Du silence et des ombres, œuvre majeure du début des années 60, traduit à merveille le roman de Harper Lee, par la grâce d’une réalisation splendide et d’acteurs dirigés de main de maître. Un classique.
Synopsis : 1930, Atticus Finch, avocat, décide de défendre un jeune noir accusé de viol. Cet événement va bouleverser sa vie et celle de ses enfants.
L’adaptation à haut risque d’un chef-d’œuvre de la littérature américaine
Critique : Magnifique roman d’apprentissage publié en 1960 aux Etats-Unis, Ne tirez pas sur l’oiseau moqueur (qui deviendra chez nous Du silence et des ombres) a immédiatement été considéré comme un chef-d’œuvre de la littérature américaine, faisant de Harper Lee une romancière de premier plan. Pourtant, malgré des critiques dithyrambiques et des ventes substantielles, les exécutifs des grands studios ne se sont pas précipités pour en acheter les droits d’adaptation, estimant que cette histoire n’avait aucun potentiel à l’écran, puisque dépourvue d’action, d’amour et de scènes mémorables.
Ce sont donc deux producteurs indépendants – Alan J. Pakula et Robert Mulligan pour leur société commune nommée Pakula-Mulligan – qui se chargent d’acquérir les droits. Pour convaincre Harper Lee, ils insistent sur le fait qu’ils souhaitent avant tout être fidèles au roman et que l’écrivaine aura un droit de regard sur le scénario. Le script est confié à Horton Foote qui était jusque-là surtout connu pour son travail à la télévision. Celui-ci propose de ramasser l’intrigue en une seule année, mais souhaite conserver le point de vue des enfants qui faisait tout le sel du roman. Si des modifications sont bien réalisées par le scénariste, les lecteurs du chef-d’œuvre de Harper Lee n’y verront guère de différence avec le matériau littéraire. Horton Foote a fait un travail absolument remarquable puisqu’il a réussi à garder intacte l’ambiance d’un roman pourtant difficile à retranscrire à l’écran.
Gregory Peck, caution du projet
Une fois la production lancée, Robert Mulligan a cherché à tourner sur les lieux de l’intrigue, mais ils étaient trop marqués par la modernité. Finalement, la solution de reconstituer les lieux en studio (chez Universal notamment) a permis de retranscrire au mieux cette ambiance du sud des Etats-Unis durant les années 30. Signalons d’ailleurs que le spectateur n’a jamais l’impression d’être confronté à un décor de studio.
Enfin, si le long-métrage a vu le jour, c’est surtout grâce à l’implication totale de Gregory Peck qui est tombé amoureux du roman et tenait à incarner le rôle d’Atticus Finch dont il sentait qu’il était fait pour lui. Il ne s’est pas trompé puisqu’il a décroché l’Oscar du meilleur acteur en 1963, ce qui sera la seule statuette de son imposante carrière. Par la suite, Peck n’a cessé de clamer que ce rôle était le plus important de sa vie.
L’enfance évoquée avec finesse et sans niaiserie
On le comprend puisque Du silence et des ombres (titre français passe-partout vraiment pas adapté) est assurément un chef-d’œuvre qui a fait du réalisateur Robert Mulligan un auteur à suivre. Le cinéaste ne se contente pas d’illustrer platement le livre, mais lui apporte une réelle plus-value sur le plan visuel. Doté d’un magnifique noir et blanc, particulièrement contrasté, le film s’inscrit immédiatement parmi les grandes œuvres américaines au même titre qu’un film comme La nuit du chasseur (Laughton, 1955). Mulligan explore notamment l’univers enfantin sans jamais faire abstraction des peurs qui étreignent les plus jeunes vis-à-vis d’un monde adulte dont ils ressentent instinctivement la violence et les injustices.
Par les yeux des deux enfants de l’avocat (magnifiques Mary Badham et Phillip Alford), le spectateur est invité à découvrir le racisme qui se cache derrière le vernis de respectabilité d’une petite ville du sud des Etats-Unis (en Alabama). Sous des dehors aimables, cette bourgade pratique l’ostracisme tous azimuts, que ce soit envers la population noire ou des marginaux (comme la famille de Boo Radley magnifiquement campé par un tout jeune Robert Duvall). Du silence et des ombres ausculte donc cette face cachée de l’Amérique avec les yeux de l’innocence, pour mieux en faire ressortir les défauts et les incohérences.
L’Amérique des lynchages
Toujours prête pour un bon lynchage, la population locale s’avère d’une intolérance totale envers ceux qui ne se fondent pas dans le moule. Pire, elle soutient des pratiques abominables comme la consanguinité l’inceste (à travers les personnages de la famille Ewell). Mais pour éloigner le mauvais œil et le jugement des autres, certains préfèrent détourner l’attention sur un coupable facilement identifiable, en l’occurrence un Noir qui passait par là et qu’on accuse de viol.
Alors que cette intrigue apparaît secondaire dans un premier temps puisque tout est vu à travers les yeux des enfants de l’avocat, elle prend forme petit à petit et éclate au grand jour lors de la fabuleuse séquence du procès. Non seulement Gregory Peck y déploie tout son art, mais il est soutenu par Brock Peters, absolument déchirant en accusé qui est en réalité victime d’une machination. On signalera également la belle performance de Collin Wilcox Paxton, parfaite en accusatrice sous l’influence de son père. Elle représente à elle seule toutes les frustrations sexuelles à l’œuvre au sein de ces communautés bien-pensantes pourtant acquises à des pratiques d’un autre âge.
Un triomphe américain mérité…
Si le regard de Robert Mulligan est bien celui d’un progressiste, il ne se fait jamais juge des personnages et préfère, comme Harper Lee, laisser à chacun le soin de se faire son avis. C’est finalement cette capacité d’empathie envers tous les êtres humains, méprisables ou admirables, qui fait tout le sel de ce chef-d’œuvre bouleversant. Le tout magnifié par une belle musique, à la fois discrète et essentielle d’Elmer Bernstein.
Sorti en 1962 aux Etats-Unis, Du silence et des ombres a rencontré un énorme succès, générant 13,1 millions de dollars de recettes, ce qui représenterait aujourd’hui la coquette somme de 114,9 M$ (en dollar ajusté en 2021). Le long-métrage s’est classé 7ème du box-office de l’année 1962 aux Etats-Unis et a acquis ensuite le statut de grand classique en étant cité dans la plupart des listes évoquant les plus grand films américains de tous les temps. On rappellera que le métrage a aussi obtenu trois Oscars dont celui du meilleur acteur pour Gregory Peck, du meilleur scénario pour Horton Foote et de la meilleure direction artistique.
… passé inaperçu en France
En France, par contre, le film n’a guère suscité d’émoi, ne cumulant que 235 119 entrées sur l’ensemble du territoire national, malgré sa sélection au festival de Cannes. Il en était reparti avec le Prix Gary Cooper, lors d’une édition dominée par Le Guépard de Visconti. Pourtant, il s’agit assurément de l’un des meilleurs films de cette année-là et une œuvre importante pour le réalisateur Robert Mulligan qui a ensuite retrouvé le monde de l’enfance avec un autre chef d’œuvre, le grandiose L’autre (1972).
Critique de Virgile Dumez