The Prom est l’un des gros succès Netflix de l’année 2020. Cette production pour adolescents en manque d’inclusivité laisse toutefois froid tellement elle se vautre dans l’explicitation pédagogique et la bienveillance factice.
Synopsis : Stars de la scène new-yorkaise, Dee Dee Allen et Barry Glickman traversent une véritable tempête : le dernier spectacle qu’ils ont monté à Broadway à grands frais est un échec retentissant qui a soudain réduit leur carrière à néant. Dans le même temps, au fin fond de l’Indiana, Emma Nolan, lycéenne, connaît un chagrin d’un tout autre ordre – malgré le soutien du proviseur, la responsable de l’association des parents d’élèves lui a interdit de venir au bal de fin d’année avec sa petite amie Alyssa. Lorsque Dee Dee et Barry comprennent qu’ils peuvent faire de l’épreuve d’Emma une cause à défendre – et ainsi redorer leur image de marque –, ils mettent le cap sur l’Indiana, en compagnie d’Angie et Trent, deux autres comédiens cyniques cherchant à faire redécoller leur carrière. Mais quand leur militantisme opportuniste se retourne contre eux de manière inattendue, la vie des quatre acteurs est chamboulée – et ils se mobilisent pour offrir à Emma une soirée où elle peut enfin assumer son identité au grand jour.
La valse des comédies musicales de décembre
Critique : Chaque année, en période de fêtes, Hollywood livre son adaptation d’un classique du Musical. Evita (1996), Chicago (2002), The Phantom of the Opera (2004), Rent (2005), Dreamgirls (2006), Sweeney Todd et Hairspray (2007), Nine (2009), Burlesque (2010), Les Misérables (2012), Annie (2014), Into the Woods (2014), The Greatest Showman (2017), Cats (2019)… La liste est longue et l’on se concentrait ici sur les entreprises musicales qui avaient des envies de Golden Globes et de statuettes aux Oscars et donc bénéficiaient de sorties “limitées” en fin d’année. Des Mamma Mia formatés pour les foules affrontaient carrément le marché estival, celui des blockbusters.
Pour l’hiver 2020, avec la fermeture des salles covidées, tout est bouleversé. Steven Spielberg ne livrera son West Side Story que pour décembre 2021, époque canonique qui lui est réservée, et c’est une exclusivité Netflix qui fera office de musical à Oscar en cette fin d’année, avec une sortie ultra-réduite sur quelques territoires pour mériter le label “film de cinéma”, ce que The Prom n’est évidemment pas.
Ryan Murphy ne sait sur quel pied danser
The Prom pâtit d’un problème d’identité, celle de son auteur. Ryan Murphy, réalisateur de fiction mièvres (Mange, prie, aime), quand il est derrière la caméra, est incapable de livrer une œuvre qui lui ressemble vraiment. Est-il l’incarnation des niaiseries inclusives, débordant de bienveillances et écrites à la truelle, ou le producteur des séries les plus déviantes et perverses de ces vingt dernières années (American Horror Story, Ratched et surtout Nip/Tuck). Le monsieur n’est pas un chantre de la bienveillance dans les monstrueuses séries que l’on vient de citer, mais plutôt une personnalité subversive qui a fait défaut au paysage hollywoodien, celui des salles obscures.
Contrairement à Carrie de Brian De Palma, d’après Stephen King, qui démontrait les horreurs du harcèlement et de la pensée religieuse obsessionnelle, The Prom aborde l’intolérance et la discrimination dans une Amérique religieuse flippante dans sa retranscription colorée de bienveillance. Véritable horreur de la pensée humaine, The Prom réduit le cinéma à une relecture biblique, et une réinterprétation des textes, et rend les personnages LGBT aussi fades que les camarades finalement pas si méchants que cela par rapport à la réalité du problème qu’affrontent les minorités américaines… Rendre les minorités mignonnes sous les yeux plein d’extase d’un casting d’adultes comme Meryl Streep (seule actrice à sauver sur l’intégralité d’un casting minable) ou Nicole Kidman (prestation pathétique de transparence d’une cachetonneuse).
The Prom est l’héritier généré par vingt ans de Glee et Disney Channel
Entre Glee et High School Musical, The Prom est le résultat de vingt ans de lissage télévisuel d’une pensée cinématographique réduite aux volontés des actionnaires qui embrasse le cash des diversités, non par conviction, mais par souci de ne s’aliéner aucun public pour ne pas froisser son compte en banque.
Le pétillant The Prom, qui en soit ne manque ni de rythme ni de chansons avenantes, offre sur un plan psychologique bien peu d’échappatoires : personnages anecdotiques, acteurs sans âme et mièvres (notamment les deux jeunes héroïnes), religiosité d’une Amérique incapable d’inclure des personnages athées (faudrait quand même pas allez trop loin dans l’inclusion, hein) et décors factices qui refoulent le numérique. Le cinéma est tombé bien bas.
Découvrez les films qui comptent
Quant aux adolescents qui chercheront à voir un film intelligent sur le thème du harcèlement, de l’inclusivité, dépassant la binarité de la sexualité, pour une démonstration plus complexe d’être adolescent, nous leur conseillerons le drôle, intelligent et surtout bouleversant Franky. Et les nostalgiques du cinéma queer reverront avec plaisir le diptyque nihiliste de Gregg Araki, The Doom Generation et Nowhere, ainsi que le sublime Mysterious Skin, qui se voulaient être des réponses virulentes à la médiocrité télévisuelle des productions adolescentes comme Beverly Hills ou Melrose Place.
En 2020, le cinéma a perdu ; le soap et la sitcom semblent avoir gagné la partie et la vraie pensée rebelle s’est faite rattraper par le mainstream dont la philosophie capitaliste néglige l’humain pour un lissage des traits qui ne correspond à rien ni personne.
Critique de Frédéric Mignard