Asphalte de Denis Amar, très rare dans les années 80 et 90 en raison de son échec impitoyable, bénéficie d’un statut particulier : un film unique, déconcertant par moments, surprenant et constamment passionnant.
Synopsis : À l’aube des vacances d’été, des millions d’automobilistes s’empressent de rejoindre leur destination afin d’y oublier tous leurs soucis du quotidien. Cependant, pour Juliette, Albert, Les Jaeger et Arthur, la route s’avère être fatale et un accident survient alors. Cet évènement bouleversa leur vie à tout jamais.
Critique : Particulièrement détonnant dans le cinéma français, Asphalte, premier film de Denis Amar, est une manière d’œuvre chorale qui mélange les tonalités ; l’argument en est des plus simples : un peu plus de vingt-quatre heures lors d’un 31 juillet, essentiellement sur la route, pendant lesquelles des personnages voient leurs vies bouleversées, sans qu’ils se rencontrent, comme s’ils étaient prélevés dans la grand quantité d’histoires possible. Les plans répétitifs de voitures arpentant l’asphalte disent assez que les protagonistes font partie d’un grand ensemble de destins, un peu plus remarquables, un peu plus dramatiques.
On suit surtout Juliette, qui veut retrouver son amant à Montpellier et découvrira qu’il est marié. Carole Laure, qui joue ce rôle, n’est pas une très grande comédienne et ses limites apparaissent souvent. Mais le personnage vaut moins en lui-même que par ses rencontres : la séquence avec la femme de son amant, interprétée magistralement par Danièle Lebrun, a une saveur singulière ; et celle avec Arthur (l’impeccable Jean Yanne) joue sur les contrastes entre deux êtres opposés qui vont évidemment se réunir, lointain écho des comédies américaines classiques. Sans aucun rapport, le film s’attache également à une famille menée par un beauf hâbleur (Marielle dans un rôle qu’il connaissait par cœur), brisée par un accident stupide. D’autres encore, sympathiques (le couple qui tient le restaurant d’aire d’autoroute) ou étranges (« le cousu », inquiétante figure à mi-chemin entre la ficelle scénaristique et le symbolique), composent une mosaïque qui repose sur la rupture, l’inattendu, ce qui en fait sans aucun doute le prix. Difficile de prévoir ce qui va arriver. Mais, très vite, cette indécision apporte un malaise continu qui rend le film inconfortable, ce qui n’est pas un reproche.
De manière récurrente, trois « refrains » rythment Asphalte : les accidents, filmés au ralenti comme des ballets, et les deux aboutissements logiques de la route, la casse et l’hôpital. Denis Amar y place les séquences les plus émouvantes : la confrontation entre Marielle et Georges Wilson et la visite de Louis Seigner qui vient chercher des éléments personnels dans la voiture détruite de son fils. Magnifiques séquences, denses et portées par de grands acteurs : il faut voir la pudeur et la retenue de Seigner ou le commentaire sarcastique de Wilson pour comprendre à quel point de grands comédiens peuvent transcender une situation.
Plus profondément, au-delà d’un message simpliste sur le danger de la route, Asphalte décrit un monde absurde, gouverné par des hasards aussi cruels que facétieux : une fuite d’huile, une valise trop lourde ou un ralentissement sur l’autoroute peuvent avoir des conséquences inattendues. Dans cette description qui mise sur le saugrenu, la belle musique de Laurent Petitgirard, tour à tour mélancolique et solennelle, ajoute une densité et contribue à faire de ce métrage une œuvre marquante, vraiment singulière, que la réalisation de Denis Amar appauvrit malheureusement.
Pour l’anecdote, signalons que parmi les figurants on reconnaît Christophe Lambert et Richard Anconina ; et pour le culte, c’est le grand Rémy Julienne qui était chargé des chorégraphies d’accidents vraiment impressionnantes.