Faux film de gangsters, mais vrai film d’amour, Maison de bambou sublime un scénario passable par la justesse de son point de vue sur une situation géopolitique complexe et ses personnages ambigus. Un petit classique du genre.
Synopsis : Au Japon, au pied du Mont Fuji, un homme est tué lors de l’attaque d’un train de munitions dans la banlieue de Tokyo. Eddie Spanier, un américain fraîchement débarqué, décide de mener sa propre enquête en essayant de survivre, tant bien que mal, dans les bas-fonds de la ville…
Une nouvelle version d’un film de 1948
Critique : En 1954, le réalisateur Samuel Fuller tourne pour Darryl F. Zanuck le film d’aventures Le démon des eaux troubles avec Richard Widmark en vedette. Après cette expérience plutôt concluante, Fuller cherche toutefois à s’individualiser et à monter par ses propres moyens un film de gangsters qui se situerait en Angleterre. Malheureusement, ce projet tombe à l’eau et Samuel Fuller accepte une nouvelle proposition de Zanuck. Il s’agit de tourner une nouvelle version de La dernière rafale (Keighley, 1948) qui serait cette fois-ci située au Japon.
Pas nécessairement enthousiasmé par le script original d’Harry Kleiner, mais passionné par l’Orient, Samuel Fuller accepte la proposition de Zanuck avec pour objectif de tourner librement au Japon ce qui deviendra Maison de bambou. En réalité, Samuel Fuller ne reprend qu’une partie de l’intrigue originale et insère à l’intérieur des éléments prévus initialement pour son projet britannique tombé à l’eau faute de financement. De même, alors qu’il songe à Gary Cooper pour incarner le rôle principal, Samuel Fuller opte finalement pour le jeune débutant Robert Stack afin que celui-ci puisse être filmé au milieu de la foule japonaise sans être reconnu.
Un tournage américain au Japon
Effectivement, l’un des buts de Fuller, bien avant les expérimentations menées par la Nouvelle Vague française, est de tourner en décors naturels, au milieu de la foule et donc avec un minimum d’artifices. Bien entendu, les intérieurs, eux, sont majoritairement filmés en studio, mais Samuel Fuller se débrouille pour tourner au maximum en extérieur, magnifiant les décors et paysages naturels japonais. C’est d’ailleurs cette forme de naturalisme proche du documentaire qui apporte une plus-value artistique considérable à cette Maison de bambou qui, autrement, perdrait beaucoup de son charme.
On y découvre ainsi un Japon encore occupé par l’armée américaine, coincé entre une volonté de modernisation bien visible et certaines traditions restées chevillées au corps d’un pays vaincu. Au passage, Samuel Fuller ne prend guère de gants avec ses compatriotes puisqu’il décrit ici l’intrusion du gangstérisme américain en plein cœur d’un pays en pleine reconstruction. Le vainqueur apporte sans doute les bienfaits d’un capitalisme qui va mener le pays à une croissance économique folle, mais dans le même temps exporte aussi ses éléments les plus nocifs, bien décidés à profiter de la manne que représente l’occupation des lieux.
Fuller détourne les codes du genre de manière subversive
Si l’intrigue à proprement parler ne semble pas avoir beaucoup intéressé le cinéaste – cela lambine quand même pas mal à ce niveau – Maison de bambou ne doit pas être vu comme un simple film commercial. Il s’agit en fait d’une tentative de détournement de la part d’un réalisateur toujours frondeur. Ainsi, à travers cette histoire basique, Fuller cherche avant tout à faire passer des idées subversives. Il a lui-même décrit la relation entre Robert Ryan, Cameron Mitchell et Robert Stack comme un triangle amoureux homosexuel. Bien entendu, cela n’est que sous-entendu, mais cette amitié virile plutôt étonnante n’est compréhensible que si on lui ajoute une dimension sexuelle.
Autre subversion, Fuller met en scène un couple hétérosexuel, mais surtout interracial entre Robert Stack et Shirley Yamaguchi. Cette idylle condamnée par la bonne société japonaise est ici valorisée et le happy end vient confirmer la volonté d’ouverture d’un réalisateur qui croyait au brassage des cultures. Cette romance n’était pas si évidente à faire avaler au public international de l’époque. Enfin, la description de l’action des Américains au Japon est loin d’être mise sur un piédestal, d’autant que le personnage principal incarné par Robert Stack est finalement un traître pour ses compagnons, car en mission d’infiltration. Il se joue donc des sentiments des autres pour parvenir à ses fins.
Une exploitation française complexe
Tout ceci est réalisé avec un soin maniaque pour les cadrages – superbe usage du CinemaScope et de la couleur par Joseph MacDonald – mais aussi pour les mouvements d’appareil, tous gracieux et fluides. Fort d’un final spectaculaire sur un manège situé en haut d’une tour, Maison de bambou s’avère donc être un très bon film de gangsters, doublé d’une réflexion pertinente sur l’ambiguïté des relations humaines.
Sorti aux Etats-Unis au mois de juillet 1955, Maison de bambou a connu un petit succès d’estime. Il a davantage convaincu par ses recettes internationales, et notamment par son joli succès français au cours du mois de février 1956 essentiellement concentré à Paris. Toutefois, le long-métrage a surtout bénéficié d’une nouvelle sortie cinéma au cours de l’année 1966 par le distributeur Jacques Leitienne. Sous le titre plus commercial d’Opération Tokio, le film a été vendu pour le public provincial sur le nom de Robert Stack, devenu entre-temps une vedette du petit écran avec la série Les incorruptibles qui triomphe en France depuis 1964. C’est d’ailleurs cette seconde exploitation qui a permis au film d’engranger les plus belles recettes.
Le long-métrage – retitré La maison de bambou en DVD – demeure l’un des plus connus du réalisateur de nos jours. Il bénéficie d’une édition DVD avec une copie impeccable et une intervention passionnante de François Guérif, grand spécialiste de l’œuvre de Fuller.
Critique de Virgile Dumez