Moins réussi que Re-Animator, From Beyond : Aux portes de l’au-delà pâtit d’une esthétique kitsch assez laide, mais compense ces défauts par un délire gore très fun et une certaine audace thématique. Culte.
Synopsis : Le docteur Pretorius a inventé une machine qui permet de communiquer avec l’au-delà. Mais à la suite d’un accident, son assistant est accusé de meurtre et n’a d’autre choix que d’activer à nouveau la machine. S’ensuivront de terribles conséquences.
From Beyond, l’après Re-Animator
Critique : Lorsqu’ils ont créé Re-Animator en 1985, Brian Yuzna et Stuart Gordon ont pu distribuer leur production indépendante dans les salles américaines grâce à la société Empire Pictures tenue par Charles Band. Le succès a été phénoménal, d’autant qu’il a été relayé par une excellente réception à l’étranger (635 284 entrées rien qu’en France) et une exploitation vidéo très lucrative. Dès lors, Empire Pictures commande d’autres films du duo qui seraient inspirés de l’écrivain H.P. Lovecraft.
C’est en ce sens que Stuart Gordon et son complice Dennis Paoli écrivent un traitement pour Dagon. Pourtant, ce script n’est pas accepté par Charles Band et le long métrage ne sera tourné qu’en 2001, soit plus de quinze ans après. Contraints de se remettre au travail, les duettistes choisissent finalement d’adapter une autre nouvelle intitulée De l’au-delà qui deviendra From Beyond : Aux portes de l’au-delà (1986). Toutefois, désormais sous contrat avec Charles Band, Stuart Gordon s’engage dans le même temps à tourner Dolls, les poupées (1987) sur un scénario original d’Ed Naha.
Un double tournage à Rome
Ainsi, fin septembre 1985, toute l’équipe américaine s’envole pour Rome en Italie. Effectivement, la compagnie Empire Pictures vient de faire l’acquisition des anciens studios romains de Dino de Laurentiis, alors en mauvaise passe et contraint de vendre une partie de ses biens. Une fois sur place, l’équipe met d’abord en boite Dolls, les poupées jusqu’à la fin de l’année 1985, puis attaque le tournage de From Beyond : Aux portes de l’au-delà durant les trois premiers mois de l’année 1986. On notera que les dates de sorties ne correspondent pas à l’ordre de tournage puisque l’adaptation de Lovecraft est sortie avant le film sur les poupées maléfiques (sauf à Paris où Dolls est paru en avril 1987, contre mai 1987 pour From Beyond).
Grâce à un budget qui a largement triplé par rapport à Re-Animator, l’équipe a disposé de studios gigantesques et d’effets spéciaux à foison pour donner libre cours à leur folie. A cela, il faut ajouter un temps de tournage conséquent, mais nécessaire afin de gérer les nombreuses scènes à effets complexes. Pour mémoire, le cinéma ne dispose pas encore de l’outil numérique et tous les effets doivent donc être réalisés devant la caméra, à l’aide de tonnes de latex et de slime, afin de donner vie aux monstres imaginés par Lovecraft.
Et vous reprendrez bien une louche de sadomasochisme…
En réalité, la nouvelle d’origine faisait moins de dix pages et correspond globalement à la scène pré-générique. Tout le reste a donc été imaginé par Dennis Paoli, dans le respect le plus grand envers les écrits de Lovecraft que cet amoureux de littérature connaît parfaitement. Afin d’alimenter l’intrigue, ce dernier pioche notamment dans d’autres récits de l’écrivain. Toutefois, le script, qui a subi de nombreux remaniements, n’est pas forcément le point fort d’une œuvre qui a du mal à justifier les allers et retours dans la maison où se situe la fameuse machine devenue un portail vers l’au-delà.
En fait, les auteurs emboitent ici les pas d’un David Cronenberg (on pense surtout à Videodrome) et du romancier Clive Barker en mêlant de manière inextricable morbidité et sexualité. On retrouve notamment ici une thématique très proche de celle de Hellraiser (Clive Barker, 1987) où souffrance et jouissance sont intrinsèquement liés. Cette thématique sadomasochiste est largement développée dès les premières minutes du film qui met en scène les pratiques peu communes du docteur Pretorius (interprété par Ted Sorel). Cherchant à aller toujours plus loin dans l’exploration des sens, le fameux docteur a créé une machine qui stimule la glande pinéale (celle qui synthétise et produit la mélatonine) et développe ainsi l’imagination de celui qui s’en approche.
© 1986 Orion Pictures Corporation – Metro Goldwyn Mayer Studios / Jaquette : Dark Star, l’étoile graphique. Tous droits réservés.
