Carmen de Francesco Rosi : la critique du film (1984)

Opéra, Musical | 2h32min
Note de la rédaction :
8/10
8
Affiche de Carmen de Francesco Rosi (1984), avec Julia Migenes

  • Réalisateur : Francesco Rosi
  • Acteurs : Julien Guiomar, Julia Migenes, Plácido Domingo, Faith Esham
  • Date de sortie: 14 Mar 1984
  • Année de production : 1983
  • Nationalité : Français, Italien
  • Titre original : Carmen
  • Titres alternatifs : Carmen de Bizet (Espagne)
  • Autres acteurs : Ruggero Raimondi, François Le Roux, Jean-Philippe Lafont, John-Paul Bogart, Susan Daniel
  • Scénaristes : Francesco Rosi , Tonino Guerra
  • D'après une oeuvre de : Henri Meilhac (libretto) | Ludovic Halévy (libretto), Prosper Mérimée (novella)
  • Monteurs : Ruggero Mastroianni, Colette Semprún
  • Directeur de la photographie : Pasqualino De Santis
  • Compositeur / Chœur / Orchestre / Chef d'orchestre Geoge Bizet / Les Enfants de la Maîtrise de Radio-France / Orchestre national de France / Lorin Maazel
  • Chorégraphe : Antonio Gades
  • Maquilleurs : Marie-Hélène Duguet, Adalgisa Favella, Franco Freda
  • Chef décorateur : Enrico Job
  • Chef costumier : Enrico Job
  • Producteurs : Marcel Dassault, Patrice Ledoux, Alain Poiré, en coproduction avec Renzo Rossellini
  • Producteurs exécutifs : Daniel Toscan du Plantier (non crédité)
  • Sociétés de production : Gaumont, Production Marcel Dassault, Opera Film Produzione
  • Distributeurs : Gaumont (France), Triumph Films (Etats-Unis), Virgin Films (Royaume-Uni), Gaumont Italia (Italie)
  • Editeur vidéo : Gaumont Columbia RCV (VHS, Laser Disc), Gaumont (DVD, Blu-ray)
  • Date de sortie vidéo : 1985 (VHS), 1995 (réédition VHS, Gaumont 100 ans de cinéma), Février 2000 (DVD), 7 octobre 2010 (blu-ray, DVD)
  • Budget : 52 000 000 francs
  • Box-office France / Paris-Périphérie : 2 200 601 entrées / 566 468 entrées
  • Box-office nord-américain / monde :
  • Classification : Tous publics
  • Formats : 2.20 : 1 / Couleur (70 mm, Eastmancolor) / Dolby Stereo
  • Festivals : Festival de Venise 1984, Toronto International Film Festival (1984)
  • Nominations : BAFTA du Meilleur film étranger et du Meilleur son, 7 nominations aux César dont Meilleur actrice, Meilleur Film, Meilleur réalisateur, Meilleurs Costumes, Meilleure photographie, Meilleurs décors / 10 nominations aux David di Donatello Awards, Golden Globe du Meilleur film étranger
  • Récompenses : César du Meilleur son, 7 David di Donatello Awards (réalisateur, costume, Montage, Photographie, Film...)
  • Illustrateur/Création graphique : Michel Landi © ADAGP Paris, 2020. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Crédits : © Gaumont. Tous droits réservés / All rights reserved
  • Attaché de presse : Simon Mizrahi
Note des spectateurs :

Quarante ans après le succès de Christian-Jaque avec Vivian Romance et Jean Marais, Carmen revient en 1983 dans une adaptation d’envergure européenne, coproduite par la Gaumont de Nicolas Seydoux et Daniel Toscan du Plantier. La vision de Francesco Rosi du Carmen de George Bizet est un triomphe ! Le dernier opéra à avoir connu le succès en salle pendant au moins 40 ans.

Synopsis : Le grand Francesco Rosi adapte magistralement au cinéma l’opéra de Bizet, le destin tragique de la belle et sauvage Carmen qui séduit Don José avant de l’abandonner pour le toréro Escamillo dans cette arène d’amour à mort.

