Maigret voit rouge est une bien piètre conclusion de la saga interprétée par Jean Gabin d’après l’œuvre de Simenon. L’intrigue n’est guère enthousiasmante quand la réalisation, elle, est carrément au point mort.
Synopsis : Trois hommes à bord d’une Chevrolet tirent sur un Américain en plein Pigalle. Lorsqu’un témoin s’approche pour secourir la victime, celle-ci a disparu, emportée par une mystérieuse DS blanche. Le commissaire Maigret se rend d’abord à l’ambassade des Etats-Unis où un diplomate lui conseille de ne pas s’occuper de l’affaire. Il n’en faut pas plus pour que Maigret voit rouge.
Un troisième épisode tourné cette fois par Gilles Grangier
Critique : A la fin des années 50, Jean Gabin est redevenu une valeur sûre du cinéma français lorsqu’il endosse pour la première fois les habits du commissaire Maigret dans Maigret tend un piège (Delannoy, 1957). Le film, d’une excellente tenue, l’oppose à Jean Desailly au cœur d’une intrigue qui a passionné plus de 3 millions de spectateurs lors de sa sortie. De quoi initier une série poursuivie avec Maigret et l’affaire Saint-Fiacre (Delannoy, 1959) qui a réalisé un score à peine moins convaincant.
Après une petite pause, Jean Gabin retrouve ce personnage populaire dans Maigret voit rouge, tourné en 1963. Cette fois pourtant, l’acteur est dirigé par son complice Gilles Grangier, cinéaste malléable que Gabin peut aisément dominer. Du coup, la prise de risque n’entre plus dans le logiciel des deux artistes qui se contentent trop souvent du minimum syndical. Ici, Gilles Grangier livre une réalisation atone qui se hisse à peine au niveau d’un téléfilm du samedi soir, tandis que Jean Gabin ne force pas son talent. La star ne prend même pas la peine de s’inspirer du personnage créé par George Simenon et se contente donc de transposer son personnage traditionnel de vieux briscard dans l’univers de l’écrivain.
La confrontation entre gangsters américains de pacotille et policiers français tient de la blague
On peut d’ailleurs se demander pourquoi les différents intervenants ont jeté leur dévolu sur le roman Maigret, Lognon et les Gangsters, publié en 1952. Loin d’être passionnante, l’intrigue de ce roman de série ne propose même pas une enquête classique, mais préfère plonger Maigret dans une histoire de gangsters américains échappés à Paris. Les producteurs y ont sans doute vu un moyen de moderniser quelque peu le personnage en le confrontant à un monde plus violent que d’ordinaire. Malheureusement, le traitement réservé par Grangier au grand banditisme tient davantage du cliché qu’autre chose. On a du mal à craindre les interventions de ces gangsters menés par Michel Constantin – doublé en anglais pour l’occasion.
Face à eux, Gabin n’est absolument pas crédible en commissaire qui en impose sans avoir recours à la violence. On a bien du mal à imaginer ces jeunes loups aux dents longues trembler devant un vieux bonhomme dont la seule arme est verbale. Signalons d’ailleurs l’absence notable de Michel Audiard sur ce troisième et dernier opus de la saga. Certes, le dialoguiste Jacques Robert tente à plusieurs reprises d’imiter la gouaille du maître, mais il ne fait mouche qu’à quelques reprises sans convaincre tout à fait.
La plupart des acteurs sauvent tant bien que mal les meubles
Finalement, il ne reste pas grand-chose sur quoi s’appuyer si ce n’est la qualité générale de l’interprétation. Françoise Fabian s’impose en seulement quelques scènes, Guy Decomble fait un Lognon plutôt sympathique, tandis que Marcel Bozzuffi, Jacques Dynam, Paul Frankeur et l’Italien Vittorio Sanipoli animent avec talent leurs scènes. C’est parfois insuffisant pour rendre la projection intéressante. Effectivement, Maigret voit rouge représente à lui tout seul le fameux cinéma de papa que les jeunes loups de la Nouvelle Vague ont dénoncé avec tant de vigueur.
Ennuyeux malgré sa courte durée, Maigret voit rouge constitue donc une conclusion peu satisfaisante d’une saga qui avait pourtant bien commencé. Avec à peine plus de 2 millions de spectateurs dans les salles, ce troisième épisode a déçu les attentes de ses producteurs, ce qui a enterré pour de bon la franchise. Hormis quelques coproductions oubliables, le fameux commissaire allait désormais connaître une deuxième vie à la télévision, d’abord par la série menée par Jacques Richard (88 épisodes tournés entre 1967 et 1990), puis celle interprétée par Bruno Cremer (54 épisodes tournés de 1991 à 2005).
Critique de Virgile Dumez