From Beyond et son armée de références sexuelles
Sur le thème classique du savant fou, Stuart Gordon s’empare ici d’un élément d’actualité puisqu’il fait référence notamment à l’épidémie du sida qui déferle alors sur le monde et qui lie désormais sexualité débridée et létalité. L’apparence même du personnage incarné par Jeffrey Combs une fois qu’il est sous l’influence de la machine peut rappeler celle des malades atteints du sida. Afin de bien faire comprendre sa métaphore sexuelle, le cinéaste a glissé un nombre impressionnant de symboles phalliques dans l’intégralité du métrage.
Toutefois, l’élément le plus transgressif intervient lorsque la psychologue jouée avec autorité par Barbara Crampton se transforme peu à peu en maîtresse SM. Déjà mise à nue par Stuart Gordon pour un cunnilingus d’anthologie dans Re-Animator, l’actrice n’a décidément pas froid aux yeux et arbore ici une tenue sadomasochiste du meilleur effet. Interviewée récemment, la comédienne assume pleinement ces séquences qu’elle a adoré tourner, d’autant que Stuart Gordon était très prévenant. Elle était surtout honorée que son rôle soit bien plus important que dans le film précédent.
Stuart Gordon dans sa période rose
Effectivement, dans From Beyond : Aux portes de l’au-delà, Barbara Crampton prend les devants et devient le pivot de l’intrigue, tandis que Jeffrey Combs joue davantage la victime, dans un grand renversement par rapport au film précédent. On citera aussi l’intervention juste de Ken Foree que Stuart Gordon a embauché après l’avoir vu et apprécié dans le Zombie (1978) de George A. Romero.
Afin de donner vie au monde de l’au-delà, le directeur de la photographie Mac Ahlberg a proposé des éclairages fluo marqués par l’omniprésence du rose et du violet. Parallèlement, les scènes réalistes pâtissent d’un éclairage plus neutre. Dans tous les cas, From Beyond : Aux portes de l’au-delà souffre d’une esthétique kitsch qui tutoie davantage la texture vidéo que cinématographique. On est donc à mille encablures des délices visuels concoctés autrefois par un Mario Bava et cette texture d’image annonce malheureusement le déclin visuel des années 90. Pour être honnête, l’image du film est plutôt laide, même si elle agit également comme une signature stylistique immédiatement identifiable.
Vous en voulez en gore ?
La grande qualité de From Beyond : Aux portes de l’au-delà vient donc essentiellement de ses effets spéciaux très gore (mais avec assez peu de sang). Largement inspirée par les délires de Rob Bottin sur The Thing (John Carpenter, 1982), l’équipe des effets menée par des futures pointures comme John Carl Buechler, Gabriel Bartalos, Greg Nicotero, Anthony Doublin ou encore Robert Kurtzman s’en est donnée à cœur joie dans l’abus de latex craspec et de slime dégoulinant.
Affiche américaine © 1986 Orion Pictures Corporation – Metro Goldwyn Mayer Studios. All Rights Reserved
Les monstres sont nombreux et multiformes, allant du ver géant aux anguilles volantes, en passant par un corps entièrement déformé. Mais bien entendu, les victimes se retrouvent aussi rongées intégralement par des insectes, décapitées ou énucléées. A cette débauche d’effets correspond aussi un nombre conséquent de scènes au contenu sexuel très marqué. C’est bien ce délire total qui a valu au film son statut culte avec le temps, permettant d’effacer en partie les faiblesses évidentes du produit, nettement inférieur à Re-Animator et même à Dolls – les poupées.
Un échec commercial à sa sortie pour un film devenu culte avec le temps
Le grand public n’a d’ailleurs pas fait un triomphe à cette nouvelle itération de l’univers de H.P. Lovecraft puisque le long métrage n’a cumulé que 1 261 000 $ (soit 3 610 000 $ au cours de 2024) de recettes américaines pour un budget initial estimé à 4 500 000 $ (soit 12 900 000 $ au cours de 2024). Il faut dire que le film a été lourdement sanctionné par la censure avec un classement R (pour Restricted). Toutefois, Stuart Gordon a précisé que le budget était moindre qu’annoncé par Empire Pictures afin de pouvoir faire monter les enchères lors de la vente du film. Une pratique courante aux States. De toute façon, le film a été surtout rentabilisé par ses recettes en vidéo puisque la VHS s’est très bien vendue et que le film a été maintes fois édité, et ceci dans tous les pays.
Présenté avec un certain succès dans de nombreux festivals d’horreur comme Sitges en Espagne ou Avoriaz en France, From Beyond : Aux portes de l’au-delà est finalement sorti en salles en province à partir du 25 février 1987, dans la foulée du célèbre festival. Le distributeur Eurogroup a opté pour une sortie différée sur la capitale où le long métrage n’est finalement sorti que le 20 mai 1987, soit un mois après Dolls, les poupées.
