classement hebdomadaire avec 21 664 clients venus admirer l’effeuillage sensuel de Sophia Loren. Il s’agit pourtant de la première nouveauté du classement lors d’une semaine chiche en sorties importantes. La septaine suivante, le film se maintient parfaitement avec 24 010 retardataires, tandis que les nouveautés de la semaine caracolaient en tête du classement (Il s’agissait de La peau douce de François Truffaut et de Les trois soldats de l’aventure de Michael Anderson).
La comédie à l’italienne poursuit sa route avec une belle régularité, dépassant les 100 000 tickets vendus à la mi-juin 1964. Ensuite, le métrage a connu une carrière sur la durée et s’est imposé progressivement, allant jusqu’à cumuler 326 989 entrées dans la capitale et 1 226 784 entrées sur toute la France.
Un sacré beau coup qui a permis au film d’être repris plusieurs fois au cinéma et de faire l’objet de plusieurs éditions vidéo, toutes orchestrées par l’éditeur Carlotta dans les années 2000-2010. On notera d’ailleurs que le très beau succès du long métrage a entrainé la réalisation d’une suite intitulée Aujourd’hui, demain et après-demain (Eduardo De Filippo, Marco Ferreri et Luciano Salce, 1965), tandis que le trio De Sica-Loren-Mastroianni s’est rapidement reformé pour Mariage à l’italienne (1965).
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 13 mai 1964
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Biographies +
Vittorio De Sica, Marcello Mastroianni, Sophia Loren, Carlo Croccolo, Aldo Giuffrè
Mots clés
Cinéma italien, Films à sketches, Les classiques de la comédie italienne, La prostitution au cinéma, Portraits de femmes