1983 : l’année Carmen

Critique : 1983. L’année Carmen. Plusieurs adaptations de Carmen sont lancées : La tragédie de Carmen de Peter Brook décliné en trois versions avec des interprètes différents ; Carmen de Carlos Saura, distribué par Gaumont en août 1983, avec Laura Del Sol ; Prénom Carmen de Jean-Luc Godard, librement inspiré de Bizet, et Lion d’Or au Festival de Venise. Mais évidemment, le Carmen qui aura le plus fait parler de lui est celui de Francesco Rosi, tourné en 1983, pour une sortie l’année suivante.

La coproduction franco-italienne est pharaonique, propulsée par Gaumont, société alors également établie en Italie, à la fois pour la production et l’exploitation. Daniel Toscan du Plantier, alors directeur général de la société, a confié le projet au producteur Patrice Ledoux qui travaillera pas moins de deux ans dessus. Le choix de Francesco Rosi à la réalisation est comme une évidence pour les deux hommes tant il représente une passerelle noble entre les deux nations séparées par la chaîne alpine. Mais faut-il pour cela le persuader de se lancer dans le cinéma musical, genre qui n’était pas vraiment le sien.

Francesco Rosi entre dans la danse

Pour convaincre Francesco Rosi – qui venait de collaborer à deux reprises avec la Gaumont (Trois frères en 1981 et Le Christ s’est arrêté à Eboli en 1980) –  de signer son premier opéra, il faut lui laisser le choix du décor qui sera naturaliste, réel : effectivement le cinéaste veut poser ses caméra dans une vraie ville et non dans des décors de cinéma. C’est ainsi que le tournage s’opérera en Espagne, non loin de Séville où le récit est censé se dérouler, dans la ciudad caniculaire de Ronda, aux arènes spectaculaires. Mais la température y est ardente avec des pointes pouvant dépasser les 40 degrés. L’arrière pays, la sierra de Grazalema, est un grand renfort visuel pour ce choix on ne peut plus imposant, malgré les conséquences sur le tournage : atteindre certains sites impliquait des kilomètres de marche et de cheval au quotidien pour les équipes, en raison du relief. Réaliser Carmen relève de l’exploit et tout un documentaire immortalisera cette épopée.

Francesco Rosi travaille de concert avec Lorin Maazel dès le début du projet, et notamment sur sa version de Carmen enregistrée dans les années 70. Le chef d’orchestre va réenregistrer Carmen en décembre 1982, avec l’Orchestre National de France et les Chœurs de Radio France. Chaque source sonore y est isolée pour permettre un meilleur mixage et une exploitation en Dolby Stéréo.

La révélation Julia Migenes (Johnson)

Le choix de l’actrice revient au producteur Patrice Ledoux, qui tombe sous le charme de Julia Migenes (à l’époque, Johnson) que lui recommande Maurice Béjart (ils avaient travaillé ensemble sur Salomé). L’Américaine aux origines latines, a la voix et l’incandescence pour jouer l’un des rôles de sa formidable carrière. Le danseur de flamenco et sommité dans la chorégraphie, Antonio Gades est engagé pour lui apprendre à danser. On notera qu’il jouait lui-même le rôle masculin principal de Carmen dans la version ibérique de Carlos Saura développée par les Espagnols en 1983, aux côtés de Laura del Sol et Paco de Lucia. Il est au sommet de sa carrière.

Dans les rôles masculins principaux, le ténor Plácido Domingo saisit l’opportunité d’incarner Don José, juste après avoir triomphé dans La Traviata de Franco Zeffirelli (1982), quand le baryton Ruggero Raimondi, inoubliable Don Giovanni pour le compte de Joseph Losey et de la Gaumont (1979), joue le rôle d’Escamillo. Bref, Carmen de Francesco Rosi semble béni des dieux et ne peut accoucher que d’un triomphe. Pour s’assurer de la plus grande audience possible, le film de 2h30 insère des dialogues non chantés. Intercalés dans la trame, ils ne trahissent nullement l’écriture et le lyrisme de l’œuvre.

