Œuvre monumentale par sa durée, The Brutalist constitue un film-monde qui séduit par son ambition démesurée, malgré une tonalité intimiste. La réalisation, maîtrisée, ne cherche aucunement l’épate visuelle et préfère se concentrer sur ses personnages. L’ensemble constitue une indéniable réussite, en dépit d’une fin académique.
Synopsis : Fuyant l’Europe d’après-guerre, l’architecte visionnaire László Tóth arrive en Amérique pour y reconstruire sa vie, sa carrière et le couple qu’il formait avec sa femme Erzsébet, que les fluctuations de frontières et de régimes de l’Europe en guerre ont gravement mis à mal. Livré à lui-même en terre étrangère, László pose ses valises en Pennsylvanie où l’éminent et fortuné industriel Harrison Lee Van Buren reconnaît son talent de bâtisseur. Mais le pouvoir et la postérité ont un lourd coût.
The Brutalist, un projet titanesque maintes fois reporté
Critique : Réalisateur peu connu dans nos contrées puisque ses deux premiers efforts (The Childhood of a Leader en 2015 et Vox Lux en 2018) ne sont pas sortis dans nos salles, Brady Corbet a mis de nombreuses années à concrétiser le projet de ce troisième long métrage intitulé The Brutalist (2024). Effectivement, un premier tournage fut initialement envisagé en 2020, avant que la crise de la Covid-19 ne remette tout en cause. Il a notamment fallu revoir l’intégralité du casting puisque les emplois du temps des acteurs initialement prévus n’étaient plus compatibles avec les nouvelles dates de tournage.
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Autre problème majeur, The Brutalist est dès le départ envisagé comme une fresque monumentale de plus de trois heures, avec un entracte de 15 minutes en son centre, afin de se conformer au style en vigueur à la fin des années 50 lorsque le cinéma était fortement concurrencé par la télévision. Dans le même ordre d’idée, Brady Corbet souhaite tourner le film au format VistaVision, un procédé de défilement de la pellicule différent, mais qui sous-entend que le métrage ne sera pas proposé en numérique, afin de retrouver la texture d’images des années 50. Ce qui peut apparaître comme une simple coquetterie de la part d’un réalisateur aux folles ambitions s’accorde en fait au sujet même du film, lui-même situé entre les années 40 et 60.
Brady Corbet souhaite renouveler l’expérience cinématographique
Pour Brady Corbet il faut en quelque sorte bousculer les habitudes de visionnage à la chaine des spectateurs pour laisser pleinement s’exprimer la matière même du film. Ainsi, The Brutalist cherche à trouver une équivalence cinématographique au mouvement architectural brutaliste, entièrement voué aux formes massives, anguleuses et au béton. Mais tout ceci devait être réalisé pour un budget très contraint d’à peine dix millions de dollars, ce qui n’est rien à l’échelle d’Hollywood. Afin de réduire au maximum les coûts, le film a été entièrement tourné en Europe, entre la Hongrie et l’Italie pendant un seul mois, ce qui tient du pur miracle lorsque l’on visionne le résultat final, très ample, malgré l’intimisme de la plupart des scènes.
Inspiré par les vies et œuvres des deux architectes Marcel Breuer (dont les décorateurs se sont inspirés pour la bibliothèque de Van Buren à l’aide de l’IA) et Ernő Goldfinger (à qui l’on doit un vaste complexe proche de celui construit par Adrien Brody dans le film), le scénario semble se lover dans le classicisme du biopic, mais pour s’attacher aux pas d’un personnage fictif, ici un architecte hongrois rescapé des camps de concentration nommé László Tóth.
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The Brutalist ou l’envers du rêve américain
Le réalisateur nous propose de suivre l’intégration difficile de ce rescapé de la Shoah au cœur du grand rêve américain vanté par la publicité de l’époque – dont on nous montre quelques archives. Bien entendu, le long métrage n’aura de cesse de contredire cette belle image d’Epinal faisant des Etats-Unis une terre d’accueil pour tous les ambitieux de la planète.
Rapidement confronté au racisme, à l’antisémitisme et à la défiance, y compris dans la communauté juive qui n’a d’yeux que pour l’Etat d’Israël nouvellement créé, l’architecte génial va devoir subir toutes les humiliations jusqu’à une scène marquante qui symbolise à elle toute seule la dégradation pure et simple de l’individu au contact avec l’affairisme américain.