Une exploitation plus favorable en VHS
Ainsi, lorsqu’il se présente dans les cinémas parisiens, From Beyond : Aux portes de l’au-delà a déjà attiré en salles près de 70 000 provinciaux durant les mois précédents. Sorti à Paris la même semaine que Radio Days (Woody Allen) qui débarque immédiatement en pole position, le film gore doit se contenter de la 6ème place avec 23 786 spectateurs. Dès le départ, le long métrage déçoit par rapport à son prédécesseur. Dès lors, après une exploitation peu enthousiasmante, From Beyond n’a cumulé que 175 294 entrées, soit trois fois moins que Re-Animator. Une déception qui n’a pas empêché le long métrage d’être ensuite largement exploité en VHS à la fin des années 80 et au début des années 90.
Après un long moment passé aux oubliettes, le métrage a été réédité dans sa version salle amputée de deux minutes par Sidonis Calysta en 2014. Cette parution fut très contestée par les fans, puisque le long métrage existait dans une version complète aux States. Toutefois, l’éditeur a réparé ses erreurs passées avec son actuelle édition 4K UHD qui a réintégré les séquences autrefois censurées (un œil arraché et plusieurs plans ont été écourtés dans la version salle seulement interdite aux moins de 12 ans en France). Toutefois, rien ne peut battre les différentes éditions américaines qui contiennent des heures de suppléments dont l’éditeur français n’a récupéré qu’une seule heure. Avis aux anglophones qui choisiront sans sourciller les offres venues de l’étranger.
Critique de Virgile Dumez
Visuels internationaux © – Various Artists. All Rights Reserved to their creators. © 1986 Orion Pictures Corporation – 2014 Metro Goldwyn.
Box-office de From Beyond – Aux portes de l’au-delà
La sortie française de From Beyond a lieu quatre mois après une diffusion nord-américaine compliquée. Le film de plus de 4 millions de dollars de budget n’a rapporté qu’1 261 000$, après un lancement raté le 24 octobre 1986. Reanimator, en 1985, film minuscule de 900 000$ en avait rapporté localement 2 millions.
Dossier Eurogroup Distribution
Bref, des recettes dérisoires qui positionnent cette épopée de science-fiction horrifique, en 1986, en 167e position annuelle. C’est un flop, un vrai. Aussi, pour son distributeur hexagonal, Eurogroup, le passage à Avoriaz en janvier 1987, doit impérativement réorienter l’écho vers du positif.
Malheureusement pour lui, l’exploitation nationale va connaître quelques soubresauts.
Sorti en exclusivité en province, pour les 10 ans de la société d’André Koob, Eurogroup, From Beyond perd tous ces écrans parisiens à quelques jours de son lancement en raison d’une indisponibilité de salles. Le distributeur qui espérait réitérer le triomphe de Re-Animator (près de 700 000 entrées), doit repousser la sortie parisienne à mai, période creuse et peu favorable au cinéma fantastique, alors que le marketing avait été réalisé de façon efficace, notamment dans la presse spécialisée.
Les mois de mars et avril seront effectivement chargés en productions pour un public masculin, fantastiques, horrifiques, des thrillers ou des séries B notamment produites parfois par la Cannon : King Kong 2, Biggles, Le Big Bang, Extremities, Demons N°2, Les Lauriers de la gloire, Bloody Bird, Allan Quatermain et la cité de l’or perdu, et même un certain Dolls de Stuart Gordon qui a été posé par Eurogroup au 29 avril.
© 1986 Orion Pictures Corporation – Metro Goldwyn Mayer Studios / Jaquette : Dark Star, l’étoile graphique. Tous droits réservés.
Le 25 février 1987, la production Empire trouve toutefois de nombreuses salles en province et, sans l’aide de la capitale, se hisse en 16e place du classement portant des villes clés de l’Hexagone (13 405 spectateurs dans 10 villes). Lovecraft est 17e à Bordeaux (1 250 entrées/Semaine 1), 10e à Caen (988), 10e à Lille (1 958), 16e à Marseille (1 445), 7e à Caen (1 203), 9e à Montpellier (1 329), 14e à Nancy (1 067), 14e à Nice (1 457), 17e à Saint-Etienne (780), 13e à Toulouse (1 918). Grenoble attend une semaine plus tard pour récupérer sa copie (746 entrées). Lyon passe alors à côté. Comme Paris, la deuxième ville de France devra attendre la deuxième moitié du mois de mai, et plus particulièrement, le 20 mai.
