Esthétiquement superbe, cette version de 1984 est un bel objet théorique en lieu et place d’une expérience cinématographique pleinement satisfaisante. Lent, froid, souvent désincarné, le résultat est donc inégal et trop rarement passionnant.
Synopsis : Manipulant et contrôlant les moindres détails de la vie de ses sujets, Big Brother est le chef spirituel d’Oceania, l’un des trois Etats dont la capitale est Londres. Le bureaucrate Winston Smith travaille dans l’un des départements. Mais un jour il tombe amoureux de Julia, ce qui est un crime. Tous les deux vont tenter de s’échapper, mais dans ce monde cauchemardesque divisé en trois, tout être qui se révolte est brisé.
Une adaptation tournée en 1984 sur les lieux même de l’action du roman
Critique : Le réalisateur britannique Michael Radford n’a que quelques documentaires pour la BBC et un premier film passé inaperçu (Les cœurs captifs en 1983) à son actif lorsqu’il se lance dans l’ambitieux projet d’une nouvelle adaptation du livre culte de George Orwell 1984. L’idée, séduisante sur le papier, était de suivre au plus près le bouquin au point de tourner en 1984 sur les lieux exacts décrits par Orwell en 1948.
Ainsi, l’on suit les pérégrinations de Winston Smith dans la fameuse Battersea Power Station (centrale électrique londonienne mondialement connue grâce à la pochette de l’album Animals des Pink Floyd), ainsi que dans tous les quartiers industriels décrits par Orwell dans sa dystopie. Cette fidélité se retrouve également au niveau du script qui privilégie les moments intimes, les conflits intérieurs et les longs passages dialogués à l’action, faisant de 1984 un film d’auteur avant tout.
Un ensemble froid et sans doute trop désincarné
Malheureusement, ce qui est d’une pertinence absolue en littérature ne l’est pas nécessairement au cinéma et Michael Radford accouche ici d’une œuvre théorique à la froideur certes roborative, mais également dénuée de puissance sur le plan narratif. Comme dans les précédentes versions cinématographiques dont celle de Michael Anderson en 1956, on n’arrive pas vraiment à accrocher à l’histoire d’amour entre Winston et Julia, et ceci malgré un aspect plus charnel dans cette version de 1984.
Si John Hurt est un acteur admirable lorsqu’il doit exprimer la souffrance morale – plutôt dans la seconde partie du film – il n’a rien d’un jeune premier romantique et peine ainsi à donner du souffle à la passion amoureuse qu’il se découvre. Il n’est pas aidé par la prestation très moyenne de Suzanna Hamilton, actrice britannique surtout vue à la télévision et dans un rôle secondaire dans le Tess de Polanski. Son jeu fragile ne soutient pas la comparaison avec son partenaire et déséquilibre une fois de plus des scènes intimistes qui tendent à être ennuyeuses alors qu’elles devraient susciter l’empathie. Par contre, Richard Burton, dans sa dernière apparition à l’écran, incarne avec beaucoup d’autorité la figure ô combien inquiétante d’O’Brien.
1984, une vision affutée du totalitarisme
Là où Michael Radford marque des points, c’est dans la description clinique d’un système totalitaire où la volonté individuelle est intégralement diluée dans celle du groupe. On reconnaît aisément ici les mécanismes à l’œuvre dans les grandes dictatures du 20ème siècle telles que le stalinisme, le maoïsme ou encore le nazisme. Le cinéaste décrit avec précision l’endoctrinement des masses, les grandes messes populaires visant à vanter les mérites du régime, ainsi que la stratégie de la guerre permanente permettant de conserver une emprise sur un peuple aux ordres.
De même, le cinéaste insiste judicieusement sur la notion de censure et sur le travestissement de l’histoire par un effacement systématique de la mémoire collective et individuelle. Autant d’éléments théoriques qui respectent parfaitement la pensée incroyablement prophétique d’Orwell, au risque de faire du film un pesant réquisitoire contre toute forme de totalitarisme.
1984, meilleur avec ou sans la musique d’Eurythmics ?
Magnifié par la superbe photographie de Roger Deakins (futur directeur photo des frères Coen), 1984 demeure encore aujourd’hui un superbe objet esthétique, nimbé de lumières bleutées du plus bel effet qui évoquent immédiatement le look de Pink Floyd – The Wall (Alan Parker, 1982). Les décors très sobres permettent également au film de ne pas trop mal vieillir, de même que la musique discrète de Dominic Muldowney.
A l’époque, la firme Virgin a imposé au réalisateur la musique du groupe Eurythmics contre son gré. Pourtant les discrètes notes au synthé composées par Dave Stewart et Annie Lennox ne trahissent aucunement les images et se révèlent même bien plus intéressantes que les compositions plus banales de Dominic Muldowney. Seule la version cinéma de l’époque contient quelques chansons du groupe qui ont ensuite été évincées du montage final lors d’un director’s cut que nous trouvons plus faible.
Une carrière française boostée par le tube Sexcrime ?
Ce fut essentiellement un coup publicitaire qui a permis au groupe de pop synthétique britannique de vendre beaucoup de singles du titre Sexcrime (classé 4ème des charts anglais et 7ème du Top 50 en France) qui n’apparaissait toutefois dès l’époque que dans la bande annonce du film et non dans le long-métrage. Finalement, 1984 n’a pas obtenu l’écho souhaité par les producteurs, même si le film est rentré dans ses frais.
En France, le film reçoit un accueil plutôt favorable de la part du public avec une entrée en 4ème position du classement hebdomadaire parisien grâce à 69 379 curieux dans 17 salles. Le film devait tout de même affronter L’année des méduses (Christopher Frank), mais aussi le polar L’arbalète (Sergio Gobbi) et la comédie Par où t’es rentré ? On t’a pas vu sortir (Philippe Clair).
Box-office de 1984
On notera que, contre toute attente, 1984 est passé devant deux œuvres au potentiel populaire plus élevé. Sans doute est-ce dû à la promotion massive opérée par la sortie conjointe du tube d’Eurythmics intitulé Sexcrime. Cela offre à la dystopie des salles supplémentaires en deuxième semaine pour un beau maintien à 52 784 retardataires. C’est durant sa cinquième septaine que 1984 franchit la barre symbolique des 200 000 clients dans la capitale, avant de lentement s’effacer lors des fêtes de fin d’année, terminant sa course à 235 834 entrées Paris-périphérie.
En ce qui concerne la France entière, 1984 entre en 10ème position lors de sa première exclusivité avec 154 140 utopistes à son bord. Ce très joli démarrage se confirme la semaine suivante avec un maintien quasiment au même niveau avec encore 147 925 clients, pour un franchissement sans douleur des 300 000 tickets vendus en quinze jours à peine. Mieux, le métrage franchit les 400 000 entrées en trois semaines et ne commence à perdre de sa superbe que fin décembre, emporté par la concurrence et les fêtes de fin d’année. Pourtant, Big Brother fait de la résistance et son tract dépasse les 600 000 adeptes début janvier 1985. Finalement, il termine à 757 312 spectateurs, ce qui en fait un vrai succès au vu du caractère peu spectaculaire du long métrage.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 14 novembre 1984
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Michael Radford, Richard Burton, Christine Hargreaves, Cyril Cusack, John Hurt, Suzanna Hamilton
Mots clés
Cinéma britannique, Les films de science-fiction des années 80, Dystopies, La dictature au cinéma, La torture au cinéma