Ogre insatiable du cinéma américain, Terry Gilliam construit depuis plus de quarante ans une œuvre foisonnante, à la lisière entre Kafka et le Pantagruel de Rabelais.
Le plus européen des cinéastes américains, né à Minneapolis en 1940, est avant tout un illustrateur de talent avant d’être employé dans un studio d’animation où l’on repère son sens de l’imagination.
Terry Gilliam, un Américain en Angleterre
En 1967, il décide de s’expatrier à Londres où il fait la connaissance deux ans plus tard de Terry Jones et sa bande. Les six joyeux drilles forment alors un groupe de comiques désopilants appelé à devenir culte : les Monty Python. Gilliam se charge de réaliser tous les courts métrages animés du groupe, ainsi que les génériques délirants de leurs films. Il participe ainsi à la conception de Monty Python, sacré Graal (1974), mais aussi au sarcastique Monty Python, le sens de la vie (1983).
Toujours avec l’aide de ses compères, Gilliam commence une carrière de réalisateur à part entière avec deux œuvres singulières et inégales. Jabberwocky (1977) et Bandits, bandits (1981) préfigurent tous les autres films du cinéaste en plongeant le spectateur dans un univers médiéval totalement déjanté où les chevaliers du Moyen Âge croisent des sorcières et des vaisseaux spatiaux. L’univers visuel foisonnant de Gilliam est déjà présent, mais l’ensemble n’est pas encore totalement maîtrisé.
Le temps des grands films
La reconnaissance publique et critique intervient grâce à Brazil (1985), fable sociale kafkaïenne qui plonge son héros dans un univers délirant. Fort de ce succès personnel, le cinéaste entreprend son projet le plus titanesque en réalisant une nouvelle version des Aventures du baron de Münchausen (1988). Après un début poussif, le film entraîne le spectateur époustouflé dans une série d’aventures merveilleuses, réalisées à l’époque sans le renfort des effets spéciaux digitaux. Pourtant, le public ne suit pas et est désarçonné par le parti pris très théâtral du metteur en scène. Autre incompréhension pour Fisher King – le roi pêcheur (1991), film hybride mêlant aventures médiévales, quête du Graal et trauma psychologique. La démarche peu orthodoxe de l’auteur ne séduit pas le public malgré la présence de la star montante Robin Williams.
Après ce long passage à vide, Gilliam revient en odeur de sainteté auprès des grands studios grâce à L’armée des douze singes (1995). D’une histoire tortueuse, le metteur en scène parvient à tirer le meilleur parti. Sans se départir de ses ambitions stylistiques, il arrive à créer une œuvre terriblement pessimiste et parfaitement maîtrisée. Le public est habilement attiré par la présence des deux stars, Bruce Willis et Brad Pitt, avant d’être conquis par la vision d’un futur cauchemardesque et inéluctable.
Une longue traversée du désert
Commencent alors des années difficiles pour Terry Gilliam : un film halluciné considéré par beaucoup comme raté (Las Vegas parano, 1998), un projet avorté en plein tournage (son fameux Don Quichotte) et les problèmes importants rencontrés durant les deux années nécessaires à la réalisation de son film sur Les frères Grimm en 2005. Lassé de la pression exercée par les grands studios, il a depuis mis la touche finale à une œuvre qu’il décrit lui-même comme plus intimiste (Tideland, 2005). À nouveau frappé par la fatalité, il doit supporter la mort tragique de l’acteur Heath Ledger en plein tournage de son Imaginarium du docteur Parnassus (2009). Il intègre ce problème dans le film en modifiant sans cesse l’apparence du personnage principal qui prend alors les traits de Johnny Depp et Jude Law. Fin 2009, il annonce la reprise du tournage de son fameux Don Quichotte, mais doit encore se résoudre à annuler. Le projet suivant s’intitule finalement Zero Theorem (2013) qui démontre un essoufflement de son inspiration. Terry Gilliam finit par concrétiser son rêve le plus fou et tourne enfin L’homme qui tua Don Quichotte (2018) qui n’a pas convaincu grand-monde.
Durant cette longue période, Terry Gilliam apparaît de manière régulière en tant qu’acteur de second plan dans les films d’Albert Dupontel, fan absolu du cinéaste.
Contre vents et marées, Terry Gilliam mène sa barque, coincé entre ses ambitions démesurées et les contingences imposées par le système hollywoodien. Véritable ogre du cinéma américain, il alimente nos rêves les plus fous depuis maintenant près de cinquante ans.