Network est un classique du cinéma engagé des années 70, au casting magistral.
Synopsis : Howard Beale est présentateur du journal télévisé sur UBS depuis quinze ans. Devant une forte baisse d’audience, et malgré les protestations du responsable de l’information Max Schumacher, la chaîne décide de se passer de ses services. Désespéré, Howard Beale annonce son suicide en direct à la télévision. Dès lors, sa cote de popularité explose et Diana Christensen, responsable de la programmation, lui donne carte blanche pour animer sa propre émission…
La critique : On ne voit pas beaucoup le ciel dans Network et ce n’est sans doute pas par hasard, puisque le film décrit un monde clos, replié sur lui-même, celui d’une fabrication de journaux télévisés gangrenés par la course à l’audimat. Du côté des « vieux », il y a Max, l’excellent William Holden, attaché à l’information traditionnelle, honnête et évidemment licencié. De l’autre, ceux qui n’ont plus d’idéaux et ne raisonnent qu’en chiffres, la belle Diana, qui fait l’amour en parlant d’audiences. Si les deux vivent une romance compliquée, leur rencontre tourne autour de Beale, un présentateur dont des visions célestes relancent la carrière et qui se transforme en gourou. De ce micmac complexe et bavard, Lumet tire un film dense, peut-être un peu trop long, mais dont l’intégrité dans la dénonciation ne fait aucun doute, et cette dénonciation tire à boulets rouges non seulement sur la télévision et son emprise absurde, mais encore sur une société déshumanisée ou le règne de l’argent. Vaste programme, dira-t-on, et de fait le film se perd parfois dans ses enjeux narratifs ou des tirades trop explicites. Il est bien meilleur quand le cinéaste croit en son image et qu’il orchestre un jeu de regards pendant une conférence de presse ou fait par un éclairage subtil d’un dirigeant, Jensen, le prophète d’une religion capitalistique.
Reste que ce métrage met à nu le fonctionnement d’un système cynique prêt à tout pour gagner de l’argent, récupérant terrorisme et folie sans scrupules, programmant un assassinat pour résoudre une crise. Comme le dit Jensen, il n’y a plus de peuples, plus de nations, rien qu’« un seul et unique système holistique », un « corps de sociétés » où le profit est roi. On pourra sourire de la naïveté d’un propos qui ne fait pas dans la dentelle, et qui n’est jamais loin du manichéisme. Mais quelle vigueur, quelle force ! Le coup de poing atteint son but, sans ménager dans cette asphyxiante satire le moindre personnage : tous des fous, des obsédés, des brutes vulgaires malgré leurs costumes soignés. Même Max, vieux routier nostalgique d’une époque plus honnête (voir les belles scènes avec Beale), met un doigt dans l’engrenage et, du côté personnel, cède à la tentation de tromper sa femme. Au fond, Network décrit une société privée de sens qui ne fonctionne plus qu’en sacrifiant l’essentiel au superflu. Aussi est-il facile de manipuler un public prêt à gober des discours messianiques, à crier sa colère parce qu’on le lui demande, colère aussi vite récupérée par le média.
Plus subtilement peut-être, le film constate le vaste storytelling qu’est devenue la vie : Max envisage ainsi sa liaison avec Diana comme les épisodes d’un feuilleton prévisible.
Network n’est pas exempt de défauts : les tunnels dialogués ne sont pas toujours palpitants et la charge manque parfois de nuances. Mais tel quel, avec son bouillonnement, son énergie, il reste représentatifs de ces films politiques des années 70, engagés dans une foi impressionnante, et tenu par des interprètes remarquables. Lumet n’est certes pas un styliste, mais il filme avec un classicisme de bon aloi et dirige à la perfection des acteurs majeurs : Faye Dunaway est magistrale, Peter Finch royal en loser halluciné et le reste de la distribution ne cesse de fasciner.
Les sorties de la semaine du 16 mars 1977
LE TEST VIDEO
Le Coffret Ultra Collector : comme les autres coffrets de la collection, celui-ci est somptueux, écrin rêvé pour faire découvrir un film puissant et enragé. Sortie en Coffret Ultra Collector Blu-ray + DVD + livre le 17 avril 2019, également disponible en éditions single Blu-ray et DVD
Les suppléments : 5/5
Sur un DVD propre ou sur le Blu-ray figure un long entretien avec Sidney Lumet (1h45mn), entrecoupé de nombreux extraits de films, qu’ils soient célèbres ou au contraire très peu connus (ses téléfilms en particulier). Le commentaire du cinéaste s’attache davantage à ses opinions et ses conceptions qu’à sa vie privée, dont on ne saura, et c’est tant mieux, pas grand-chose ; rapprochements fructueux et confidences feutrées permettent de découvrir un homme guidé par des exigences et des choix qui forcent le respect. Même si on n’est pas un admirateur forcené de toute son œuvre, il en dégage une cohérence morale, quasi philosophique, qui ne peut que séduire, et qui s’appuie peut-être sur un événement traumatique qu’il raconte en deux fois.
Le coffret est par ailleurs constitué d’un livre (un vrai livre de 200 pages) centré sur le scénariste Paddy Chayefsky, depuis ses débuts jusqu’à sa mort. L’essentiel de cet ouvrage est consacré à Network, sa genèse, son tournage, sa réception, avec une minutie tout anglo-saxonne et dont on imagine qu’elle a dû coûter à son auteur, Dave Itzkoff, un temps de recherche inouï. On n’est jamais dans l’à peu près, jamais dans l’allusion : tout est circonstancié par d’innombrables sources. C’est à la fois la force et la limite de Fou de rage : la somme d’informations évacue toute opinion personnelle, mais aussi toute passion. Certes, le dernier chapitre évoque timidement la vision prophétique du film, mais pour le reste, ce livre archi-complet en reste à l’accumulation factuelle.
L’image : 4/5
Pas de parasites, des couleurs soyeuses, on ne voit pas de défauts à cette restauration : même le « grain cinéma » est aussi présent que discret.
Le son : 3/5
On préfère largement la VO qui, malgré un léger manque de punch, conserve les nuances infinies des nombreux dialogues ; le doublage, pour honnête qu’il soit, ne peut rivaliser avec la voix grave de William Holden.
Critique et test vidéo : François Bonini
Les Artistes Associés / Carlotta Films