A la fois sanglant et drôle, Théâtre de sang bénéficie d’un script malin qui exploite au mieux l’œuvre de Shakespeare. Vincent Price y est impérial, au milieu d’un casting quatre étoiles so british. Jubilatoire.
Synopsis : A Londres, un éminent critique de théâtre est assassiné, puis deux, puis trois. Le meurtrier, Lionheart, jadis interprète de grands rôles shakespeariens que tout le monde croit mort, a décidé de se venger de ceux qui refusèrent de reconnaître son talent.
Etre ou ne pas être réalisé ?
Critique : Au début des années 70, les scénaristes et producteurs Stanley Mann et John Kohn ont l’idée d’écrire une comédie horrifique où un acteur shakespearien utiliserait les meurtres vus dans les pièces du grand William pour occire les critiques qui lui ont gâché l’existence. Cette histoire de vengeance sur fond de théâtre séduit les pontes de la firme Harbor qui a déjà à son actif le film d’horreur Asylum (Ward Baker, 1972) et le producteur Sam Jaffe propose d’offrir le rôle principal à l’Américain Vincent Price. Effectivement, ce dernier vient de marquer les esprits dans une œuvre très proche dans l’esprit : L’abominable Dr. Phibes (Fuest, 1971), mais aussi dans sa suite nettement moins réussie.
Il n’a pas fallu longtemps à Vincent Price pour se déclarer intéressé par le projet. Il lui offre notamment l’occasion de réaliser son rêve : interpréter du Shakespeare. Cela lui a toujours été refusé, aussi bien au théâtre qu’au cinéma. Il est encore plus ravi lorsqu’il apprend les détails du casting qui va l’opposer aux plus grands acteurs shakespeariens de la scène britannique : Harry Andrews, Jack Hawkins, Dennis Price ou encore Diana Rigg. Alors que le projet est proposé au réalisateur Robert Fuest, celui-ci est obligé de décliner l’offre car déjà occupé par son film de science-fiction Les décimales du futur (1973). C’est finalement le bon technicien Douglas Hickox qui va se charger de tourner ce festival de meurtres sanglants.
La comédie des aigreurs
Très proche dans l’esprit de la saga du docteur Phibes, Théâtre de sang s’avère être une savoureuse comédie horrifique qui anticipe de plusieurs décennies l’époque du torture porn, mais avec l’humour noir en plus. Ici, pas question de développer une intrigue complexe pour rechercher un éventuel coupable puisque tous les tenants et aboutissants sont dévoilés au bout des dix premières minutes de film. Comme dans un slasher (en plus sophistiqué), le but du film est donc de nous divertir par la multiplicité des meurtres commis et leur sadique ingéniosité.
Chaque assassinat est calqué sur les grandes pièces de Shakespeare et Vincent Price se fait un malin plaisir à interpréter des passages entiers de ces classiques de la scène. Bien entendu, comme le rôle le demande, il en rajoute dans le cabotinage de manière assez jubilatoire. Toutefois, l’aspect le plus enthousiasmant du film vient de cet humour noir distillé à chaque meurtre. Le summum intervenant lorsque Robert Morley est contraint de manger une tourte confectionnée avec la chair de ses deux caniches préférés.
Peines d’amour propre perdues
Joué avec gourmandise par l’ensemble du casting, Théâtre de sang (1973) est mené de main de maître par un Douglas Hickox qui se fait plaisir en multipliant les contreplongées et les angles biscornus afin de souligner l’étrangeté de son script. Il est aidé ici par une photographie travaillée de Wolfgang Suschitzky et une musique volontiers parodique de Michael J. Lewis. Grâce à la parfaite alchimie de tous ces artisans, Théâtre de sang est un petit jeu de massacre parfaitement jubilatoire pour peu que l’on goûte l’humour noir.
Au passage, les auteurs s’en prennent avec férocité au monde de la critique, constituée essentiellement de gens satisfaits d’eux-mêmes, mais réellement incapables de créer. L’argument est classique, mais assez efficacement développé ici, d’autant que l’acteur n’est pas exempt de défauts dans sa mégalomanie confinant à la folie.
Beaucoup de bruit pour rien au box-office
Peut-être vexés par le propos assassin du film, les critiques n’ont d’ailleurs pas toujours été tendres avec Théâtre de sang. En tout état de cause, le succès que pensait rencontrer l’équipe avec cet excellent long-métrage, n’a pas été au rendez-vous, notamment aux Etats-Unis où le flop a été radical. En France, ils ne furent que 128 714 joyeux lurons à faire le déplacement dans les salles obscures. Il a fallu attendre les diffusions télévisées, mais aussi la VHS, puis le DVD pour que le long-métrage soit réévalué à sa juste mesure. Désormais considéré comme une œuvre culte, Théâtre de sang (1973) est assurément l’un des meilleurs films britanniques de cette décennie dans le domaine horrifique.
Le long-métrage fait désormais l’objet d’une sortie en Mediabook chez ESC Editions avec une copie inégale, mais globalement correcte et un supplément sympathique signé Christophe Lemaire. L’occasion de (re)découvrir un film décidément très original et sérieusement barré.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 août 1973
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Douglas Hickox, Harry Andrews, Diana Rigg, Vincent Price, Milo O’Shea, Ian Hendry, Jack Hawkins, Robert Morley, Dennis Price, Michael Hordern, Diana Dors