D’une belle acuité psychologique et d’un humanisme souvent bouleversant, Les cavaliers est assurément l’un des plus beaux films sur la guerre de Sécession et un grand John Ford, malgré sa piètre réputation. Une œuvre à réhabiliter pour sa pertinence.
Synopsis : Une troupe de soldats de l’Union prend la route vers le Sud dans l’intention de détruire une ligne de chemin de fer à Newton Station. La section est menée par le rude Colonel Marlowe et un médecin-major à qui tout l’oppose. Une belle sudiste est forcée d’accompagner les soldats dans ce qui va devenir la mission la plus difficile et la plus meurtrière de la guerre civile américaine…
Les cavaliers, une vision très équilibrée de la guerre de Sécession
Critique : Alors que John Ford a déjà livré un nombre conséquent d’œuvres westerniennes majeures (dont La prisonnière du désert en 1956) et qu’il sort tout juste de l’évocation de la vie politique américaine avec l’excellent La dernière fanfare (1958) porté par Spencer Tracy, il retrouve une nouvelle fois son acteur fétiche John Wayne pour une plongée dans la guerre de Sécession à la suite de la cavalerie yankee.
A partir de ce sujet qui pouvait donner lieu à de furieux élans patriotiques visant à vanter les vertus de la cavalerie et des valeurs militaires, John Ford est parvenu à signer un petit bijou d’équilibre. Grâce à un excellent scénario de John Lee Mahin (le Scarface d’Howard Hawks en 1932) et de Martin Rackin (La femme à abattre de Raoul Walsh en 1951), le réalisateur brosse un portrait très nuancé de la situation politique durant la période trouble de la guerre de Sécession.
Un tournage proprement infernal
Pourtant, le tournage des Cavaliers (1959) ne fut pas de tout repos pour le cinéaste qui souhaitait modifier le script au fur et à mesure des prises de vues, au grand dam des auteurs se sentant trahis. Pire, les deux acteurs principaux, John Wayne et William Holden, pourtant payés rubis sur l’ongle, ont fait preuve de beaucoup de mauvaise volonté sur le plateau. Effectivement, le premier était déjà accaparé par les préparatifs de sa fresque Alamo (John Wayne, 1960), tandis que le second buvait plus que de raison durant cette période, au point qu’il a réussi à débaucher le Duke pour l’accompagner dans ses beuveries sans fin. Par ailleurs, John Ford se sent en infériorité par rapport aux deux stars, sensation qu’il déteste au plus haut point.
Enfin, dans les derniers jours du tournage en extérieurs, un drame terrible frappe la production des Cavaliers puisque le cascadeur et acteur Fred Kennedy, par ailleurs compagnon de route de Ford depuis des décennies, décède à la suite d’une chute de cheval mal maîtrisée. L’homme se brise littéralement le cou et meurt dans les bras de l’actrice Constance Towers, bouleversée par ce drame atroce. Dès ce moment, John Ford se désintéresse grandement d’une œuvre qu’il considère comme maudite et il en expédie notamment les scènes d’action qu’il redoute de tourner.
Les cavaliers est une superbe leçon d’humanisme
Malgré ces conditions de tournage assez compliquées, voire tragiques, Les cavaliers n’en demeure pas moins une œuvre passionnante par sa capacité à se jouer des clichés et des stéréotypes. Au lieu de succomber comme bon nombre de ses confrères à la facilité d’opposer sommairement les deux camps unioniste et confédéré, Ford choisit plutôt d’insister sur l’absurdité d’un conflit qui touche une seule et même nation.
Même s’il a souvent recours à l’humour, Ford parvient toujours à humaniser ses personnages, et ceci malgré un temps de présence à l’écran parfois peu important. Il lui suffit d’un regard ou d’un geste pour donner à chaque protagoniste une identité propre échappant aux stéréotypes en usage habituellement. Ainsi, le personnage de militaire bourru incarné avec autorité par John Wayne trouve une certaine rédemption auprès du spectateur lorsque l’on découvre l’origine de son antagonisme avec le médecin. De même, la jeune femme sudiste (excellente Constance Towers en mode Scarlett O’Hara) se dote d’un visage plus humain au cours du temps, alors qu’elle apparaissait au début comme une peste irritante. Même les figures secondaires bénéficient d’un traitement bienveillant de la part d’un réalisateur au propos humaniste.
Un faux film de guerre, et encore moins un western
Loin de valoriser l’effort guerrier, Les cavaliers insiste sur le prix à payer lors d’un conflit. Il montre par exemple comment les mères de famille tentent désespérément de retenir leurs garçons à la maison de peur de les perdre à jamais. Cette attention de chaque instant envers la vérité humaine du conflit fait tout le prix de ce faux western et faux film de guerre qui tient moins à multiplier les exploits spectaculaires qu’à conter avec beaucoup d’humanité le drame qu’est forcément une guerre civile.
Malgré la justesse de ce point de vue sur la guerre, Les cavaliers a déçu les attentes du grand public américain qui souhaitait voir un western traditionnel et non un plaidoyer humaniste sur fond de guerre de Sécession. Porté par le succès récent de Rio Bravo (Howard Hawks, 1959) au printemps 1959, Les cavaliers arrive en tête du box-office américain la semaine de sa sortie fin juin. Malgré des chiffres plutôt corrects, le long métrage est rapidement balayé par la multitude de sorties concurrentes et les salles s’en débarrassent vite pour faire de la place à d’autres. Sans être un cuisant échec commercial, Les cavaliers ne parvient pas à rembourser le coût très élevé de la production – plombé notamment par les salaires mirobolants des deux stars principales (un record à l’époque).
La 51ème place annuelle en France en 1959
En France, le film de guerre mâtiné de western débarque dans les salles le 30 septembre de la même année et s’immisce à la 23ème place du classement national avec 45 961 aventuriers à son compteur. Il faut préciser que le film est resté une exclusivité parisienne pendant plusieurs mois, générant près de 400 000 tickets, avant d’entamer un long tour de France des régions.
Cela permet au film de glaner 1 753 346 entrées lors de sa première grande exploitation sur plusieurs mois pour une 51ème place annuelle. On est tout de même bien loin des scores très favorables de Rio Bravo qui a cartonné la même année avec 3 665 811 spectateurs français et une 11ème position annuelle. On peut donc considérer Les cavaliers comme une déception également au niveau français, même si son score correspond aux œuvres mineures portées par John Wayne sur notre territoire.
Un film réévalué avec le temps et désormais magnifiquement restauré
Par la suite, le long métrage est resté longtemps dans l’oubli, avant d’être réévalué par toute une nouvelle génération de cinéphiles grâce aux VHS éditées dans les années 90. Ainsi, le film a été publié de nombreuses fois, y compris en DVD et blu-ray, porté par l’association de John Wayne et John Ford. Récemment restauré, le métrage, sans doute l’un des plus beaux films tourné sur cette période trouble de l’histoire américaine, fait l’objet d’une merveilleuse édition en Mediabook chez Rimini Editions. Un must pour redécouvrir cette œuvre trop mésestimée.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 30 septembre 1959
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Biographies +
William Holden, John Wayne, John Ford, Constance Towers, Judson Pratt
Mots clés
Cinéma américain, La guerre civile au cinéma, Les pamphlets anti-guerre, Les médecins au cinéma, L’âge d’or d’Hollywood