L’artiste confronté aux puissances de l’argent
Effectivement, si László Tóth (admirable et très émouvant Adrien Brody) trouve en Van Buren (excellent Guy Pearce) un admirateur et un mécène, il en devient aussi l’obligé sur de nombreux points. Ici, Brady Corbet oppose de manière plutôt nuancée les désirs de l’artiste face aux exigences de celui qui le nourrit. Au-delà de cette histoire située dans les années 50, on peut aussi lire The Brutalist comme une métaphore du cinéaste désireux de créer une œuvre monumentale, mais obligé de pactiser avec les puissances de l’argent pour arriver à ses fins.
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En tout cas, The Brutalist prend son temps pour laisser vivre ses personnages, le cinéaste n’hésitant pas à multiplier les tunnels dialogués lors de longs plans séquences qui n’ont pourtant rien de virtuose, sauf peut-être lors d’une avant-dernière séquence où les changements d’axe s’avèrent audacieux. Autrement, The Brutalist n’est aucunement une œuvre démonstrative dans le sens où il y aurait une scène plus brillante que les autres. Ceux qui s’attendent donc à du cinéma époustouflant comme autrefois les œuvres de Francis Ford Coppola, Michael Cimino ou David Lynch peuvent aller se rhabiller. Brady Corbet filme correctement, mais sans esbroufe particulière, sauf lorsqu’il se laisse aller à la contemplation de certains espaces vides ou de certaines constructions architecturales.
Un film-monde ambitieux qui trébuche lors de sa séquence finale
De même, si la musique initiale fait preuve d’une certaine pompe – mais aussi d’une réelle efficacité – elle disparaitra lors du dernier quart d’heure pour laisser la place à une pop kitsch dont on se demande encore l’utilité si ce n’est pour mieux ancrer l’œuvre dans les années 80. Même si The Brutalist ne nous apparaît pas comme un chef d’œuvre absolu, le grand mérite de Brady Corbet est d’avoir conçu un film-monde dans lequel la durée est finalement essentielle. C’est parce que le long métrage dure plus de 3h30 qu’il laisse une empreinte durable dans l’esprit. Après une première partie qui passe très vite malgré l’absence de véritable enjeu dramatique, la seconde vient embrasser la matière du drame de manière plus conventionnelle, mais efficace.
Cependant, on ne pardonnera pas à Brady Corbet son épilogue vénitien situé dans les années 80. Ainsi, le cinéaste abandonne l’ambiguïté qui était le point fort de son œuvre pour se laisser aller à l’académisme parfait pour décrocher des Oscars : il nous livre non seulement une conclusion banale où l’on découvre un Adrien Brody affaibli par le grand âge, mais désormais célébré par ses pairs, tandis qu’un long discours explique son œuvre. Dès lors, ce qui n’était que sous-entendu devient explicite, retirant au film une partie de son mystère et donc de sa puissance. Après autant d’efforts pour se démarquer du tout-venant, échouer à dix minutes de la fin est tout de même déroutant.
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Une œuvre à découvrir en salles
Pour autant, The Brutalist doit impérativement être vu en salles car il est porté par des comédiens formidables (Felicity Jones est également convaincante en handicapée motrice à la volonté de fer), un discours nuancé sur le capitalisme et une description sans fard de la mentalité américaine. Même si le résultat est loin d’être parfait, The Brutalist est de loin le film le plus ambitieux venu d’Hollywood depuis bien des années.
Présenté avec succès à la Mostra de Venise 2024 où il a décroché le Prix du meilleur réalisateur, The Brutalist a également obtenu trois Golden Globes en 2025 (Meilleur film dramatique, Meilleure réalisation, Meilleur acteur dans un film dramatique) et quatre BAFTA en 2025 (Meilleur réalisateur, Meilleur acteur pour Adrien Brody, Meilleure photographie, Meilleure musique originale). Enfin, il est en lice pour les Oscars dans pas moins de 10 catégories.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 12 février 2025
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Biographies +
Brady Corbet, Guy Pearce, Stacy Martin, Adrien Brody, Isaach de Bankolé, Ariane Labed, Felicity Jones, Joe Alwyn, Raffey Cassidy
Mots clés
Cinéma américain, Les films les plus longs du cinéma, L’architecture au cinéma, La Shoah au cinéma, Festival de Venise 2024
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