Premier grand film gothique italien de l’après-guerre, Les vampires bénéficie de décors superbes et d’une photographie magnifique du grand Mario Bava. Un petit classique du genre et une date dans le genre.
Synopsis : Paris, 1956. Le cadavre d’une jeune femme est retrouvé dans la Seine. Peu de temps après, une comédienne est enlevée dans sa loge. Parallèlement à la police, un jeune journaliste, Pierre Lantin, mène l’enquête sur le mystérieux tueur en série, appelé “le Vampire”. Mais son travail est constamment interrompu par les avances répétées de la belle et riche Gisèle, nièce de la duchesse du Grand…
Le premier film d’horreur italien d’après-guerre
Critique : Lorsqu’il débute le tournage des Vampires (1957), le réalisateur Riccardo Freda est surtout réputé pour ses films de cape et d’épée virevoltants et pour quelques péplums qui ont réactivé l’intérêt du public européen pour ces spectacles. Pourtant, il amorce déjà une mue artistique avec son excellent Le château des amants maudits (1956) qui, s’il n’est pas à proprement parler un film d’horreur, possède bon nombre de caractéristiques gothiques et morbides qui annoncent déjà Les vampires. Effectivement, si aujourd’hui la création par les Italiens d’un film horrifique paraît aller de soi, ce n’était pas du tout le cas en 1957 où la prise de risques était maximale. Ainsi, aucun film d’épouvante n’a été tourné en Italie depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit donc d’une plongée dans l’inconnu pour toute l’équipe.
Afin de limiter les coûts, les producteurs de la firme Titanus ont réduit le tournage à douze petits jours, ce qui a obligé toute l’équipe à se surpasser. Confiée à l’excellent Mario Bava, la photographie en noir et blanc contribue largement à instaurer une ambiance angoissante et à rendre les décors plus impressionnants. Toutefois, au bout de dix jours, Riccardo Freda a demandé une rallonge de quelques jours aux producteurs qui n’ont pas accédé à sa requête. Afin de protester, Freda a choisi d’abandonner le tournage et les deux derniers jours ont donc permis à Mario Bava d’officier en tant que réalisateur, tout en modifiant de manière substantielle le script afin de faire coïncider l’intrigue avec les possibilités offertes par les producteurs. Ainsi, quelques personnages ont été sacrifiés et remplacés par d’autres en un temps record.
Freda et Bava réactivent la mode du cinéma gothique
Malgré cette conception chahutée, Les vampires peut désormais être considéré comme une belle réussite de la part de ses auteurs. Non seulement le métrage est maîtrisé, mais il constitue surtout une date fondamentale dans l’histoire du cinéma horrifique européen. Contrairement à une idée souvent reçue, le cinéma italien n’a pas copié la recette de la Hammer britannique, puisque Les vampires a été tourné avant le succès des films gothiques britanniques.
D’ailleurs, si référence il y a, il faut plutôt aller la chercher du côté du cinéma horrifique des années 30 et notamment des films Universal. Riccardo Freda et Mario Bava sont donc bien les deux artisans du retour du gothique au cours de la décennie suivante. Mieux, Les vampires a non seulement influencé le cinéma britannique, mais également le cinéma français avec Les yeux sans visage (Franju, 1960), et par extension celui de Jesús Franco avec L’horrible Docteur Orlof (1962).
La comtesse Báthory au cœur du récit
Malgré son titre très évocateur, ce premier essai gothique ne propose aucune canine ensanglantée à l’horizon puisque l’intrigue reprend en réalité l’histoire de la comtesse hongroise Báthory (contée maintes et maintes fois depuis, notamment par Julie Delpy dans l’excellent La comtesse en 2009). La principale différence vient de la localisation géographique et temporelle puisque le film est situé à Paris à l’époque contemporaine. Si quelques plans ont bien été volés à Paris, l’ensemble du tournage a eu lieu à Rome dans les studios de la Titanus. L’illusion est plutôt bien entretenue par la magie des superbes décors de Beni Montresor. On adore notamment l’intérieur du château de la duchesse à la statuaire gothique du plus bel effet. Le tout est évidemment sublimé par les éclairages expressionnistes de Mario Bava, tandis que les effets spéciaux, pourtant rudimentaires, assurent le spectacle.
Certes, l’histoire est assez basique et les conclusions de l’enquête ne nous étonnent plus de nos jours car cette histoire a été largement galvaudée depuis. Toutefois, sachons reconnaître la parfaite conduite du récit par des auteurs qui ont l’art de la concision, évitant au spectateur contemporain de s’ennuyer.
Un petit classique qui a connu une certaine popularité à sa sortie
Enfin, signalons le jeu toujours impérial de la grande Gianna Maria Canale, par ailleurs épouse et muse de Riccardo Freda, qui perpétue la tradition des grandes divas de l’écran. Son charisme est pour beaucoup dans la puissance des scènes finales. Face à elle, l’Argentin Dario Michaelis fait un héros un peu fade, mais c’est souvent le cas dans ce type de film. On préfère certains seconds rôles tenus par des pointures comme Paul Muller (étonnant en cocaïnomane) ou encore Antoine Balpêtré. Bien rythmé, concis et d’un esthétisme raffiné, Les vampires peut donc être considéré comme un petit classique du genre, par-delà son aspect inoffensif pour le spectateur contemporain, habitué à des frissons d’une autre teneur.
A sa sortie, le film rencontre un certain succès qui va permettre à Riccardo Freda de tourner d’autres films majeurs dans le genre (on pense notamment au diptyque L’Effroyable Secret du docteur Hichcock et Le Spectre du professeur Hichcock, au début des années 60). En France, le long-métrage est tout d’abord sorti en province, notamment à Lyon au mois d’octobre 1957. Puis, il a circulé dans la région de Marseille à partir du mois de novembre 1957, avant de sortir à Paris au mois de janvier 1958. Si la capitale lui a permis de glaner 33 426 spectateurs dans les salles, la province fut plus réceptive avec un total de 290 349 tickets déchirés selon les chiffres du CNC.
Après avoir été édité au cours des années 2000 par Carlotta, le film est annoncé par l’éditeur Sidonis Calysta pour le mois de mai 2022 dans un superbe Mediabook comprenant le DVD et le blu-ray du métrage, ainsi qu’un livret central.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 8 janvier 1958
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Riccardo Freda, Mario Bava, Paul Muller, Gianna Maria Canale, Wandisa Guida, Antoine Balpêtré, Dario Michaelis, Carlo D’Angelo