Drame de la maltraitance et de l’atavisme social, Le sillage de la violence souffre de la comparaison avec d’autres films de Robert Mulligan, mais il n’en demeure pas moins un film attachant jusque dans ses quelques maladresses. A (re)découvrir.
Synopsis : Henry Thomas vient tout juste de sortir de prison et retrouve avec joie sa femme Georgette et sa fille au Texas. Bien décidé à se racheter une bonne conduite, il met tout en œuvre pour subvenir aux besoins de sa famille. Homme à tout faire le jour, chanteur dans une discothèque la nuit : voilà le quotidien de cet homme nouveau. Pourtant son passé douloureux est sur le point de le rattraper.
Au départ, une pièce de théâtre
Critique : Créée à Broadway en 1954 la pièce de théâtre The Traveling Lady a été écrite par Horton Foote pour être non seulement jouée sur scène, mais également filmée par la télévision, à une époque où cette pratique était courante. Par la suite, le dramaturge devient un scénariste accompli lorsqu’il adapte pour le grand écran le roman Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur de l’écrivaine Harper Lee. Le résultat intitulé Du silence et des ombres… (1962) s’avère être un chef d’œuvre réalisé par Robert Mulligan qui offre à Horton Foote la statuette du meilleur scénario adapté d’un roman.
Cette belle unanimité autour du chef d’œuvre avec Gregory Peck motive Horton Foote, Robert Mulligan et leur producteur Alan J. Pakula pour reprendre l’histoire de The Traveling Lady afin d’en tirer un nouveau long métrage qui sera finalement intitulé Baby the Rain Must Fall en VO et Le sillage de la violence en version française. Entre-temps, Robert Mulligan a eu la chance de pouvoir collaborer avec la star Steve McQueen sur Une certaine rencontre (1963) et les deux hommes se sont particulièrement bien entendus. Dès lors, Le sillage de la violence devient un projet commun et l’intervention de McQueen est fondamentale pour comprendre la réorientation du projet.
Un personnage masculin qui devient central dans le film
Effectivement, la pièce d’origine est essentiellement centrée sur le personnage féminin, ici interprété par Lee Remick, tandis que le film va opérer un basculement narratif faisant du protagoniste masculin l’élément central. D’ailleurs, Steve McQueen, devenu star grâce à des films commerciaux comme Les 7 mercenaires (John Sturges, 1960) et La grande évasion (John Sturges, 1963), tente ici de s’affirmer en tant que grand acteur dans des projets plus difficiles. Le comédien s’investit à fond dans ce rôle qui lui tient à cœur car son personnage est finalement très proche de lui dans sa destinée tragique.
Ainsi, Henry Thomas (Steve McQueen, donc) est un ancien détenu qui tente de se réinsérer dans la société texane des années 60. Tout en effectuant des petits jobs la journée, il chante dans un groupe de rock la nuit et boit parfois un peu trop, occasionnant quelques bagarres. C’est alors que débarquent sa femme (Lee Remick, très juste) et sa petite fille (très mignonne Kimberly Block, dont ce fut la seule apparition à l’écran). Il est d’ailleurs intéressant de noter que la narration commence par suivre le point de vue de cette femme espérant renouer avec son conjoint baroudeur, ce qui reprend le début de la pièce d’origine.
De la maltraitance infantile
Pourtant, petit à petit, Robert Mulligan semble se désintéresser de ce personnage féminin pour mieux évoquer le trauma personnel à l’origine de la révolte de Henry Thomas. Progressivement, le spectateur apprend que le trentenaire est un orphelin qui fut recueilli par une femme acariâtre l’ayant battu durant toute son enfance. Dès lors, on retrouve la patte de Robert Mulligan qui s’attache une fois de plus à évoquer les traumas de l’enfance liés notamment à la maltraitance. Dans ces moments, le film s’inscrit dans la vague de films psychologiques et psychanalytiques, souvent adaptés de Tennessee Williams. Dès lors, on comprend l’intérêt de Steve McQueen pour un tel sujet, lui qui fut également un enfant battu.
© 1964 Renewed 1992 Columbia Pictures Inc. / Jaquette : Dreano. Tous droits réservés.
