A la fois thriller psychologique et introspection historique, Caché s’impose comme un Michael Haneke majeur, porté par des acteurs brillants. Il s’agit assurément d’une œuvre intelligente et d’une rare finesse.
Synopsis : Georges, journaliste littéraire, reçoit de mystérieuses vidéos, où on le voit avec sa famille, ainsi que des dessins inquiétants et difficiles à interpréter. Il n’a aucune idée de l’identité de l’expéditeur. Peu à peu, le contenu des cassettes devient plus personnel, les dessins plus inquiétants. Georges sent qu’une menace pèse sur lui, et cherche à obtenir l’aide de la police. En vain…
La caméra comme révélateur des secrets les plus profondément enfouis
Critique : Alors qu’il a connu une belle consécration avec son film sulfureux La pianiste (2001), le cinéaste autrichien Michael Haneke a subi un lourd échec avec son œuvre postapocalyptique Le temps du loup (2003). Il écrit alors le scénario de Caché (2005) qui lui permet d’ausculter la mauvaise conscience de la France envers la guerre d’Algérie. Il parvient notamment à convaincre la productrice Margaret Menegoz des Films du Losange à investir dans ce projet de thriller à plusieurs niveaux de lecture. Par la suite, le cinéaste n’a guère de mal à persuader Daniel Auteuil et Juliette Binoche de travailler avec lui. Cette dernière était d’ailleurs déjà son interprète principale sur Code inconnu (2000).
Avec Caché, Michael Haneke se saisit une fois de plus d’un genre codifié, à savoir le thriller, pour mieux en détourner le sens. Ainsi, le film démarre par un long plan fixe sur la façade d’un immeuble où loge le couple qui va subir un chantage dont le but reste longtemps mystérieux. Ce dispositif formel basique signifie que la caméra commence par saisir la surface des choses, mais que celle-ci va être en capacité de révéler ce qui se dissimule derrière la façade de respectabilité d’un couple bourgeois. Effectivement, petit à petit, les cassettes qui arrivent au domicile du couple poussent les occupants à effectuer un retour sur eux-mêmes.
Caché ausculte la responsabilité personnelle et collective
Le personnage de Daniel Auteuil voit ainsi revenir en lui des images d’un passé refoulé, en lien avec des événements historiques eux-mêmes enfouis. Alors que ce présentateur d’une émission littéraire voit ressurgir ses démons du passé, le spectateur comprend petit à petit le but du réalisateur. Certes, Michael Haneke livre une étude psychologique puissante sur la responsabilité de chacun face à ses actes, mais aussi sur le sentiment de culpabilité et la capacité de s’absoudre soi-même. Mais les amateurs d’histoire pourront rapidement faire le lien avec la guerre d’Algérie, et notamment avec l’événement du 17 octobre 1961 où près de 200 Algériens ont été jetés à la Seine par les forces de l’ordre à la suite d’une manifestation interdite par le pouvoir. Alors que les informations de l’époque ont évoqué un bilan de deux morts, la réalité du massacre a longtemps été dissimulée, ou cachée, pour reprendre le titre du long-métrage.
Avec la rigueur qui caractérise depuis toujours son cinéma, Michael Haneke met donc non seulement les personnages du film face à leurs propres cicatrices, mais aussi à celles de la grande Histoire. Ainsi, le personnage interprété par Maurice Bénichou ne peut qu’émouvoir, là où celui joué avec intensité par Daniel Auteuil peut irriter par son déni. Face à lui, Juliette Binoche incarne une épouse dont le mariage part à vau-l’eau et qui se réfugie dans les bras de son meilleur ami joué par Daniel Duval. Est-elle coupable d’adultère comme le suggère le jeune fils de 12 ans ? Peut-être, mais rien n’est vraiment certain dans cette œuvre qui laisse une grande liberté d’interprétation au spectateur.
Vers une réconciliation entre les peuples ?
De même, le plan final qui voit les deux jeunes fils se parler sur les marches d’un établissement scolaire peut signifier plein de choses. Les optimistes pourront toujours penser qu’il s’agit tout simplement d’être désormais en capacité de se parler, là où la génération précédente ne pouvait pas envisager l’avenir dans la réconciliation et la sérénité. Film tendu malgré un rythme très lent, Caché est assurément une œuvre d’une grande intelligence qui ose revisiter la mauvaise conscience du peuple français vis-à-vis d’une question toujours primordiale aujourd’hui, à savoir le fait colonial. La plus belle qualité du film est de ne délivrer aucune leçon de morale et de laisser chacun juge de ce qui se déroule à l’écran.
Présenté avec succès au Festival de Cannes en 2005, Caché a confirmé l’importance de Michael Haneke dans le paysage cinématographique mondial en lui octroyant le Prix de la mise en scène et le Prix FIPRESCI. Le faux thriller a également reçu quatre nominations aux César 2006, mais n’a remporté aucune statuette.
Un film qui n’a pas fini d’interroger la mauvaise conscience française
Exposé dans 158 salles lors de sa semaine d’investiture le 5 octobre 2005, Caché a réuni 170 754 Français pour une troisième place au box-office national, derrière Les frères Grimm (Gilliam) qui était exposé dans deux fois plus de salles. La semaine suivante, le long-métrage a gagné plus d’une centaine de salles et cumule 120 186 entrées supplémentaires. En troisième septaine, Caché grapille encore 83 249 retardataires sur toute la France. Au bout d’un mois, le métrage franchit la barre des 400 000 entrées, puis va continuer à glaner des spectateurs de semaine en semaine, terminant sa carrière avec 524 322 tickets vendus.
Cependant, le film n’a pas compté que sur la France pour rentrer dans ses frais puisqu’il a connu une carrière intéressante aux Etats-Unis sous le titre Caché (Hidden), avec 3,6 M$ (soit 5,3 M$ au cours de 2022) générés. Parallèlement, son exposition dans les autres pays européens lui a permis de cumuler près de 2 millions d’entrées au long d’une exploitation qui s’est donc avérée convaincante.
Critique de Virgile Dumez
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Biographies +
Michael Haneke, Daniel Auteuil, Annie Girardot, Juliette Binoche, Denis Podalydès, Nathalie Richard, Louis-Do de Lencquesaing, François Négret, Maurice Bénichou, Aïssa Maïga, Daniel Duval, Bernard Le Coq, Marie Kremer