Bof.. (anatomie d’un livreur) : la critique du film (1971)

Comédie satirique | 1h46min
Note de la rédaction :
7/10
7
Bof... anatomie d'un livreur, affiche de Sempe

  • Réalisateur : Claude Faraldo
  • Acteurs : Paul Crauchet, Marie Dubois, Marie-Hélène Breillat
  • Date de sortie: 17 Mar 1971
  • Nationalité : Français
  • Scénario : Claude Faraldo
  • Sociétés de production : Marianne Productions, Albina Productions, Filmanthrope
  • Distributeur : Cinema International Corporation (CIC)
  • Editeur vidéo : Tamasa
  • Date de sortie vidéo : 9 juin 2020
  • Box-office Paris-périphérie : 67 738 entrées
  • Formats : 1:66 / Mono
  • Classification : Interdit aux moins de 18 ans (à sa sortie)
Note des spectateurs :

Bof .. (Anatomie d’un Livreur) est aujourd’hui encore, en même temps qu’un témoignage précieux des aspirations d’une époque, un brûlot politique sous ses airs faussement bonhommes.

Synopsis : Un livreur décide d’arrêter de travailler, son métier l’ennuyant au plus haut point. Il ne tarde pas à épouser Germaine, une femme au foyer et ensemble, ils ne font rien. Le père du jeune homme et Boubou, un balayeur, viennent habiter chez eux et restent aussi à la maison, inactifs. Un jour, la petite bande décide de partir au soleil…

Critique : A voir aujourd’hui Bof.. (Anatomie d’un Livreur) on est surtout frappé par un ensemble de maladresses : plutôt mal construit, farci de dialogues certes pas abondants mais souvent patauds, alourdi par le jeu parfois approximatif des comédiens, le film, en termes strictement cinématographiques, s’avère décevant. Mais la forme, la structure lâches correspondent parfaitement au projet de Faraldo, puisqu’il s’agit, en une révolte mineure, de rejeter l’ordre établi. Même si deux ans plus tard il ira plus loin avec Themroc, qu’au même moment L’an 01 de Jacques Doillon approfondira et élargira l’esprit contestataire, le cinéaste jette les bases d’un cinéma post-soixante-huitard, utopique et généreux, foutraque et secrètement mélancolique, fondé sur la nonchalance : nonchalance des acteurs (en particulier Paul Crauchet), de la mise en scène et du scénario. D’où ces séquences étirées ou répétitives qui bloquent la narration classique, d’où aussi ces dialogues qui donnent l’impression de bégayer.

Bof anatomie d'un livreur photo 2

© Tamasa

Bof.. anatomie d’un livreur, un film générationnel

Le film commence par un apprentissage : un jeune homme devient livreur et doit maîtriser le portage de caisses ou la conduite d’une camionnette. Et la première partie semble montrer comment ce héros mutique accède au statut d’adulte, avec travail ingrat et mariage. Mais dès avant le virage inattendu, des signes indiquent que tel n’est pas le propos du cinéaste : l’insistance sur la difficulté à quitter les parents, le rire sarcastique du patron, les cadrages serrés qui emprisonnent le protagoniste avec ses caisses, l’étonnante séquence pendant laquelle il rampe devant une femme, ou même la rencontre audacieuse de Germaine (Marie Dubois), enfin le rythme apathique contrarient ce qui pourrait n’être qu’un film initiatique sur la difficulté de vivre dans la société. Le vrai changement vient néanmoins du père qui refuse un jour de pointer ; on pense alors au « pas de côté » de L’An 01, cette petite action qui grippe la machine. Fascinant personnage que ce père qui, comme il l’avouera benoîtement plus tard à son fils dans une tirade qui préfigure celles de Bertrand Blier, a tué sa femme, puis va habiter chez lui, prendre l’argent de sa femme … et la femme elle-même. Manipulateur, égoïste, gourou inconscient ou libérateur des aliénations contemporaines, on n’en saura rien. D’autant que les explications manquent, et que les réactions des femmes (Marie Dubois, rejointe ensuite par Marie-Hélène Breillat) se bornent à des acceptations et des admirations naïves. Il faut dire qu’aujourd’hui le film nous paraît singulièrement misogyne : quand elles ne chantonnent pas, elles montrent leurs seins, voire leurs culottes, ou batifolent. Entièrement soumises au regard et au désir masculin, elles promènent leur indolence sans parvenir vraiment à exister.

Bof anatomie d'un livreur, affiche

© Sempé – Tamasa

Reste que la charge révolutionnaire du film conserve sa force : Faraldo, en douceur, conteste l’un des piliers de notre société, le travail, et il le fait en mettant en scène non pas des intellectuels qui réfléchissent sur leur situation, mais des ouvriers modestes qui ne théorisent jamais leur refus. Paul, tout simplement, ne veut plus travailler. À l’heure où l’on ne cesse d’évoquer la « valeur travail », on mesure ce que ce thème comporte encore de charge subversive. Car non, porter des caisses de vin jusqu’au septième étage n’est pas une libération, s’humilier pour obtenir de conduire un camion n’a rien d’un accomplissement personnel. Symboliquement, ce camion que le fils a eu tant de mal à obtenir finira abandonné dans un fossé.

Au fond et de manière plus générale, Bof.. (Anatomie d’un Livreur) nous incite à refuser les règles, toutes les règles. C’est aussi bien le vol dans les magasins, hors toute morale, que la triche à la belote ou l’amour partagé qui sont valorisés, au détriment d’une soumission à un ordre établi. Tricher, c’est donc refuser de jouer un jeu dont les dés sont pipés, et l’on mesure la portée politique qui sous-tend pareil scénario.

L’autre thème majeur, celui qui aujourd’hui nous dérange, c’est la célébration du corps de la femme : les seins, les jambes, ne cessent d’être exposées. C’est parfois sous forme d’un jeu (le fameux « dessert » que souhaite le protagoniste), le plus souvent présenté comme une chose naturelle, pour peu qu’on oublie que les femmes semblent toujours disponibles et consentantes, objets plutôt que personnes. En ce sens, Bof … milite davantage pour la libération de l’homme au sens masculin du terme que de l’humain.

Formellement daté, inégal et parfois très maladroit, ce film demeure un témoignage passionnant sur une époque porteuse d’espoir et de révolte, un jalon dans l’histoire du cinéma. Annonçant Blier et synthétisant un état d’esprit disparu, il a l’intelligence de conclure sur une fin ouverte, ambiguë, qui sonne pour nous comme une marche vers l’échec et n’en est que plus précieuse.

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Sorties de la semaine du 17 mars 1971

Bof anatomie d'un livreur photo

© Tamasa

 Le test DVD

 Compléments : 3/5

Un seul bonus, le long témoignage (54mn) de Robin Davis, qui était assistant sur le film. Il livre un portrait élogieux mais pas aveugle de Faraldo, et analyse avec acuité le métrage : ainsi son interprétation des personnages qui chantonnent ou du rôle des femmes ne manquent-ils pas d’intérêt. Qui plus est, le ton alerte de Davis rend le monologue particulièrement plaisant.

 Image : 4/5

La restauration 4K a gommé les défauts de la précédente édition : l’image est stable, sans défauts, aussi bien définie que possible pour un film de 1971.

 Son : 4/5

Les dialogues sont parfaitement audibles, ni souffle ni parasites ; bref, là encore la restauration donne un confort très agréable

François Bonini

Bof... anatomie d'un livreur, affiche de Sempe

© Sempé

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