Gaumont sait que le succès sera formidable. Le cinéaste italien politique (la Palme d’or L’affaire Mattei), absolument pas attendu dans cet univers flamboyant, épate par la forme et la puissance de sa mise en scène et effectivement ses efforts gargantuesques accouchent de son plus gros succès personnel et peut-être l’une des plus grosses réussites dans l’histoire de l’opéra au cinéma : 2.2M d’entrées en France, soit davantage que la somme de toutes entrées additionnées de Don Giovanni de Joseph Losey et de La Traviata de Zeffirelli réunis ! En fait, on l’ignorait encore à ce moment-là, mais il s’agira de l’ultime grand succès d’un genre qui traversera par la suite de nombreuses crises sans jamais retrouver vraiment le cœur des spectateurs. Othello en 1986, Aria en 1987, Macbeth de Claude d’Anna en 1987, La Bohème de Luigi Comencini en 1988, ont été des flops définitifs.

Un résultat sensuel et grandiose

Adulé par la critique, plébiscité au box-office et couronné de prix mondiaux, Carmen est une réussite totale, exprimant en plein air le récit ardent de Prosper Mérimée. La sulfureuse Carmen, femme libre et sensuelle, interprétée toutes jambes écartées, par la mezzo-soprano et danseuse Julia Migenes, dégage une impressionnante sensualité et une énergie électrisante au sein de décors grandioses et lumineux qui ne l’écrasent jamais. Et pourtant, autour de Carmen, la foule est là et participe à rendre toujours plus opulente cette énorme production Gaumont – Daniel Toscan du Plantier.

Dans ce gigantisme et l’effervescence lyrique, on est happé par le rythme de l’opéra de Bizet en 4 actes, reconverti en séance de 2h30 où jamais l’ennuie ne pointe, y compris pour les néophytes. Non sans audace (l’introduction de la prose entre quelques séquences chantées), Rosi réussit aussi bien les moments intimistes que les instants de cohues hollywoodiennes, rendant accessible l’opéra sans jamais le vulgariser.

La meilleure adaptation de Carmen à l’écran

Cette généreuse et fidèle adaptation de Bizet demeure à ce jour le plus convaincant de tous les hommages filmiques rendu au génial opéra, bien loin devant la vision romancée de Christian-Jaque dans les années 40 avec Viviane Romance et Jean Marais (ce n’était d’ailleurs pas un opéra et Bizet n’en était pas l’inspiration). Des décennies après, la magie de Carmen opère encore et demeure l’un des monuments d’un genre oublié. Les éditions blu-ray ont même su revitaliser le grain de son image et rehausser sa splendeur sonore. Du home cinéma, donc, pour un genre qui n’a plus vraiment sa place au cinéma, si ce n’est sous la forme de séances spéciales et de retranscriptions live de grandes œuvres avec nos grands artistes lyriques qui ont depuis complètement abandonné la fantaisie d’une double carrière, sur scène ou sur le grand écran.

Frédéric Mignard

Carmen de Francesco Rosi, avec Julia Migenes

© Gaumont. Tous droits réservés.

Box-office de Carmen de Francesco Rosi

Premier trimestre 1984. Gaumont est dans une situation très difficile en raison de ses difficultés en Italie, dans le domaine de l’exploitation. Hors de question donc de rater cette sortie prestigieuse qui se faisait la vitrine d’une société puissante qui sortaient de films populaires comme La Boum N°2, Coup de foudre, et Le Marginal, mais aussi de films d’auteur aux succès divers : Danton, Antonieta, La Traviata, Le dernier combat, La Lune dans le caniveau, L’homme blessé, Equateur, Hanna K, A nos amours, Et vogue le navire, Un amour de Swann, et la Palme d’or La ballade de Narayama.

Rendre populaire un spectacle opéra élitiste ?

