Hitchcock réalise la synthèse parfaite de toute son œuvre avec Sueurs froides, film magnifique, beau comme un requiem et qui nous hante longtemps après la projection.
Synopsis : John Ferguson est un ex-flic qui souffre d’une peur obsessionnelle du vide. Un de ses anciens collègues lui demande de suivre sa femme qu’il dit suicidaire. Ferguson s’acquitte de sa tâche jusqu’au moment où son vertige l’empêche de sauver cette femme qui se suicide en se jetant dans le vide. Dès lors, l’ex-flic est obsédé par le souvenir de la défunte épouse.
Le chef d’œuvre le plus personnel d’Hitchcock
Critique : Alfred Hitchcock a toujours su alterner projets commerciaux et œuvres plus personnelles, sans que cela joue sur la qualité de l’un ou de l’autre. Il fut capable de tourner d’excellents thrillers efficaces comme L’inconnu du Nord-Express (1951), mais aussi de se consacrer à des sujets plus sérieux comme dans La loi du silence (1953) ou Le faux coupable (1957). Pourtant, c’est Sueurs froides (1958) qui peut être considéré comme la synthèse parfaite du travail du maître du suspense.
Partant d’une histoire classique de manipulation et de faux-semblants inspirée par un roman de Boileau-Narcejac, le cinéaste joue constamment avec le spectateur en ne lui donnant qu’un seul point de vue sur l’histoire racontée. Ce seul angle d’attaque n’est bien sûr pas suffisant, car, selon Hitchcock, la réalité est toujours bien plus complexe qu’elle ne semble de prime abord.
Une plongée stupéfiante au cœur d’une obsession
Son personnage principal, magnifiquement interprété par James Stewart, est aveuglé par ses obsessions, dont une terrible peur du vide et un amour morbide envers une défunte qui réapparaît de manière fantomatique comme dans les tragédies shakespeariennes. Certes, on peut regretter le choix de Kim Novak, actrice très limitée, dans le rôle féminin principal, mais le cinéaste est parvenu à en tirer le maximum, faisant de son personnage une icone (à laquelle Paul Verhoeven a rendu hommage dans Basic Instinct avec Sharon Stone).
Finalement, le mystère est résolu à la fin du film, mais l’auteur a réussi à troubler le spectateur qui préfère croire, comme le personnage principal, à une version plus fantastique de cette histoire finalement très rationnelle. Le cinéaste approfondit ici ses thèmes préférés sur la manipulation par les images, mais aussi sur l’amour sublimé et la femme idéalisée. Son personnage féminin est un être divisé en deux, atteint par une folie qui rappelle celle du Faux coupable (1957), de Psychose (1960) ou de Pas de printemps pour Marnie (1964).
Une réalisation virtuose pour un classique indémodable
Le tout est magnifiquement mis en scène, enrobé dans de superbes images de Robert Burks et magnifié par la musique vertigineuse de Bernard Herrmann. La virtuosité technique est telle qu’elle a profondément marqué toute une génération de cinéastes dont Brian De Palma qui a ensuite eu à cœur d’approfondir les thématiques seulement esquissées par le maître du suspense. On signalera également le brio du générique d’ouverture confié à Saul Bass qui a utilisé pour la première fois un ordinateur pour formaliser ses idées.
Sorti initialement aux États-Unis en 1958, Sueurs froides n’a pas connu le succès espéré. En France, le long-métrage a tout de même attiré 1 518 754 spectateurs à partir du mois de janvier 1959. Par la suite, le film a été bloqué durant trois décennies pour des problèmes de droits. Il est finalement ressorti dans les salles du monde entier en 1984, avec cette fois-ci un succès démentiel pour une œuvre aussi ancienne. En France, ils furent plus de 600 000 cinéphiles à faire le déplacement pour enfin profiter du parfum mortifère d’une œuvre fondamentale de l’histoire du septième art.
Si Sueurs froides (1958) est assurément le meilleur film d’Alfred Hitchcock, il est aussi indubitablement l’un des meilleurs films de l’histoire du cinéma, ce qui n’est pas peu dire.
Critique de Virgile Dumez
Box-office :
Très attendue en France, l’adaptation du roman des écrivains français Boileau et Narcejac a connu une belle conférence de presse, quinze jours avant la sortie du film dans un grand hôtel parisien. Hitchcock y était présent pour répondre aux questions des journalistes, avec son humour noir et sa technicité fédératrice. Il était chez nous en territoire conquis, avec son oeuvre la moins facile à vendre.
Fort de sa réputation, avec l’aval des romanciers qui avaient été satisfaits de l’adaptation, Sueurs froides connaît en première semaine une sortie au Paramount (plus tard devenu le Paramount Opéra ou Gaumont Opéra), qui est également le distributeur officiel. 35 096 fans du maître du suspense s’y presseront sur ce seul site. On n’oubliera pas de citer l’Elysées Cinéma et ses 11 040 tickets, et le Lord-Byron (VOSTF pour ces deux salles).
Parallèlement sortait Les rendez-vous du diable de Haroun Tazieff au Moulin Rouge, au Normandie et au Rex. Des salles d’importance.
Cinq jours plus tard, Sueurs froides affrontait Passeport pour la honte et surtout le classique de Terence Fisher, le premier film de Christopher Lee en Dracula, Le cauchemar de Dracula. Mythique. Celui-ci sera diffusé aux Vedettes et au Midi-Minuit.
Bide vertigineux aux USA, tour de force en France
Echec au box-office américain avec 3 200 000$ de recettes, contre 13 200 000$ et 32 000 000$ pour La mort aux trousses et Psychose qui allaient lui succéder, Vertigo s’en sortira très bien en France avec 1 518 754 entrées contre 1 465 640 entrées pour la première exclusivité de Psychose (La mort aux trousses avait fait un peu mieux, avec 1 892 759 entrées lors de sa sortie originale).
Le distributeur CIC reprendra quelques uns des classiques d’Hitchcock en 1984, trois ans après la mort du cinéaste britannique. Le succès sera foudroyant, avec Fenêtre sur cour qui approchera le million d’entrées, ce qui était phénoménal pour une reprise hors Disney en ce temps. Et Vertigo hypnotisera encore plus de 600 000 Français, dont la moitié sur Paris.
Le maître du suspense nous avait donné des sueurs froides au début de la décennie. Mais son âme était donc bel et bien en vie. Les cinéphiles pouvaient dormir en paix. Le monde d’avant n’était pas encore mort et, au vu des nombreuses ressorties à venir, et des éditions VHS, DVD et Blu-ray incessantes, il allait nourrir le mythe pendant encore de nombreuses années.
Box-office de Frédéric Mignard