Radical, peu aimable, dérangeant, Themroc demeure presque cinquante ans après sa sortie une œuvre passionnante et unique en son genre.
Synopsis : Themroc est un ouvrier qui surprend un jour son patron en train de tromper sa femme avec une secrétaire ! Son chef tentant de le faire taire, il s’enfuit et part se barricader chez lui, retenant par la même occasion sa mère et sa sœur en otage. Themroc cède rapidement à la folie et la police va tenter d’intervenir…
Une œuvre déplaisante, mal polie, brouillonne, mais emportée par une verve contestataire euphorisante
Critique : Le réalisateur, Claude Faraldo, apparaît deux fois dans Themroc, comme une signature en gros plan et les deux fois il grogne. En accord avec son film, évidemment, puisque les personnages s’expriment par une langue incompréhensible ou des bruits divers (grondements, hurlements), mais ces plans rapides sonnent aussi comme un programme plus général : face au cinéma, face à la société, l’opposition quasi animale est la seule réponse. De fait, Themroc est une œuvre déplaisante, mal polie aux deux sens du terme, brouillonne, mais emportée par une verve contestataire plus radicale que Bof… (Anatomie d’un livreur), son film précédent, qui avait ouvert la voie. S’il va plus loin, c’est non seulement dans la réaction du protagoniste, mais aussi par la description sans concessions d’un univers ouvrier aliénant.
Dans la première partie, à l’aide de détails précis (Themroc fait du café, subit le reproche muet de sa mère, prend le train, le métro, pointe et travaille), Faraldo montre la répétition épuisante de gestes qui briment et frustrent ; la frustration, et en particulier sexuelle, sera d’ailleurs l’un des moteurs de la narration. La suite d’actions dénuées de sens est accentuée par des commentaires ironiques, comme les pancartes placées dans l’entreprise (« gentils prolétaires, gentil directeur, gentille hautaine secrétaire galbée ») qui renvoient à la volonté d’une soumission gage de paix. Mais ce point de vue, affichage explicite d’un impensé, se heurte à la réalité d’une lutte des classes permanente : l’entreprise crée des oppositions stériles entre deux équipes et surveille les employés ; quant au travail lui-même, il est résumé par une courte séquence dans laquelle Popeck taille consciencieusement des crayons avant d’en casser la mine.
Themroc se révolte
Mais à la suite d’un incident, Themroc voit son patron lutiner une secrétaire, se fait renvoyer brutalement (au passage, Faraldo suggère que seule la classe dirigeante a droit à la sexualité) et se révolte : d’abord en toussant, puis en rugissant (saisissante scène dans laquelle une plongée l’enferme dans des WC exigus), enfin en partant. C’est un signe, un début.
La suite est un autre enfermement, volontaire cette fois, qui va bousculer l’ordre établi par un retour à l’animalité : Themroc se débarrasse de tous les attributs de la civilisation, des meubles à la télé, et casse le mur qui donne sur l’extérieur, transformant ainsi une pièce en tanière. La révolte individuelle, absurde en soi, déclenche une série d’événements dans ce quartier abandonné et sordide : les voisins le rejoignent ou s’opposent, les policiers interviennent à la fois violemment et maladroitement. Au fond, de ce geste de refus découle une possible révolution.
Inceste, anthropophagie, Themroc n’a rien perdu de sa radicalité
On s’amuse beaucoup des tentatives de déloger Themroc, et Faraldo semble s’en moquer doublement, d’abord par une observation attentive de leurs échecs successifs, ensuite en montrant la bonne humeur perpétuelle des reclus, qui vont jusqu’à savourer les gaz lacrymogènes. Mais la gentille dénonciation n’est pas le fort du réalisateur. S’attaquer de front à la société, c’est briser ses tabous et il n’y va pas avec le dos de la cuiller, poussant la provocation jusqu’à l’inceste et l’anthropophagie : le sexe n’a pas de limites, et la seule utilité de la police est de servir de nourriture. On n’a rarement fait aussi radical. On pourra s’offusquer de la place accordée à la femme, trouver parfois le temps long, mais le caractère iconoclaste de Themroc n’a rien perdu de son efficacité.
Bien évidemment, en accord avec le sujet décoiffant, le style est relâché, loin des productions léchées auxquelles nous sommes habitués. C’est rugueux, parfois carrément moche, mais on sait gré à Faraldo de n’avoir pas enrobé d’un esthétisme raffiné cette production à rebrousse-poil. Tel quel, Themroc est le témoin d’une époque, contemporain de La Grande bouffe ou L’An 01, d’une époque où le cinéma apparaissait comme un possible instrument de révolution. Époque qu’il n’est pas interdit de regretter.
Sortie du 1er mars 1973
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Le test DVD
Cinq ans après sa première apparition en DVD, Tamasa ressort Themroc sur support physique, agrémenté cette fois-ci d’une restauration 4K. Les bonus sont identiques à l’édition précédente.
Compléments : 2,5/5
Le seul module présent, Les grands Fauves (9mn), a le mérite de faire le point sur la genèse, l’esprit et les thèmes du film, ainsi que de présenter le contexte et le réalisateur. On regrette d’autant plus sa brièveté.
Image : 4/5
La restauration 4K a supprimé toute scorie sans, heureusement, dénaturer l’esthétique si singulière du film. À peine peut-on noter quelques plans fluctuants.
Son : 4/5
Là encore la restauration n’a rien gommé des imperfections voulues, tout en rendant parfaitement intelligible et clair cette étrange bande-son à la musique parcimonieuse, aux dialogues incompréhensibles et aux bruits divers envahissants. En mono, bien sûr.