Aussi, pour promouvoir ce pari exceptionnel, le président de Gaumont a mouillé la chemise. Nicolas Seydoux a accompagné en amont de la sortie nationale du 14 mars 1984, des avant-premières dans les villes clés de province, avec le cinéaste Francesco Rosi, le producteur Patrice Ledoux. Rencontre avec la presse et le public, cocktail, interviews… Objectif : transformer cette sortie sophistiquée en véritable événement populaire. Et le pari sera gagnant avec un véritable engouement de l’audience en province.

Dans ce travail de marketing en amont, Gaumont lance un documentaire de 26min à la télévision française, juste avant sa sortie, et une version courte du making-of destiné à certains cinémas, dès le mois de février. Ce making-of est notamment programmé au Kinopanorama (Paris) où Carmen est diffusé en 70mm, un atout pour cette œuvre impressionnante qui prend toute sa valeur en grand large.

Finalement, dès la semaine du 14 mars 1984, Carmen gagne son pari malgré un circuit loin d’égaler d’autres sorties. En fait, cette grosse production n’est que 4e en termes d’écrans à Paris, avec 17 salles contre 36 pour L’enfer de la violence, 41 pour Femmes de personne et 27 pour la comédie Le Léopard.

Malgré sa durée et des séances quotidiennes en moins, Carmen fait la différence

L’opéra obtient logiquement le 4e démarrage du mercredi 14, avec seulement 6 700 spectateurs. Les trois autres grosses sorties sont toutes situées au-dessus des 10 000 entrées. Pourtant, c’est bel et bien Carmen qui marque les esprits.

A l’issue de la première semaine parisienne, l’adaptation de Bizet ouvre en 5e place, avec 69 449 spectateurs. Sur si peu de salles et avec une séance de diffusion quotidienne en moins (le film est long de 2h30), Gaumont se frotte les mains, puisque le taux de remplissage est brillant : 12 478 spectateurs au Kinopanorama, 10 609 au Bretagne, 7 096 au Paris, 6 509 au Gaumont Champs Elysées…

A l’échelle de la France où le succès du moment est paillard (la continuation de Vive les femmes !), le triomphe est notable avec une première place hebdomadaire à Bordeaux (6 401), Grenoble (4 596), Lyon (9 741), Montpellier (5 742), Marseille (11 217)…

Et le bouche-à-oreille va être formidable. En 2e semaine à Paris, le drame musical remonte en 2e place, derrière la reprise de Merlin l’Enchanteur. Dans 18 salles, la foule grossit (82 824 entrées, + 20%). La diffusion d’un Grand Echiquier avec Julia Migenes Johnson aide beaucoup. Le succès populaire à l’échelle provinciale est toujours aussi solide, avec de belles premières places, notamment à Marseille où l’on compte 25 000 spectateurs en 15 jours.

Le 14e plus gros succès en France en 1984

Carmen passera 10 semaines dans le Top 10 hexagonal pour un final à 2 200 601 spectateurs, ce qui le pare d’une 14e place annuelle devant Fort Saganne, Vive les femmes !, Paris, Texas, Paroles et musiques, Police Academy, Conan le destructeur, Emmanuelle 4, Splash, Il était une fois en Amérique, Un dimanche à la campagne, Rusty James

Le résultat est énorme même si Julia Migenes ne pourra pas capitaliser sur ce rôle pour se bâtir une vraie carrière au cinéma (le film de science-fiction L’Unique dans lequel Jérôme Diamant-Berger la dirige est un flop en 1986).

A l’étranger, le film-opéra sera le plus gros succès dans son genre et lui vaudra de belles nominations aux Golden Globes (Etats-Unis) ou au BAFTA (Royaume-Uni) quand, en France, on recensera 7 nominations aux César contre 10 nominations aux David di Donatello Awards (Italie)…

Les sorties de la semaine du 14 mars 1984

Les adaptations de Carmen au cinéma

Les succès de l’année 1984

Affiche de Carmen de Francesco Rosi (1984), avec Julia Migenes

© Gaumont. Tous droits réservés.

Biographies +

Francesco Rosi, Julien Guiomar, Julia Migenes, Plácido Domingo, Faith Esham

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