Pur film d’exploitation, Les contrebandiers de Santa Lucia est réalisé à l’arrache par un Alfonso Brescia peu scrupuleux. Toutefois, l’aspect documentaire et les dérapages bis font de la projection un bon moment pour les amateurs de bis.
Synopsis : Le capitaine Ivano Radevic enquête sur un trafic international d’héroïne. Pour cela, il n’hésite pas à infiltrer le milieu des contrebandiers napolitains, et se lie avec Don Antiero, un trafiquant de cigarettes. Celui-ci le mènera à Don Vizzini, un parrain de la mafia.
Un poliziottesco entre humour et mélodrame
Critique : En 1978, le cinéaste Alfonso Brescia emploie pour la première fois le chanteur napolitain Mario Merola en vedette dans Napoli serenata calibro 9 (1978). Les deux hommes s’entendent à merveille et le public italien a répondu présent, ouvrant la voie à tout un cycle de poliziottesci et de mélodrames qui vont se déployer entre 1978 et 1982. Ainsi, ce corpus à part se signale par son ancrage géographique napolitain, son aspect documentaire, mais aussi sa tendance à embrasser le mélodrame, à l’image des chansons larmoyantes du chanteur.
Au cœur de ce cycle, Les contrebandiers de Santa Lucia (1979) fait partie des beaux succès du duo, au point que le film aurait bénéficié d’une sortie française au mois d’avril 1982, comme l’atteste l’affiche. Pour autant, il est difficile de trouver trace dans les archives d’un passage réel du long métrage par les salles provinciales. Au moins est-on sûr de la présence du poliziottesco en VHS chez l’éditeur Super Vidéo Productions, et désormais en DVD et blu-ray chez l’éditeur Artus Films.
Des stock-shots et faux raccords à foison
Parmi la production policière pléthorique de l’époque, Les contrebandiers de Santa Lucia se distingue donc par son aspect quasiment documentaire qui démarre dès l’introduction où Alfonso Brescia a recours à des images d’archives pour évoquer la récente révolution islamique iranienne. Par la suite, le cinéaste fait également usage de stock-shots empruntés à d’autres films, notamment turcs pour disposer de paysages gratuits, ou encore de publicités automobiles pour bénéficier de cascades en voiture supplémentaires. Autant dire que cette pratique courante à l’époque tend à rabaisser le long métrage au rang de petit film d’exploitation où le système D remplace l’argent.
Réalisé à l’arraché, caméra à l’épaule au cœur d’une foule de badauds qui ne sont visiblement pas prévenus du tournage puisqu’ils regardent ostensiblement la caméra, le polar possède un certain souffle documentaire qui en fait à la fois sa force et sa principale limite. Effectivement, on apprécie ces vues de la ville de Naples arrachées à la réalité, mais la contrepartie est un certain relâchement esthétique, avec un nombre impressionnant de faux raccords et une caméra instable et maniée parfois avec maladresse.
Des bons acteurs, mais desservis par un script peu cohérent
Alors que Les contrebandiers de Santa Lucia entend décrire de manière crédible les trafics du port napolitain, le scénario, lui, ne s’embarrasse pas de cohérence. Ainsi, il est assez difficile d’adhérer à cette histoire de collaboration entre la police (Gianni Garko, toujours charismatique) et des « gentils » contrebandiers (Mario Merola, correct, sans plus) afin de lutter contre le trafic de drogues dures organisé par les méchants mafieux (Antonio Sabato, droit dans ses bottes). Afin de brosser les Napolitains dans le sens du poil, les auteurs présentent donc les petits trafiquants de manière positive, tandis que la police est sans aucun doute trop tatillonne dans son obsession à faire respecter la loi.
Afin de plaire un peu plus au grand public italien, le cinéaste a cru bon ajouter des passages comiques menés par le grimaçant Lucio Montanaro (complice habituel d’Alvaro Vitali). Dans ces moments embarrassants, le métrage bascule dans le cinéma bis le plus pur. On peut aussi s’amuser de l’emploi hasardeux d’une musique alternativement efficace ou carrément Z, notamment lorsque les monteurs ont collé sur les images d’atroces chansons kitsch de Guido et Maurizio De Angelis.
Un pur exemple de cinéma bis décomplexé
Pour autant, Les contrebandiers de Santa Lucia possède un grand mérite qui est de ne jamais ennuyer le spectateur. Effectivement, l’histoire emprunte des voies parfois inattendues et bénéficie d’un montage alerte et dynamique qui offre finalement au fan de cinéma bis ce qu’il est venu chercher. Loin d’être un poliziottesco marquant, le polar doit donc être impérativement vu avec l’œil du bisseux qui sommeille en vous pour être apprécié. Dès lors, la projection ne pourra qu’être plaisante, voire très amusante lorsque le cinéaste se permet d’ajouter une scène méta.
Passant devant une affiche d’un film d’Alfonso Brescia avec Gianni Garko, l’acteur déclare que le film doit être bon puisqu’il est interprété par Gianni Garko. A sa suite, un figurant regarde également l’affiche et déclare qu’il ne connaît pas ce « con d’Alfonso Brescia ». Bien entendu, le figurant en question n’est autre que le réalisateur lui-même. Ce beau sens de l’humour au second degré participe grandement au plaisir éprouvé durant la projection de ces Contrebandiers de Santa Lucia.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 28 avril 1982
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Gianni Garko, Alfonso Brescia, Rik Battaglia, Antonio Sabàto, Lorraine De Selle, Mario Merola, Jeff Blynn, Edmund Purdom
Mots clés
Cinéma bis italien, Poliziottesco, Film de mafia, La drogue au cinéma, Naples au cinéma