Toutefois, Le sillage de la violence n’atteint jamais pleinement son objectif à cause d’un flottement trop important de la narration, comme si le cinéaste n’avait pas su choisir entre le point de vue du héros ou de sa femme. Particulièrement sacrifié, le rôle tenu par Don Murray se retrouve pris entre deux feux et le comédien ne parvient jamais à faire exister son personnage. Ce flottement dans l’écriture se retrouve pour tous les protagonistes secondaires qui ne font que graviter autour du couple sans arriver à nous intéresser.
Le sillage de la violence, un pur film progressiste
Il faut dire que le sujet du Sillage de la violence n’était pas évident à traiter puisqu’il s’agissait ici de montrer l’incapacité d’un homme à faire table rase d’un passé traumatique. Ainsi, le film de Mulligan n’offrait aucune perspective positive puisque le « héros » ne peut pas évoluer ni briser le cercle fatal de l’atavisme social. Considéré par tous comme un mauvais garçon, le jeune homme finira par se conformer à l’image que la société se fait de lui, oubliant au passage les circonstances atténuantes liées à son passé douloureux.
Bien entendu, on reconnaît ici le progressisme des auteurs qui militent clairement pour la réinsertion des délinquants et pour la possibilité de s’amender pour peu que la société accepte le pardon. Situé dans le Texas natal d’Horton Foote, région réactionnaire par excellence, Le sillage de la violence ne laisse forcément aucune chance à son protagoniste principal. Malgré la beauté de ses images en noir et blanc, la rigueur de sa réalisation et la profondeur de l’interprétation, Le sillage de la violence n’a pas été bien reçu à sa sortie dans les salles américaines et françaises.
Quelques scènes maladroites peuvent expliquer l’échec commercial du film
En cause les deux ou trois séquences musicales particulièrement maladroites où Steve McQueen n’est pas crédible en chanteur de rock. Il n’est pas aidé par le chanteur Billy Strange qui ne possède absolument pas la même tessiture de voix que McQueen, offrant un contraste déstabilisant. Enfin, l’unique scène de bagarre semble trop chorégraphiée et ne fait donc pas naturelle. Ce ne sont que quelques courtes séquences ratées au sein d’une œuvre pourtant très intéressante, mais les critiques de l’époque se sont focalisées sur ces éléments pour faire du Sillage de la violence un ratage total. Signalons d’ailleurs que la promotion du film fut elle aussi franchement ratée en tentant de transformer ce drame intimiste en film rock destiné à la jeunesse cool. Un contre-sens absolu!
Ce jugement très sévère a fait de ce drame sur la maltraitance un gros échec commercial aux States, suivi par une belle déconvenue en France. Présenté dans trois salles d’exclusivité parisienne à partir du lundi 21 juin 1965, Le sillage de la violence a attiré 14 460 spectateurs lors de sa première semaine. Il se retrouve ensuite rapidement au fin fond des classements, malgré l’énorme popularité de Steve McQueen à l’époque.
Le sillage de la violence, un film trop vite oublié
Après son échec parisien, Le sillage de la violence est diffusé en province vers la fin du mois de juillet où le drame ne cumule que 36 253 spectateurs. Malgré une présence dans les salles provinciales durant tout l’été 1965, le métrage finira sa carrière française avec seulement 297 325 entrées à son compteur, ce qui en fait l’un des plus gros échecs de la carrière de Steve McQueen.
Cette injustice s’est poursuivie par l’absence d’édition française en VHS ou DVD jusqu’en 2020 où l’éditeur Rimini propose enfin un DVD et un blu-ray qui tentent de remettre en avant les qualités réelles d’un film, certes inégal, mais nettement supérieur à bien des succès commerciaux de la même époque.
Critique de Virgile Dumez
Les sorties de la semaine du 16 juin 1965
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Robert Mulligan, Steve McQueen, Lee Remick, Don Murray, Paul Fix
Mots clés
Cinéma américain, Drame psychologique, Le rock au cinéma, Le Texas au cinéma, Les délinquants au cinéma, Les enfants maltraités au cinéma