Biopic académique, Une vie parvient à émouvoir grâce à un Anthony Hopkins une fois de plus bouleversant et une reconstitution d’époque crédible. La réalisation, elle, demeure trop télévisuelle pour pleinement convaincre.
Synopsis : Prague, 1938. Alors que la ville est sur le point de tomber aux mains des nazis, un banquier londonien va tout mettre en œuvre pour sauver des centaines d’enfants promis à une mort certaine dans les camps de concentration. Au péril de sa vie, Nicholas Winton va organiser des convois vers l’Angleterre, où 669 enfants juifs trouveront refuge.
Retour sur le drame tchèque des Sudètes
Critique : En 2013, nous découvrions l’incroyable histoire de Nicholas Winton dans le documentaire tchèque et slovaque La famille de Nicky (Matej Minac, 2011). Ce programme qui a été fort peu diffusé à l’époque en France nous avait pourtant marqués par la révélation qu’il faisait des actes héroïques de ce banquier britannique qui a été ému en 1938 par le sort réservé aux populations juives des Sudètes, région récemment annexée par Adolf Hitler, avec le consentement tacite des puissances européennes – les infamants accords de Munich. Arrivé à Prague, le jeune homme découvre une situation humanitaire catastrophique, des familles laissées à l’abandon, et surtout des milliers d’enfants en situation de carences alimentaires.
© 2023 See-Saw Films, MBK Productions, BBC Film / SND. Tous droits réservés.
Dès lors, Nicholas Winton va organiser une vaste opération de sauvetage de ces enfants qui seront évacués en train depuis Prague jusqu’en Angleterre, afin d’y être adoptés. Cette opération d’envergure qui l’a mobilisé jour et nuit durant presque deux ans a permis de sauver 669 enfants d’une mort certaine. Malheureusement, ce sauvetage humanitaire a été interrompu dès la proclamation de la guerre début septembre 1939.
Nicholas Winton, le Schindler britannique
Cela rapproche bien entendu Nicholas Winton d’un certain Schindler et le téléaste James Hawes s’est basé à la fois sur le documentaire cité précédemment et sur le livre If It’s Not Impossible…The Life of Sir Nicholas Winton de Barbara Winton, la propre fille du héros, pour réaliser son premier film de cinéma intitulé Une vie (2023). Le danger avec un tel sujet était de tomber soit dans la reconstitution ripolinée, soit dans le misérabilisme et le mélodrame le plus pur. James Hawes n’y échappe pas complètement, mais demeure tout de même à une distance assez raisonnable de son sujet pour ne pas nous servir une soupe sentimentaliste insupportable.
Ainsi, il entrecoupe les vieux jours de Nicholas Winton, incarné magnifiquement par le grand Anthony Hopkins, avec des flashbacks explicatifs qui détaillent les mécanismes d’une opération aussi complexe qu’exécutée en toute légalité. Les passages situés dans les années 30 sont passionnants et menés par un casting au taquet, notamment Johnny Flynn, Helena Bonham Carter et Alex Sharp. Ils parviennent à nous plonger avec véracité dans l’enfer praguois à une époque où les croix gammées fleurissaient de partout en Europe.
Anthony Hopkins, toujours au sommet de son art
Ces passages sont assurément les plus réussis car ils viennent nous rappeler la fragilité extrême des démocraties face aux régimes autoritaires, voire carrément totalitaires. Ces images d’enfants perdus et trimbalés de gare en gare évoquent malheureusement une actualité plus récente qui nous prouve une fois de plus que l’humanité n’apprend rien des erreurs (horreurs) passées.
Les passages plus contemporains – situés en fait en 1987 – insistent sur l’incroyable modestie d’un homme qui a tenu cette opération secrète jusqu’à un âge très avancé. Finalement conscient de sa responsabilité sur le plan historique – ne pas oublier ces enfants – le vieil homme va alors faire connaître au grand public cette incroyable histoire. Nous ne déflorerons pas la fin très émouvante du film, mais Anthony Hopkins livre encore une belle performance. Comme toujours, il laisse stagner l’émotion au fond de lui durant toute la projection, avant de l’évacuer dans un pleur libérateur qui ne laissera personne indifférent. Même si le procédé s’avère quelque peu mélodramatique, il correspond à la réalité historique et se justifie donc ici pleinement.
Une vie pâtit d’une réalisation académique
Cependant, Une vie n’atteint jamais la puissance d’un film comme La liste de Schindler (Steven Spielberg, 1993), car James Hawes est un réalisateur appliqué, mais terriblement classique, pour ne pas dire académique. Son travail de reconstitution est admirable, mais manque de souffle dans une réalisation qui ressemble bien trop à celle d’un téléfilm de luxe. C’est assurément le gros point faible d’un film qui a bouleversé à juste titre le grand public, mais qui n’échappe pas à la gangue du film à Oscars trop convenu dans sa mise en forme.
© 2023 See-Saw Films, MBK Productions, BBC Film / SND. Tous droits réservés.
D’ailleurs, même si Une vie a été présenté en avant-première au Festival de Toronto, il n’a guère obtenu de prix dans le monde, preuve d’un certain désintérêt de la part des cinéphiles. Biopic classique certes, mais qui raconte tout de même une bien belle histoire, Une vie n’intéressera donc que ceux qui veulent découvrir cette opération impressionnante. Les amateurs de chefs d’œuvre du septième art passeront leur chemin.
Box-office français d’Une vie
Sorti avec confiance par SND sur une large combinaison de 469 écrans, Une vie est parvenu en tête du classement national français avec 456 390 entrées. Un score d’autant plus méritant que le long métrage est sorti une semaine embouteillée par une quinzaine de sorties, dont la comédie Les chèvres (Fred Cavayé) qui devait en principe tout déchirer avec à son générique Dany Boon. Pourtant, les gens ont préféré aller pleurer avec Anthony Hopkins plutôt que ne pas rire avec le comique dépassé (par ailleurs secondé par l’insipide Jérôme Commandeur).
Avec une combinaison quasiment identique, Une vie ne perd que 28 % de son public en deuxième semaine et continue donc à épater avec à son bord 328 161 personnes âgées supplémentaires. On notera que le film va ensuite rester numéro 2 du box-office français durant plus d’un mois, engrangeant chaque semaine des baisses infimes. Ainsi, Une vie a déjà dépassé le million de spectateurs en seulement trois semaines. Mieux, grâce à l’ajout important de copies, le mélodrame se permet même d’augmenter sa fréquentation en cinquième septaine.
La France, premier marché mondial du mélodrame historique
C’est finalement début avril que le métrage donne des signes de fatigue avec des chutes autour de 50 % de ses entrées. Il termine sa carrière exceptionnelle avec 1 586 333 entrées, un score impressionnant. Remarquons que parallèlement, Les chèvres, production coûteuse sortie le même mercredi a fini sa trajectoire avec 182 438 clients. Une veste monumentale, de l’ordre du pur accident industriel.
Enfin, il est important de signaler que la France représente le premier marché mondial pour Une vie avec 12,9 millions de dollars engrangés sur notre territoire contre 12,7 millions sur le sol britannique, pourtant sa terre d’origine.
Critique de Virgile Dumez
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© 2023 See-Saw Films, MBK Productions, BBC Film / Affiche : Leroy & Rose. Tous droits réservés.
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James Hawes, Helena Bonham Carter, Anthony Hopkins, Alex Sharp, Lena Olin, Marthe Keller, Jonathan Pryce, Johnny Flynn, Adrian Rawlins
Mots clés
Cinéma britannique, Biopic, La Seconde Guerre mondiale au cinéma, La Shoah au cinéma, Les succès de 2024