Comédie sociale kitsch et trash, Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ! aborde des thèmes sordides avec un humour virulent qui séduit encore de nos jours. Carmen Maura et Verónica Forqué y brillent de mille feux.
Synopsis : Gloria est une maîtresse de maison qui n’a pas une minute à elle. Pour équilibrer son maigre budget, elle fait des ménages et quand elle rentre, elle doit s’occuper de toute la famille : mari, enfants, belle-mère et même des voisins. Pour réussir cette survie, Gloria prend des amphétamines. Aussi, quand la pharmacienne lui refuse sa dose, Gloria va exploser…
Quand Almodóvar aborde le genre du quinqui à sa façon!
Critique : Alors qu’il est déjà considéré comme une figure majeure de la Movida, le cinéaste Pedro Almodóvar continue à choquer la bonne société espagnole de l’époque de la transition démocratique avec des comédies sociales outrageusement cinglantes et vulgaires. Avec son quatrième film officiel intitulé Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ! (1984), Almodóvar entend rendre hommage au néoréalisme italien en se penchant sur un sujet purement sociétal, à savoir la vie en banlieue. Mais son film fait également écho aux triomphes remportés à cette époque par le cinéma quinqui.
Effectivement, dans Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça !, on retrouve le cadre de la banlieue madrilène avec ses barres d’immeubles situées en bordure de l’autoroute M30. Bien que traité sous l’angle de la comédie trash, le film propose également un portrait d’une jeunesse délaissée qui traine dans les rues et se lance dans le trafic de drogues – on pense ici au personnage incarné par l’adolescent Juan Martinez qui tomba par la suite dans l’enfer de la dépendance aux drogues dures, comme bon nombre des jeunes acteurs du genre. Enfin, le portrait de la société espagnole et des délaissés du système rejoint très fréquemment le genre du quinqui, même si le sujet passe à la lessiveuse Almodóvar.
De la provoc’… encore de la provoc’
Alors que le sujet évoque des thématiques très graves, le cinéaste livre ici une comédie trash dont il avait le secret à cette époque. Il multiplie les provocations en montrant de la nudité masculine frontale, mais aussi des gamins en train de se droguer, de la prostitution vécue comme un jeu et même une mère qui vend son gamin à un pédophile notoire. Malgré ce déchainement permanent qui pourrait éconduire le spectateur devant tant de noirceur, le réalisateur parvient à rendre ses personnages principaux attachants, notamment cette mère de famille courageuse incarnée avec talent par la grande Carmen Maura. Sa prestation permet de débuter la longue série de portraits féminins majeurs que le cinéaste a réalisé au cours de sa longue carrière.
Même si le film adopte un style choral qui peut d’ailleurs désarçonner par son manque apparent de structure, le personnage central reste bien celui de cette mère de famille qui doit tout gérer alors que son mari est incapable de ramener de l’argent à la maison, qu’elle doit supporter au quotidien une belle-mère qui perd la boule (excellente Chus Lampreave) et qui doit en même temps faire des ménages chez des gens extravagants. Tout ceci l’oblige à prendre des médicaments qui sont autant d’excitants et donc de drogues, tout comme son fils qui est parallèlement un dealer. Enfin, dans cette lutte au quotidien, la matrone peut compter sur l’aide de sa voisine de palier, une prostituée incarnée par l’excellente Verónica Forqué. Autant Carmen Maura joue la sobriété et le drame, autant sa voisine incarne le versant comique du long-métrage.
Almodóvar, déjà adepte du mélodrame
Toutefois, si Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ! se distingue du tout-venant de la production espagnole d’alors, cela vient du goût immodéré du réalisateur pour le mélodrame qu’il mêle sans cesse avec la comédie trash façon John Waters. Marqué par une esthétique outrageusement kitsch dans les décors et les maquillages, le long-métrage s’inscrit pleinement dans une constante du cinéma gay d’alors. Dès le début, le cinéaste propose en bande sonore une chanson de la star du cinéma nazi Zarah Leander qui est une icone dans la communauté LGBT pour ses rôles marquants dans des mélodrames flamboyants.
Almodóvar rend également hommage au cinéma américain classique à travers le film La fièvre dans le sang (Elia Kazan, 1961) que la grand-mère et son petit-fils vont voir au cinéma de manière assez anachronique. Il s’agit aussi d’un moyen pour rendre hommage aux grands mélodrames classiques de cette époque, dans le style de Douglas Sirk, un maître à filmer d’Almodóvar.
Le premier film d’Almodóvar à sortir en France
Ces références multiples – que cet article n’épuise aucunement – font de cette comédie très drôle, mais aussi malaisante, une œuvre plus ambitieuse que la moyenne. Le réalisateur commençait à montrer la volonté de dépasser le simple statut de cinéaste provocateur pour aller vers autre chose (mais qui reste encore à définir et à affiner en 1984).
C’est en tout cas avec Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ! que le réalisateur a connu son premier vrai succès à l’international. Présenté à l’époque dans de nombreux festivals, la comédie grinçante a été exploitée sur de nombreux territoires, faisant de cette production un succès en termes de vente internationale. Historiquement, la comédie est également une date importante puisqu’il s’agit du tout premier film du réalisateur madrilène à avoir été exploité sur le territoire français, bien avant la vague déclenchée par le succès de Femmes au bord de la crise de nerfs en 1989 avec ses 600 000 entrées providentielles pour une œuvre espagnole en pleine crise du cinéma.
Une comédie surtout exploitée en province, puis reprise plusieurs fois
A sa sortie parisienne le 3 juin 1987, Qu’est-ce que j’ai fait pour mériter ça ! ne déplace pas les foules car le métrage ne bénéficie pas d’une couverture suffisante dans la capitale. La comédie terminera ainsi sa carrière avec 3 275 entrées. La province fut plus généreuse, et notamment le Sud de la France où le film a été davantage distribué, semble-t-il depuis le mois d’avril 1986. Là, ils furent 86 361 privilégiés à venir découvrir le cinéma d’un tout jeune espoir qui allait devenir grand.
Depuis cette époque, le film a gagné ses galons de jalon important dans la carrière du cinéaste et a été ainsi édité plusieurs fois en DVD avant de disposer d’un blu-ray restauré en 2K, et désormais pourvu d’une copie splendide. Le long-métrage a également eu le droit à deux reprises en salles. D’abord en 1996 par le distributeur Ciné Horizon pour profiter de l’énorme popularité du cinéaste après le triomphe de Talons aiguilles en 1992 (1,4 millions d’entrées tout de même), puis en 2019 par Tamasa Distribution au même titre que plusieurs films rares du cinéaste lors d’une grande rétrospective de son œuvre.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 3 juin 1987
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Biographies +
Emilio Gutierrez Caba, Pedro Almodóvar, Cecilia Roth, Carmen Maura, Chus Lampreave, Verónica Forqué, Luis Hostalot, Ángel de Andrés López, Juan Martínez
Mots clés
Cinéma quinqui, Comédies trash, La banlieue au cinéma, La drogue au cinéma, La prostitution au cinéma, Cinéma LGBT