Cette semaine de mai est celle correspondant au creux de la vague pour les professionnels qui sont à Cannes et les spectateurs sur les terrasses. L’actualité est surtout cannoise. Radio Days de Woody Allen, avec Mia Farrow, est la sortie de la semaine. Et les films d’auteur français comme Hôtel de France de Patrice Chéreau, et Buisson Ardent de Laurent Perrin, ont également été projetés sur la Croisette, sans avoir le vent en poupe pour autant.
Aussi, la contre-programmation d’Aux portes de l’au-delà n’a pas de mal à trouver 26 écrans : les UGC Normandie/Montparnasse/Convention/Bastille/Gobelins, les Forum Cinémas, les Images, Le Galaxie, les 3 Secrétan, le Français Pathé et la Maxéville sur les Grands Boulevard qui a la caractéristique d’exploiter également Dolls du même Stuart Gordon, en 3e et dernière semaine à Paris intramuros.
Première édition blu-ray française de From Beyond (Sidonis Calysta ) © 1986 Orion Pictures Corporation – 2015 Metro Goldwyn Mayer Studios Tous droits réservés.
Avec 23 786 entrées en première semaine, dans 26 salles, From Beyond ne fait pas des merveilles, mais au moins parvient à s’assurer en quelques jours 80 % de la fréquentation totale de Dolls – les poupées. Il se positionne 6e à Paris, derrière 5 films cannois prestigieux (Woody Allen, mais aussi Francesco Rosi et les Taviani étaient de la sélection…). Même à Lyon, le score est encourageant, puisque le film d’épouvante embrasse une 8e place, et 2 026 spectateurs en manque de frissons. Une semaine plus tôt, Dolls n’y avait attiré que 1 204 spectateurs en raison de la présence simultanée de Démons N°2.
Eurogroup ne pourra néanmoins pas stabiliser la couverture parisienne.
Le 27 mai, les cinémas parisiens doivent accueillir le film d’Avoriaz American Way (18 salles), le phénomène des frères Coen Arizona Junior (6 écrans prestigieux), le film de la Cannon Le trésor de San Lucas…
Le 3 juin croule vraiment sous les sorties. On citera notamment celle du premier long de Tim Burton, Pee-Wee Big Adventure, mais aussi le film de Troma Atomic College, le thriller malin Backlash, le très hype La petite boutique des horreurs, la coméde trash d’Almodovar Qu’est-ce que j’ai fait pour mérité cela ?, le film de la Cannon Rebel, avec Matt Dillon… Et dans un autre genre, des longs d’Alain Tanner, de Claude Lelouch, de Robert Altman, et une ribambelle de reprises estivales occupent le reste des écrans alloués aux sorties.
En semaine 2, Aux portes de l’au-delà ne s’écroule pas puisque l’adaptation de Lovecraft se place en 11e place, avec 15 379 entrées, malgré 5 écrans en moins.
VHS France 1988 Vestron © 1986 Orion Pictures Corporation – Metro Goldwyn Mayer Studios / Tous droits réservés.
La 3e semaine en revanche est injuste. From Beyond ne bénéficie que de 3 écrans en intra muros (Forum Cinémas, Le Lumière, La Maxeville, qui font de bons scores) et de 3 sites en banlieue. Eurogroup peut pourtant compter sur 7 419 clients qui ont voulu lui donner une chance. Bon, on vous l’accordera, c’était la Fête du cinéma 1987.
En 4e semaine, Aux portes de l’au-delà ne compte plus qu’un écran dans l’enceinte de Paris (le Forum Cinémas, à 561 entrées) et deux salles de périphérie (894 entrées). Cela lui fait un total hebdo de 1 455 entrées et une carrière Paris-Périphérie de 45 039, soit une augmentation de 60% par rapport aux entrées des Poupées, diffusé un mois auparavant.
Il faudra un an pour que Vestron Video International (alors âgé d’un peu plus d’un an en France), propose From Beyond à la location. L’éditeur culte le sort en France en mai 1988. De nombreuses éditions VHS suivront, notamment chez Delta Vidéo (alias Metropolitan FilmExport), dans des collections fantastiques destinées cette fois-ci au marché de la vente.
Box-office : Frédéric Mignard
Les sorties de la semaine du 20 mai 1987
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© 1986 Orion Pictures Corporation – Metro Goldwyn Mayer Studios / Affiche : Vincent Chaix. Tous droits réservés.
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Stuart Gordon, Jeffrey Combs, Carolyn Purdy-Gordon, Albert Band, Barbara Crampton, Ken Foree, Ted Sorel
Mots clés
Empire Pictures, Gore, Les savants fous au cinéma, Le sadomasochisme au cinéma, La folie au cinéma