Lingui, les liens sacrés est une dénonciation sans concessions de la condition féminine au Tchad qui mérite le respect, même si elle n’échappe pas au manichéisme et souffre de maladresses d’écriture.
Synopsis : Dans les faubourgs de N’djaména au Tchad, Amina vit seule avec Maria, sa fille unique de quinze ans. Son monde déjà fragile s’écroule le jour où elle découvre que sa fille est enceinte. Cette grossesse, l’adolescente n’en veut pas. Dans un pays où l’avortement est non seulement condamné par la religion, mais aussi par la loi, Amina se retrouve face à un combat qui semble perdu d’avance…
Le cinéma épuré de Mahamat-Saleh Haroun
Critique : Mahamat-Saleh Haroun avait donné le meilleur de lui-même avec Un homme qui crie (Prix du Jury Cannes 2010), qui relatait avec épure et concision la déchéance d’un salarié de l’hôtellerie de luxe. Le film était notamment porté par l’interprétation de Youssouf Djaoro, qui joue ici le rôle du voisin en apparence bienveillant de d’Amina et Maria. Comme ses autres films, d’Abouna, notre père (2002) à Grigris (2013), en passant par Daratt (2006), Lingui, les liens sacrés frappe par sa concision et sa sobriété, amplifiées par les unités de lieu, de temps et d’action. Tourné dans les faubourgs de N’djaména avec une économie de moyens inhérente au productions africaines, le film ne mise pas sur la carte de l’exotisme ou de l’imitation des standards occidentaux, encore que la démarche du cinéaste, qui avait suivi les cours du Conservatoire Libre du Cinéma Français, est fortement imprégnée de l’esprit du cinéma d’auteur européen, du néoréalisme italien à l’œuvre des frères Dardenne.
La caméra suit en effet Amina dans sa volonté de satisfaire le besoin d’avortement de sa fille. Les différentes rencontres que la jeune femme va alors faire évoquent la faune locale côtoyée par Lamberto Maggiorani dans Le voleur de bicyclette (1948) de Vittorio De Sica, ou de Marion Cotillard dans Deux jours, une nuit (2014) des Dardenne. La recherche d’un vélo volé ou la quête d’heures de travail font ici place à l’objectif de concrétiser rapidement une interruption volontaire de grossesse, sachant que cette pratique est illégale au Tchad.
#MeToo revisité à la tchadienne
Médecin intransigeant sur la loi mais proposant malgré tout une opération clandestine moyennant un million de francs CFA, faiseuse d’anges pratiquant également des accouchements ou des fausses excisions, ex-sage-femme arrondissant les fins de mois : tels seront les interlocuteurs de la mère angoissée. Amina croise aussi sur sa route les tenants de l’ordre moral, de l’imam intrusif et donneur de leçons, à la proviseure veillant à la respectabilité de son établissement. Le métrage de Mahamat-Saleh Haroun mérite le respect pour son courage de dénoncer le patriarcat dans son pays. L’œuvre est aussi un document instructif et une réflexion d’actualité sur l’émancipation des adolescentes, et les solidarités féminines déployées dans un contexte de domination masculine.
Lingui, les liens sacrés, œuvre de promesse pour son auteur
Pour autant, Lingui, les liens sacrés ne convainc pas totalement. Sur un sujet proche (le scandale de l’excision forcée), le grand réalisateur Ousmane Sembène avait tiré un drame (Moolaadé, Un Certain Regard 2004) aux qualités cinématographiques supérieures. Le scénario de Lingui n’évite pas les stéréotypes (même si ceux-ci sont souvent réels). Le manichéisme dans la description des personnages, des maladresses de dialogues et des situations improbables (la réconciliation expresse entre Amina et sa sœur, qui l’avait rejetée) nuisent à un film qui aurait nécessité davantage de profondeur et de rigueur. Nous sommes certains que Mahamat-Saleh Haroun, réalisateur intransigeant et talentueux, mérite mieux que d’être associé à un cinéma seulement consensuel et politiquement correct.
Critique de Gérard Crespo