Témoignage glaçant, Les dix derniers jours d’Hitler constitue un huis-clos étouffant mené par un Alec Guinness impressionnant en Adolf Hitler. Pour ceux qui ont aimé La chute, ce film mérite le détour par sa justesse sur le plan historique.
Synopsis : Le 20 avril 1945, Adolf Hitler fête ses 56 ans. Il suit le développement de la débâcle depuis son bunker, et finit par songer au suicide.
Des mémoires retranscrites fidèlement à l’écran
Critique : Témoin présent au cœur du bunker d’Adolf Hitler durant les derniers jours du dictateur, l’officier Gerhardt Boldt est l’un des rares survivants de cette période de la fin du Troisième Reich. Il a notamment publié le récit des dix derniers jours d’Hitler dans son livre témoignage Hitler’s Last Days: An Eye-Witness Account paru en 1973. Le livre a immédiatement fait l’objet d’une adaptation pour le grand écran lié à la volonté du producteur allemand Wolfgang Reinhardt – le fils du grand Max Reinhardt – de diffuser les révélations du bouquin.
Producteur influent ayant travaillé aux Etats-Unis et dans le reste de l’Europe, Wolfgang Reinhardt parvient à réunir des financements américains, anglais et italiens pour initier la production de ce qui va devenir Les dix derniers jours d’Hitler (1973). Pour l’occasion, il embauche le scénariste italien oscarisé Ennio De Concini pour réaliser le film, tandis qu’il obtient la collaboration très précieuse de l’acteur britannique Alec Guinness qui rêvait depuis toujours d’incarner le Führer à l’écran. Celui-ci a tout fait pour convaincre les producteurs et le réalisateur qu’il était un choix incontournable, envoyant notamment des photographies de lui grimé en Hitler.
Les dix derniers jours d’Hitler anticipe La Chute de trente ans
Le but d’Ennio De Concini – qui a débuté sa carrière au temps du néoréalisme italien – était de livrer une œuvre la plus fidèle possible à la réalité historique. Cette démarche particulièrement sobre – en gros, on ne sort que rarement du bunker hitlérien, reconstitué dans les studios de Shepperton – correspond parfaitement au budget plutôt limité de la production. Afin de faire ressentir le poids de la guerre, le cinéaste a eu recours à un nombre conséquent d’images d’archives qui viennent corroborer ou infirmer les discours du Führer auprès de son entourage proche. Ce jeu permanent entre images d’époque et film de fiction rend Les dix derniers jours d’Hitler proche du docu-fiction. Mais si le cinéma en tant que spectacle sort assurément perdant, le cinéphile féru d’histoire y verra une occasion de s’immerger dans une période particulièrement sombre de l’histoire européenne et mondiale.
En fait, Les dix derniers jours d’Hitler est à peu de choses près le même film que La chute (Oliver Hirschbiegel, 2004), véritable bijou du cinéma allemand contemporain. Toutefois, la réalisation d’Ennio De Concini est moins satisfaisante par sa tendance à demeurer au niveau du simple téléfilm. La faute en revient sans aucun doute aux moyens très limités mis à sa disposition, mais aussi au fait que le cinéaste est resté avant toute chose un scénariste et qu’il lui manque une vision d’auteur pour sublimer le matériau d’origine.
Alec Guinness ne joue pas Hitler, il est Hitler!
Cependant, il profite pleinement du génie de son acteur principal puisque sir Alec Guinness compose un Hitler absolument fascinant. Certes, nos connaissances actuelles viennent un peu contredire la vision du début des années 70 et son Adolf semble un peu trop en bonne santé par rapport à la réalité, mais on ne peut en vouloir aux artistes qui se sont référés aux connaissances disponibles à l’époque. On ne sait que depuis quelques années qu’Adolf Hitler était sans aucun doute atteint de la maladie de Parkinson et qu’il était totalement drogué par les médicaments dispensés par son médecin personnel. Cela n’apparaît donc aucunement dans ce film datant de 1973.
Pour autant, le portrait effectué par Ennio De Concini et Alec Guinness n’en demeure pas moins juste dans ses grandes lignes. Ainsi, ils ont osé montrer un Hitler plutôt sympathique avec son entourage proche (ce qui a été attesté depuis), ce qui ne retire rien à la monstruosité du personnage lorsqu’il envisage d’envoyer à la mort des milliers de personnes sans broncher ou qu’il passe des heures à hurler sur ses généraux.
Un portrait d’Hitler qui n’a pas fait l’unanimité, mais qui est désormais validé par les historiens
Au moment de la sortie du film, certaines voix ont clamé que le long-métrage faisait un portrait trop séduisant du dictateur. Pourtant, on ne pourrait pas comprendre l’engouement de tout un peuple pour un homme qui n’aurait été qu’un monstre en permanence. Les témoignages se sont ensuite multipliés indiquant une réelle capacité de séduction de la part de cet être insaisissable et qui a fasciné des générations entières, souvent pour le pire. A revoir de nos jours, Les dix derniers jours d’Hitler semble avoir fait l’objet d’un procès d’intention particulièrement injuste puisque sa vision de l’homme Hitler correspond à ce qui est massivement reconnu par les historiens actuels.
Comme le futur La chute (2004), la grande force du long-métrage est d’avoir réussi à créer un huis-clos historique intense et qui plonge au cœur de la folie destructrice d’un homme incapable d’assouvir sa soif de puissance et de domination. En cela, l’interprétation fiévreuse d’Alec Guinness est époustouflante et l’on oublie fréquemment l’acteur pour ne plus voir que le Führer. Le comédien britannique est entouré par une pléiade d’acteurs chevronnés dont on retiendra surtout le regard étrange de Simon Ward, la moue boudeuse de Doris Kunstmann en Eva Braun, mais aussi d’Adolfo Celi ou encore de John Bennett et de Barbara Jefford dans le rôle du couple Goebbels.
Un film rare, injustement oublié
Souvent dépourvu de musique, Les dix derniers jours d’Hitler déploie son ambiance de fin de règne avec un certain talent et demeure donc aujourd’hui encore un excellent film historique, uniquement desservi par une réalisation trop anodine, plus proche du documentaire que du film de cinéma, ainsi que par l’usage de la langue anglaise, alors que le film est situé au cœur de l’Allemagne. Sorti avec un certain succès aux Etats-Unis – dans un circuit limité toutefois – Les dix derniers jours d’Hitler a eu le droit à une sortie française à la fin du mois de mai 1973.
Le long-métrage sort une semaine chargée en nouveautés et déboule uniquement à la quinzième place du box-office parisien avec 17 098 historiens. La semaine suivante voit une perte sèche d’environ 50 % de ses entrées pour se situer à un total de 26 625 germanistes dans les salles parisiennes. Peu diffusé en province, Les dix derniers jours d’Hitler finira sa carrière française à 90 242 férus d’histoire. Par la suite, le long-métrage semble avoir été largement oublié des éditeurs vidéo puisqu’aucune VHS et pas plus de DVD ou de blu-ray n’existe sur notre territoire. Même la sortie de La chute en 2004 ne semble pas avoir suscité l’envie de ressortir du placard ce long-métrage intéressant au thème similaire.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 mai 1973
Voir le film en VOD
Biographies +
Ennio De Concini, Simon Ward, Alec Guinness, Adolfo Celi, Gabriele Ferzetti, Barbara Jefford, Kenneth Colley, Julian Glover, Diane Cilento, Doris Kunstmann
Mots clés
Biopic, Les nazis au cinéma, La Seconde Guerre mondiale au cinéma