Premier grand film d’Yves Boisset, Un condé est un polar brutal dénonçant les méthodes policières douteuses. Michel Bouquet y est remarquable.
Synopsis : Favenin, policier désabusé, veut venger la mort de son coéquipier tué par des gangsters. Au mépris des lois, il n’hésite pas à user du chantage et de la torture pour retrouver les assassins et préférerait tuer plutôt qu’arrêter le coupable.
Un film politique déguisé en polar
Critique : Premier grand film d’Yves Boisset, Un condé n’est pourtant pas un projet personnel puisque le projet lui a été proposé par la productrice Véra Belmont. Jusque-là, Yves Boisset n’avait réalisé que deux films purement commerciaux dont un Coplan sympathique et un Cran d’arrêt assez décevant. Toutefois, le roman de Pierre Lesou l’inspire beaucoup et il livre avec son complice Claude Veillot une adaptation réussie, dont le contenu subversif est même accentué. Un condé est effectivement le premier vrai film politique sur lequel planche Boisset en cette fin des années 60.
Clairement influencé par l’idéologie libertaire de mai 68, le long-métrage se veut une dénonciation virulente des méthodes policières. Ainsi, le système apparaît comme totalement corrompu par des hommes sans limite qui partagent de nombreux points communs avec les truands qu’ils pourchassent. Le seul personnage de flic honnête, interprété avec talent par Bernard Fresson, disparaît assez vite, laissant le champ libre à son coéquipier, un homme prêt à tout pour venger son collègue et ami.
Vigilante movie de gauche
Si le sujet se rapproche fortement des déclinaisons américaines qui donneront lieu aux films de vigilante, le ton est radicalement différent. Le point de vue est bien celui d’un cinéaste de gauche engagé cherchant à dénoncer les abus d’autorité. Michel Bouquet compose avec maestria cette figure du flic qui aurait pu officier durant le régime de Vichy. D’ailleurs, les scènes d’interrogatoire font rétrospectivement songer aux tortures menées par certains soldats français durant la guerre d’Algérie. Ce n’est sans doute pas un hasard quand on sait que Boisset a ensuite tourné R.A.S., une œuvre sur la guerre en Algérie.
Un film interdit pendant plusieurs mois
Pour ses scènes de fusillade, particulièrement violentes et sanglantes, Boisset s’inspire directement du cinéma américain radical de l’époque. On songe notamment au Bonnie and Clyde d’Arthur Penn ou encore aux œuvres de Sam Peckinpah. De quoi justifier en partie l’interdiction qui a frappé le long-métrage durant plusieurs mois. Effectivement, le ministre Raymond Marcellin fut choqué par la description radicale de la police et pesa de tout son poids pour faire interdire le film. La séquence de l’interrogatoire musclé de Gianni Garko a d’ailleurs été tournée une seconde fois à Paris pour adoucir le propos. Le personnage principal est toujours maltraité par la police, mais l’ensemble est bien moins sanglant dans la version diffusée en France.
Si le film est assurément d’une très bonne tenue, notamment par la puissance des scènes d’action et par le jeu des acteurs, on peut lui reprocher d’être parfois un peu trop explicite, un péché mignon chez Boisset. Les rôles féminins, et notamment celui de Françoise Fabian, passent également trop souvent au second plan. Par contre, il fallait vraiment du courage pour s’en prendre de manière aussi frontale à la police à une époque où la censure gaullienne était encore à son comble.
Grâce à son interdiction, le film a acquis une belle publicité qui a attiré les spectateurs en salles. Ils furent plus de 1,3 millions de Français à faire le déplacement, permettant au film de se hisser à la 23ème place du classement annuel national de l’année 1970. Un succès amplement mérité pour ce premier film important d’un réalisateur au glorieux palmarès.
Le test du blu-ray :
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Compléments & packaging : 4/5
Le packaging est tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Par contre, l’éditeur propose un bonus vidéo inédit, à savoir un entretien de 30 min avec François Guérif. Ce spécialiste du polar français revient sur le contexte cinématographique de l’époque, ainsi que sur la genèse du projet. Il évoque les problèmes avec la censure et se livre à une courte analyse du film. Cette dernière manque un peu de profondeur et nous laisse sur notre faim.
Les autres suppléments sont issus de la précédente édition DVD d’Opening, datant de 2007. On suit avec passion un entretien de 14min avec Yves Boisset qui explique toute la genèse du film et ses déboires avec la censure. Ensuite, Jean-Pierre Jeancolas revient durant 9 min sur les derniers feux de la censure au début des années 70, avant l’accession au pouvoir de Valéry Giscard d’Estaing. Pour finir, le musicien Antoine Duhamel explique comment il a composé une bande originale avant-gardiste. L’artiste, décédé en 2014, ne cachait d’ailleurs pas sa contrariété face au mixage final qui a atténué l’impact de sa partition. Il s’en prenait alors directement à Yves Boisset, avec qui il semblait en froid.
Enfin, l’éditeur nous propose la fameuse séquence censurée en italien non sous-titré. Elle nous montre un Gianni Garko plus dénudé et surtout ensanglanté, alors que la scène est plus politiquement correcte dans la version française.
L’image : 3,5/5
Inégale, la copie proposée est globalement de bonne tenue grâce à un toilettage plutôt efficace. Certains plans sont même très beaux, mais l’ensemble est très variable d’une scène à l’autre. Ainsi, certains passages sont plus flous, d’autres manquent de contraste, tandis que les noirs manquent de profondeur. Les couleurs sont également variables en fonction des séquences. Il s’agit en tout cas de la meilleure copie du film à ce jour.
Le son : 4/5
L’unique piste sonore en mono DTS HD Master Audio fait honneur aux dialogues qui sont toujours d’une belle clarté, tandis que la musique éclate de temps à autre sans saturer. Le résultat est donc propre et tout à fait satisfaisant.
Critique du film et test blu-ray : Virgile Dumez